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remplacer, un gentilhomme de mes amis, que j'avois pris la liberté de leur recommander.

J'avouerai, d'ailleurs, que mon caractère, ami de l'indépendance et de la retraite, me faisoit éprouver une sorte d'éloignement pour les affaires publiques. Tout ce que j'étois, depuis long-temps, à portée d'observer des mouvemens qui agitoient les esprits; des inquiétudes qui se manifestoient dans leurs dispositions; du mécontentement et des murmures presqu'universels, que l'on ne se donnoit plus la peine de cacher; enfin des fausses mesures, et des fautes sans nombre que le gouvernement accumuloit chaque jour, m'avoit fait pressentir l'approche d'une scène nouvelle, dont je n'étois pas désireux d'être acteur. Je vivois ainsi, depuis un an, partageant mon loisir entre la campagne, et Paris, lorsque la cour annonça la détermination de convoquer les étatsgénéraux.

J'ai déjà parlé de l'effervescence générale qui suivit cette convocation. Je n'hésite pas à dire qu'elle fût le signal de la commotion qui a ébranlé l'Europe; et qui après une succession de secousscs, plus ou moins disparates et rapides, finira peut

Tome I.

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être

être par la destruction de sa puissance et de sa liberté; sans qu'elle sache aujourd'hui, dans quelle partie du monde se forgent les fers qui lui sont destinés *.

De ce moment, le changement qui s'étoit opéré par degrés dans l'opinion publique, éclata sans ménagemens. Le long intervalle qui s'étoit écoulé, depuis la dernière réunion des états-généraux, avoit fait perdre de vue, jusques aux formes prescrites, ou adoptées par l'usage, pour la tenue de ces assemblées solennelles. Le ministre, sous. le prétexte de s'environner de lumières, invita tous les citoyens, à rendre publics le résultat de leurs recherches. Ainsi de la contrainte d'une censure arbitraire, les imaginations Françoises passèrent, sans milieu, à un excès de liberté dont il n'étoit pas difficile de prévoir les effets. Bientôt une nuée d'écrits, de tout genre, se déborda

Lorsque je parlerai des établissemens du Canada, à la suite de ces mémoires, si j'en ai le temps; j'essayerai de développer cette idée, que je ne crois pas sans fondement. En attendant, je prie qu'on ne prenne pas le change. Je partage avec toute l'Europe la sécurité dans laquelle elle est à l'égard des Américains, mais je ne confonds pas les américains avee V'Amérique

sur

sur toutes les parties du royaume; et fit pleuvoir des milliers des pamphlets politiques, et de projets d'instructions à donner, par les assemblées électorales, à leurs députés. De tous les auteurs anciens et modernes qui ont écrit, ou qui ont essayé d'écrire sur l'origine des sociétés, et sur le droit public, il n'en est pas un qui n'ait été tiré de la poussière des bibliothéques; et publié par extraits, ou par lambeaux noyés dans des réflexions, et défigurés par des commentaires dont l'extravagance ne pouvoit être égalée, que par celle de l'empressement avec lequel ils étoient accueillis. Des hommes qui, jusqu'alors, avoient végété dans une oisive ignorance; d'autres qui s'étoient appliqués à des études purement spéculatives, mais qui n'avoient pas les premiers élémens de la connoissance pratique du cœur humain; ni de ces frottemens, de ces obstacles insurmontables que là nature oppose à chaque pas, à l'exécution de plans compassés, et à l'application d'idées exactes; se transformèrent en professeurs de publicisme ; et inondèrent les pays où ils avoient quelqu'espoir d'obtenir les suffrages, des copies de leurs productions.

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Des écoles particulières et publiques furent ouvertes, dans la capitale, et dans les provinces. Ce sont ces mêmes écoles qui, transformées en autant de cavernes d'antropophages, sous le nom de clubs, ont vomi depuis, tant de maux sur la terre. C'étoit là que des êtres qui avoient consumé leurs longues années dans des intrigues; et que des jeunes gens, à peine sortis de l'enfance, venoient prendre des leçons d'éloquence et de philosophisme; c'étoit de là qu'ils se répandoient dans les provinces, pour subjuguer l'admiration des électeurs, par un flux de mots scientifiques ou nouveaux, dont l'orateur ne savoit pas plus la signification que l'auditoire; et captiver les suffrages, par l'étalage d'une érudition souvent acquise en moins de quinze jours.

Car si l'objet général de ceux qui croyoient avoir donné la première impulsion à l'esprit public, et qui se flattoient de le diriger, étoit de se choisir des instrumens propres à leurs desseins; l'objet particulier du grand nombre n'étoit autre chose que de frayer à leur ambition, une route nouvelle; dès qu'ils s'étoient aperçu que l'ancienne alloit leur être fermée.

La

La cour étoit partagée en plusieurs partis: celui du principal ministre, qui avoit pour lui l'opinion populaire, et l'abandon du Roi, devoit être incontestablement le plus fort: et les autres s'affoiblissoient encore, en se divisant. Le premier se promettoit de maîtriser les états-généraux, en offrant des avantages réels à ceux, à quî, par le mode de convocation dont j'ai parlé, il avoit assuré une majorité nombreuse; les autres se flattoient de les influencer par de petites menées et par de sourdes intrigues; armes familières à des hommes nourris dans une molle indolence, et depuis long-temps habitués à ne point rencontrer d'obstacles; mais dont toute la vertu se dissipe, lorsque le voile des illusions est déchiré. Aucun ne négligea rien pour faire tomber sur ses partisans, ou sur soi-même, le choix des assemblées électorales.

J'étois si loin de chercher à prendre la moindre part personnelle aux affaires; que je me décidai à ne pas me montrer, au temps des élections, dans aucun des pays, où mes propriétés me donnoient le droit de suffrages. Je m'y fis représenter par procureur, et lorsque la plupart

des

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