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tance, pour le salut de l'état, comme pour les in

térêts particuliers des provinces, d'entretenir toute

la concorde et toute l'union possibles, entre les membres des trois ordres, dans les députations respectives.

De ces dispositions particulières seroient résulté un esprit général de conciliation; une force de confiance, contre qui les efforts des factions et des intrigues seroient venues se briser; et de qui seuls, pouvoit ressortir le bonheur de la nation.

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Quelque difficile, quelque opposée, peutêtre, que soit à la nature humaine, une réunion si désirable de sentimens, entre douze cents individus; il n'est il n'est pas moins sensible que, renfermée dans les bornes de la possibilité, les efforts que l'on pouvoit faire pour l'obtenir, eussent produit alors des effets salutaires.

Dans toutes les affaires que les hommes ont à agiter et à régler entre eux, la conviction de la raison a moins de part aux résultats, que les intérêts de l'amour-propre. Ceci est une vérité peu honorable pour notre espèce; mais c'est une vérité qui s'est manifestée, et qui se manifestera, dans toutes les négociations, dans toutes les dé

libérations,

libérations, dans tous les accords, et dans tous les traités publics ou particuliers, faits ou à faire, quelque heureux ou quelque grand, quelque rusé ou quelque habile, que soit un homme : quels que soient son rang, son caractère, le rôle qu'il joue dans le monde, sa réputation ou sa célébrité; il a toujours quelques endroits foibles; et même n'en eût-il qu'un, vous êtes assuré de le trouver; c'est son amour-propre. Plus cette disposition du cœur est cachée, et plus facilement elle maîtrise celui qui l'ignore, ou qui ne se la suppose pas. Car ce n'est que par amour-propre, que l'homme se persuade, ou qu'il cherche à persuader aux autres qu'il n'en a pas. Voilà pourquoi celui qui parvient à inspirer aux personnes avec qui il a à traiter, cet ensemble de sentimens, dont on ne sait pas se rendre compte; mais qui produit une prévention involontaire en sa faveur; est toujours assuré d'obtenir l'avantage. Cette prévention est un effet de l'amour-propre de celui qui l'éprouve: car elle vient, ou de ce qu'il trouve une conformité apparente ou réelle, de ses opinions, de ses sentimens, et de ses idées, avec les opinions, les sentimens, et les idées de celui qui l'inspire; ou

de

de ce qu'il croit remarquer en lui, une certaine disposition à déférer à ses lumières, ou mille autres circonstances semblables: mais surtout une modestie sans affectation: or comme on l'a remarqué souvent, si les hommes sont d'accord que de toutes les vertus, la modestie est la plus intéressante, il n'en faut pas chercher d'autre raison, si ce n'est qu'elle laisse en entier les droits ou les prétentions de l'amour-propre des autres. Je n'entends pas parler ici de cet abandon hypocrite, de ces complaisances serviles, et de ces basses flatteries, appâts grossiers qu'employent un sot ou un fripon pour en tromper d'autres; mais d'une noble franchise, caractère distingué d'une âme élevée, qui sait reconnoître et faire valoir, dans les autres, les avantages qu'ils tiennent de -l'instruction, du hasard, ou de la nature, sans craindre de déprécier, pour cela, ceux qu'elle en

a reçus.

Autant ce guide impérieux de l'homme, l'amour-propre ainsi ménagé, peut le porter au bien, et à des actions utiles et louables; autant, s'il est choqué, sera-t-il capable de l'entraîner à la fureur de tous les excès contraires. Telle fut

une

une des causes principales et immédiates des animosités qui ont éclaté, entre les ordres de l'état, et qui n'ont pas même trouvé leur terme dans la destruction des deux premiers.

Frappé de ces considérations, je puis me rendre le témoignage de ce que je n'ai rien négligé, pour entretenir la bonne intelligence qui existoit déjà entre mes collègues et moi; et qui, pendant le cours des trois années que j'ai passées avec eux, n'a pas éprouvé la moindre altération.

Ainsi, tandis que les dissentions de beaucoup d'autres, donnoient dans leurs provinces le signal du massacre des nobles, et de l'incendie de leurs châteaux; j'ai eu la consolation de pouvoir attribuer à notre union constante, la conservation des personnes et des propriétés de mes commettans, tant que j'ai été leur représentant. C'étoit alors le seul service qu'il fut en mon pouvoir de leur rendre.

Cependant les députés des provinces se rendoient à Versailles, de toutes les parties du royaume. C'étoit un spectacle nouveau, et digne d'admiration, que de voir dans les galeries, et dans les appartemens du Roi, d'un côté ce mé

lange

lange d'hommes étrangers les uns aux autres; plus étrangers encore à l'éclat du faste bruyant qui les environnoit: et de l'autre, une foule de courtisans persuadés, avec leur légèreté ordinaire, de la facilité qu'ils auroient à les diriger à leur gré; s'empressant de mettre en œuvre auprès d'eux, toutes les caresses, toutes les souplesses, et tous les rafinemens de leur métier; et s'égayant, après les avoir quittés, sur ce qu'ils appeloient leur ignorance et leur bonhomie, par des pasquinades, des singeries et des calembours *, mot aussi barbare que la chose qu'il exprime.

Je me suis souvent rappelé une observation

qui

* Ce qu'on appelle un calembour, n'est pas même de ces pointes d'esprit, ou de ces équivoques de pensée, qui surprennent quelquefois le rire. C'est quelque chose de plus niais que tout cela; c'est une équivoque purement matérielle, qui résulte de l'application du sens d'un mot ou d'une phrase, dans la manière de parler ordinaire, à tout ou à plusieurs parties coupées ou réunies d'autres mots, qui ayant à peu près la même consonnance, ont néanmoins une signification tout à fait opposée: On en fit courir de toutes les espèces, et même de fort sales, qui furent répétés, par les gens à la mode, comme quelque chose de très-ingénieux. J'ai connu quelques imbécilles qui passoient leur vie à torturer des mots pour ac◄ quérir ce nouveau genre de mérite. Ils m'étonnoient moins que ceux qui avoient la complaisance de leur sourire.

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