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que

voir que c'est avec de pareilles misères l'on parvient à renverser un empire: mais lorsqu'un empire est sur le penchant de sa ruine, et qu'il n'est plus étayé que par un échaffaudage frêle et usé; c'en est assez de petits hommes, et de petites choses, pour précipiter son écroulement,

Néanmoins l'ordre du clergé et celui de la noblesse se réunirent séparément le lendemain, chacun dans le lieu qui lui avoit été préparé; et les députés du tiers-état se rendirent à la salle des états-généraux.

Je suivis l'ordre auquel j'appartenois.

Il s'en falloit de beaucoup que je connusse tous les députés de la noblesse : et j'étois étranger à plusieurs. Je me bornai, d'abord, suivant ma pratique assez constante, même dans le cours ordinaire de la vie, à observer ceux à qui j'allais avoir à faire. J'avoue que cette réunion d'hommes choisis par l'ordre le plus distingué de l'état, n'offrit point à mes observations ce que mon imagination se l'étoit figurée.

Un petit nombre de gens de la cour, remarquables par des noms, du crédit et des richesses; mais accoutumés à jouir de tous ces

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avantages

avantages sans étude et sans trouble; quelques jeunes gens ardens, en qui de l'esprit naturel, et même des talens ne compensoient pas le défaut d'instruction et de maturité de jugement, et qui ne voyoient dans la circonstance qu'un moyen d'acquérir de la célébrité; d'autres qui, sous des dehors d'importance et de gravité, cachoient, les uns la foiblesse de leurs moyens personnels, et les autres l'incertitude de leur choix, jusqu'à ce que le succès eut déclaré le parti du plus fort: au milieu de cela, une masse respectable et incomparablement plus nombreuse que le reste, d'hommes loyaux et vertueux, tous animés par des sentimens d'honneur, et par des vues droites et pures; mais plus faits, pour la plupart, à la tactique militaire qu'à celle des délibérations, et plus propres à affronter des dangers, qu'à dénouer des intrigues. Tel me parut, à quelques exceptions près, l'ensemble de la députation de l'ordre de la noblesse.

Après une vérification provisoire des pouvoirs de chacun, opération qui produisit beaucoup de petits procès, dans la décision desquels il me parut qu'il se montra plus de partialité que

de

de justice; la première question importante qui fut agitée fut de savoir si l'on devoit s'en tenir à cette vérification particulière, ou si les pouvoirs des députés de la noblesse devoient être soumis à l'examen des trois ordres de l'état.

Ce fut, alors, que se manifesta cette scission de la chambre de la noblesse qui, sous les noms de majorité et de minorité, la divisa, dès ce moment, en deux partis prononcés.

La majorité qui étoit déterminée à maintenir le vote par ordre, rejeta la vérification en commun; fondée sur ce que la première question lui paroissoit une conséquence nécessaire de la seconde: ce motif au contraire, en étoit un de plus pour décider la partie de la minorité qui vouloit le vote par tête: tandis que celle qui étoit attachée au vote par ordre, ne trouvoit pas, entre les deux questions, cette dépendance qui alarmoit les uns, et qui encourageoit les autres.

Cette dernière opinion étoit aussi la mienne ; elle me paroissoit alors, comme elle me paroît encore aujourd'hui, être fondée sur des motifs d'équité, de devoir, et même d'intérêt.

D'équité :

D'équité: car nul ne peut sans injustice, refuser à des hommes qui doivent prendre la même part que lui, à une transaction quelconque, la preuve du droit qu'il a d'y intervenir, soit en son nom personnel, soit au nom d'un autre.

De devoir; car celui qui n'est que délégué, s'expose à trahir la confiance de ses commettans, s'il néglige de s'assurer par lui-même, de la validité des titres de ceux qui se présentent, pour traiter avec lui,

D'intérêt enfin: il falloit être aveugle pour ne pas s'apercevoir du changement rapide que le laps de quelques jours avoit opéré dans les dispositions de plusieurs députés du tiers-état et du clergé ; et de toutes les manœuvres qui étoient employées par l'esprit de sédition, à qui il ne manquoit plus qu'un prétexte, pour se changer en audace. Tous les instans perdus d'un côté, à débattre une question frivole, étoient mis à profit de l'autre, pour exciter le peuple, et pour corrompre l'armée. La chambre de la noblesse étoit accusée hautement de l'inaction des étatsgénéraux; la disette de vivres qui, d'ordinaire est, à la fois, la cause et le produit des émeutes populaires;

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populaires; que s'imputoient mutuellement tous les partis (et qui fût, vraisemblablement, augmentée par les intrigues concurrentes, quoique.

séparées, de plusieurs), fût attribuée à cette inaction. Aux maux dont l'ordre de la noblesse étoit menacé, il ne se présentoit que deux préservatifs il falloit ou courir aux armes, avant qu'elle fût dépouillée du peu de moyens qui lui restoient de prendre ce parti, avec quelque espoir de succès; ou bien se hater d'opposer. aux progrès des factieux, la représentation nationale, sous son nom accoutumé, et sous ses antiques formes. On sait quels obstacles le premier de ces moyens avoit à rencontrer, dans les incertitudes et dans la foiblesse de la cour; et le second ne pouvoit se trouver que dans une prompte et volontaire vérification des pou voirs en commun; puisque, par cette opération, les états-généraux alloient être déclarés constitués, à l'unanimité des trois ordres distincts,, qui auroient reconnu la validité de leurs pouvoirs respectifs comme tels. Ce qu'une vérification séparée, vu les circonstances dans lesquelles l'état se trouvoit, n'auroit pas produit.

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