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acceptant la députation aux états-généraux, je né me séparai point du caractère qui m'avoit été dé féré. Je considérái dès lors mon opinion personnelle, comme la propriété de mes commettans, Assuré qu'elle seroit amplement éclairée, par les discussions publiques; je me promis d'éviter tout ce qui pourroit la séduire, en refusant constamment d'assister à des discussions particulières. Je pris avec moi-même l'engagement de n'être d'aucun parti; et pour conserver mon suffrage indépendant comme ma raison, en même temps que je m'interdis toute espèce de club, de société populaire, &c. Je me prescrivis la loi de ne pas me présenter à la cour, tant que dureroit la tenue des états-généraux; et de n'accepter pas même une invitation à dîner chez les ministres. Ceux qui ont fréquenté les uns et les autres, et je crois que presque tous les députés ont été dans ce cas, savent s'ils m'y ont souvent rencontré.

Les instructions de mes commettans et mon opinion particulière tendoient à une réforme efficace et stable des abus, et au retour des anciens, principes de la monarchie Françoise. Député de l'ordre de la noblesse, je me considérai comme le

repré

représentant d'un ordre que notre antique constitution avoit placé entre le trône et le peuple, pour maintenir un équilibre sans lequel il n'est point de gouvernement. J'étois donc, par sentiment et par devoir, également ennemi de l'autorité arbitraire et de l'anarchie, de la licence et du despotisme, de l'oppression et de la révolte. C'est entre ces extrêmes, que se traçoit la route que j'avois à suivre; et quoique je ne m'en dissimulasse ni les difficultés, ni le danger, j'entrepris d'y marcher.-Douze années de malheurs n'ont point changé en moi ces dispositions, parce que je n'impute pas aux principes, les maux qui dérivent de l'abus que l'ineptie et la méchanceté peuvent en faire. Constamment attaché à ces principes dans le cours d'une longue et pénible carrière; la haine et les persécutions des hommes forcenés de tous les partis, m'ont été une preuve consolante que je ne m'en suis pas écarté. Comme j'ose avoir la confiance qu'elles me seront un titre à l'estime de ceux qui ne savent pas voir d'un œil sec, les désastres de leur patrie, et qui éprouvent un égale horreur pour les excès, de tous les genres qui en sont la source.

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Tel je suis aujourd'hui à cet égard, et tel étois-je à la fin d'Avril 1789, lorsque je me ren

dis à Versailles pour l'ouverture des états-géné

raux.

H

MÉMOIRES

DU

COMTE JOSEPH DE PUISAYE.

L'HISTOIR

LIVRE TROISIÈME.

'HISTOIRE des états-généraux de 1789 ne sera pas une tâche facile à celui qui aura le courage 'd'écrire celle de la fin du siècle dernier. La multiplicité prodigieuse de journaux, de pamphlets et de publications de tous les genres, que l'avidité, l'ignorance, la soif pitoyable d'une célébrité passagère, et l'esprit de parti, ont accumulés dans une proportion, jusqu'alors inouïe, opposeront long-temps des difficultés insurmontables à ceux qui, les premiers, essayeront de porter la lumière dans ce cahos. L'écrivain qui se bornera à l'exactitude des faits principaux, qui sont la partie ma

térielle

térielle de l'histoire, s'exposera, s'il néglige les détails, à ne pas saisir les ressorts cachés, et les causes secrètes qui en sont la partie morale et l'esprit; et s'il se livre à cet examen, il courra le risque presque inévitable, de s'égarer dans un labyrinthe de contradictions, de mensonges et d'erreurs. L'expérience et la connoissance du cœur humain, que donne une longue révolution à ceux qui l'ont observée de près, sont les seuls guides qui pourront le diriger. Heureuse cette partie de la postérité qui, privée des secours d'un flambeau qui coûte si cher, sera réduite à douter de sa véracité! Les douze dernières années que nous avons vécu, ont produit des faits tellement invraisemblables, qu'elles ont dû lever nos doutes, sur bien des circonstances de l'antiquité, que nous ne pouvions regarder jusqu'ici que comme des fa

bles atroces.

Mais je laisse ces réflexions qui m'entraîneroient hors de mon objet, et qui sembleroient me conduire à un travail fort au-dessus de mes forces. Je n'écris point l'histoire des états - généraux, Privé de matériaux de toute espèce, j'abandonne cette entreprise à ceux qui, livrés à un genre

de

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