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vêque de Paris parla pendant quelques minutes, mais il parloit à des murailles.

Le Duc d'Aiguillon, qui avoit la fureur de sé montrer partout, et surtout celle de parler en public, n'avoit pas été nommé de la députation; mais dans l'espoir qu'il le seroit, il s'étoit procuré un discours pour cette circonstance; et pour ne pas perdre les frais de sa mémoire et de sa bourse, il s'étoit mêlé parmi nous. Ce discours occupa le temps que l'on mit à aller chercher M. Bailly et le Marquis de la Fayette, qui avoient été nommés la veille, l'un maire de Paris, et l'autre commandant général de la garde nationale.

après.

M. de la Fayette arriva quelques instans

On a dit beaucoup de mal de M. Bailly et de M. de la Fayette; on en a trop dit pour qu'on puisse tout croire. Les effets de la calomnie, dans le temps de troubles, sont précisément le contraire de ceux qu'elle traîne à sa suite dans les temps ordinaires. Dans les uns elle est avidement saisie par les esprits oisifs; mais si elle se confond trop souvent avec la vérité, il est du moins possible de la détruire; et rarement surprend-elle la confiance

confiance de l'homme réfléchi.

Dans les autres,

elle se multiplie et s'exagère à un tel degré, qu'elle provoque l'incrédulité sur tout. En matière de parti, la conformité d'opinions ou d'intérêts dispense trop facilement des vertus, et absout communément tous les vices. Les mots d'honnête homme, d'homme généreux, loyal, grand, bienfaisant, jusqu'à ceux d'homme d'esprit et de courage; et ceux de scélérat, fripon, monstre, lâche, idiot, &c. ne servent qu'à indiquer que ceLui, à qui on les applique, est, ou n'est pas de la même opinion ou du même parti que celui qui les employe. Et voilà le danger de la calomnie: c'est que l'homme coupable peut longtemps marcher la tête levée, au milieu des accusations les plus graves et les plus méritées; parce que les meilleurs esprits sont réduits à penser que ce sont, peut-être, autant de mensonges. C'est ainsi que l'anarchie reproductive de la corruption, qui lui a donné naissance, ôte à l'homme impartial, jusques aux moyens de distinguer le scélérat d'avec l'honnête homme; jusqu'à ce que le retour de la raison vienne dissiper les préventions, et étendre sur les erreurs PP 2

une

une amnistie générale, dont elle n'excepte que le crime. Heureusement pour l'instruction, comme pour l'honneur de l'humanité, si ce retour est lent, il n'en est pas moins assuré.

Lorsque l'histoire aura extrait des écrits de ce siècle, tout ce qui pourra servir à balancer les témoignages opposés, et à faire ressortir la vérité ; et qu'elle aura relégué le reste dans la poussière de l'oubli; ce sera seulement alors, qu'à l'exception des monstres que la génération présente a unanimement réprouvés, les hommes qui ont joué quelque rôle dans cette révolution, pourront être jugés définitivement.

Tout ce qu'on peut dire aujourd'hui en faveur de MM. Bailly et de la Fayette, c'est que l'administration de l'un, et le généralat de l'autre, ont été, durant le cours de leur exercice, la sauvegarde de la ville de Paris, et parconséquent celle du royaume; que leurs soins pour approvisionner cette immense capitale, dont les troubles des provinces, et l'appel des factieux à leurs semblables, avoient considérablement accru la population, et pour y maintenir la tran

quillité,

quillité, au sein d'une disette réelle, et d'obsta cles incessamment renaissans, ont obtenu un succès qui en a prouvé le mérite; que la garde nationale fut alors aussi bien composée qu'elle pouvoit l'être; qu'elle s'est portée avec zèle, partout où il a fallu, pour faire respecter les personnes et les propriétés, et cela dans un temps où ceux qui avoient été plus particulièrement désignés à la fureur de la populace, n'avoient pas encore quitté cette terre malheureuse; que Bailly a péri victime de ce zèle; et que ce n'a été qu'après la retraite de l'un et de l'autre, que la ville de Paris est devenue le théâtre de ces scènes atroces et honteuses pour l'humanité, dont il est juste de conclure que, tant qu'ils ont été en place, ils étoient parvenus à la garantir.

Si M. de la Fayette a été accusé de négligence dans la nuit du 5 au 6 Octobre, il ne la pas été de complicité; et personne ne doute plus, qu'il ne fut lui-même une des victimes désignées aux assassins.

Quant à l'affaire de Varennes, les événemens opt condamné sa conduite; et ces événemens terribles

terribles ont été de nature à ne pas laisser de prétextes de disculper ses intentions*.

M. de la Fayettet se chargea de tout disposer dans la capitale pour la réception du Roi.

Le

*La fuite du Roi a été la démarche la plus fausse que l'on ait pu conseiller à l'infortuné Monarque. Si elle réussissoit, elle livroit la régence et peut-être le trône au Duc d'Orléans: sinon, elle ne pouvoit servir qu'à inspirer une méfiance générale, et qu'à aliéner du Roi, les cœurs de la multitude qu'il devenoit si facile d'alarmer sur ses intentions. Ainsi, de quelque manière que cela tournât, on ne pouvoit pas mieux servir les desseins des factieux de tous les partis qu'un intérêt commun devoit tenir encore quelques temps unis.

†M. de la Fayette, dont la constitution Américaine avoit ébloui la jeunesse, s'étoit persuadé, qu'en greffant la déclaration des droits sur le tronc vermoulu d'une vieille monarchie absolue, elle produiroit sous sa main les fruits que quelques hommes en avoient facilement recueillis, chez un peuple trop peu nombreux, trop disséminé sur un territoire immense, et trop occupé de spéculations individuelles ; pour que l'ambition put sitôt y multiplier les rivalités. Il voyoit dans l'élévation du Duc d'Orléans,, non-seulement l'anéantissement de ses projets, mais encore le triomphe d'un ennemi personnel et irréconciliable. Ceci donne la clef des motifs qui le firent agir dans cette occasion, et c'est sur quoi il aura à répondre à la postérité; car il a été assez puni, de nos jours, pour que son siècle lui permette de vivre dans l'oubli.

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