Page images
PDF
EPUB
[ocr errors]

La cour ne voyoit de salut que dans ĺa prompte dissolution des états-généraux; et elle avoit peut-être raison: mais les hommes ineptes qui l'avoient conduite sur le bord du précipice, étoient incapables de concevoir, et de diriger un de ces coups d'éclat, où, dans les grandes occasions, le succès manque rarement de suivre le courage. Propres uniquement à faire jouer des intrigues, la résistance de la chambre de la noblesse, et les tergiversations de celle du clergé parurent à letir imprévoyance, être des moyens d'autant mieux calculés; que si les états-géné raux venoient à se dissoudre de cette manière, loin d'en encourir le reproche, ils conserveroient au contraire le mérite d'avoir consenti à ce qu'ils eussent été appelés; et tout le ridicule de leur nullité retombant sur le principal ministre, comme tout l'odieux de leur séparation sur les deux premiers ordres de l'état; ils y gagneroient encore un surcroît d'autorité.

M. Necker qui jouissoit des honneurs du triomphe, avant que la victoire fut décidée, ne pouvoit envisager, dans la réussite de ce dessein, que l'anéantissement de tous ses plans, et une disgrâce

disgrâce honteuse. La réunion des trois chambres, en une seule, de quelque manière qu'elle s'opérat, quoiqu'il eut cependant préféré qu'elle eut été volontaire, lui étoit indispensable; et il ne négligeoit rien pour exciter la minorité de la noblesse, par tous les moyens qui étoient en son pouvoir.

Quant aux autres, ils ne pouvoient atteindre leurs fins, que par l'humiliation de la noblesse et du clergé, parmi lesquels ils devoient compter presque autant d'ennemis que de membres; et par la destruction de leur influence. Or pour y parvenir, il leur falloit une réunion forcée. Leurs intérêts étant en ce point à peu près les mêmes que ceux du ministre ; ils faisaient cause commune avec lui, bien décidés à le renverser luimême, aussitôt qu'ils n'auroient plus besoin de son

secours.

Tous ces partis avoient des agens répandus dans les trois ordres, et surtout parmi les deux premiers, tant dans la minorité que dans la majorité. Car ce fut alors que commença à se montrer cette classe d'hommes, qui s'est si fort multipliée depuis, que nous avons vus successivement, D d

Tome I.

à toutes les époques, se montrer ouvertement pour le plus fort, sous le prétexte de servir secrètement le plus foible: croyant, par cette duplicite, se ménager des récompenses dans toutes les chances. du succès; et mettre leurs personnes à couvert du danger, quelque chose qui pût arriver. Espèce d'êtres communs à tous les temps de troubles; amis plus dangereux, qu'ils ne seroient redoutables ennemis; moins méprisés malheureusement qu'ils ne sont méprisables; et d'autant plus effrontés, que l'impudence est le caractère ordinaire de la lâcheté, qui croit n'avoir rien à craindre.

Parmi ces agens divers, tant ceux qui étoient de bonne foi, dans leurs opinions, que ceux qui, indépendamment de l'avantage de se maintenir entre tous les partis, n'envisageoient que les places, les honneurs, et les richesses, dont chacun de ces partis flattoit leur avidité; il en étoit un petit nombre qui étoient seuls dans le secret des chefs. Ceux-ci avoient à leurs ordres, tous les agens subalternes que l'intérêt, la confiance, la vanité, flattée de fausses confidences, la petitesse de vouloir se montrer des personnages importans, ou d'autres moyens semblables, plus ou moins effi

caces

caces sur le commun des hommes, mettoient à leur disposition, soit immédiate, soit par l'intermédiaire de leurs seconds. Réunis plus ou moins fréquemment en petits comités, ils étoient chargés de diriger, comme invisiblement, des conciliabules ou des clubs plus nombreux: et quoique plusieurs de ces derniers différassent les uns des autres, par des nuances d'opinion; néanmoins les résultats devoient être ramenés, autant que possible, au but commun, par le directoire secret, dont les subalternes ignoroient l'existence. C'étoit dans ces petits comités, que se formoit ou se rectifioit, suivant les circonstances, un plan de tactique générale, qui par des moyens différens, adoptés à la diversité des opinions, devoit néanmoins parvenir aux mêmes fins. C'étoit là que se préparoient les motions, souvent contradictoires,

faire dans les différentes chambres. Vouloiton jeter du ridicule ou de l'odieux sur le parti opposé; un agent placé dans ce parti, étoit chargé de faire une proposition propre à remplir cet objet. Etoit-il question d'éviter quelque ré solution, que l'on savoit être projetée par les adversaires: on en mettoit la motion, dans la bouche

[blocks in formation]

d'un membre publiquement connu pour être du parti contraire, dans la persuasion qu'elle seroit rejetée, par la défiance qu'inspireroit, à des hommes prévenus, la personne de l'auteur. C'étoit ensuite, dans les assemblées secondaires, que chacun venoit chercher l'avis tout formé, qu'il devoit s'efforcer de faire prévaloir dans la chambre respective à laquelle il appartenoit; et que se distribuoient les différens rôles, pour la séance publique du lendemain. Ceux qui avoient, ou qui se croyoient quelque talent pour la parole, étoient chargés d'appuyer les motions, adoptées par le club; et les autres plus modestes ou plus sincères, étoient réservés à manifester leur improbation ou leur approbation, par des applaudissemens ou par des clameurs.

Personne, au surplus, n'est étranger à toutes les petites manœuvres qui ont été employées, de tout temps, pour maîtriser les assemblées délibérantes. Il me suffit de dire qu'elles eurent lieu dès les premiers jours des états-généraux; et qu'elles furent mises en œuvre, en même temps, par tous les partis. J'ai assisté moi-même à deux de ces assemblées, en deux différentes occasions,

dont

« PreviousContinue »