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position qui me fut faite, d'acheter, dans la maison militaire du Roi, une charge qui, en me conduisant promptement au grade de colonel, devoit abréger de dix ans le temps que j'aurois dû l'attendre comme capitaine.

J'ai dit que le Maréchal de Brissac étoit intimement lié avec Madame de Corméry. J'avois eu, pendant mes différens séjours à Paris, l'occasion de le voir presque tous les jours, chez elle; il m'avoit pris en amitié; et jusqu'à sa mort, il avoit pris plaisir à me recevoir familièrement chez lui, moi et mes amis, qu'il m'avoit donné la liberté de lui amener lorsque je le voudrois.

A l'époque de laquelle je parle, le Duc de Brissac, son fils, étoit commandant de la compagnie de Cent-Suisses de la garde du Roi. Depuis quelques années Louis XVI avoit attaché aux emplois de ce corps, des grades militaires supérieurs, comme à ceux des compagnies de ses gardes à cheval. Mais ces derniers avoient été favorisés par une ordonnance, qui exigeoit, des officiers proposés pour les remplir, les preuves de noblesse requises pour les honneurs de la cour. On appeloit ainsi, celui d'être présenté à la famille

royale,

royale, de monter dans les carosses du Roi, et de le suivre à la chasse. Je ne fais aucune réflexion sur cette exclusion qui écartoit de la personne du souverain une partie considérable de la noblesse Françoise et tout le reste de la nation; elle se confond dans les causes particulières de nos malheurs. Quoiqu'il en soit, le Duc de Brissac désiroit ardemment d'obtenir le même privilége, pour le corps dont il étoit le chef; et déjà il avoit exigé de plusieurs officiers qu'ils se fissent présenter, avant de les admettre; je produisis en conséquence chez le généalogiste de la cour, les titres à l'appui des preuves demandées, et je reçus le brevet de l'emploi, que je me proposois de n'occuper que le temps nécessaire à mon objet, et qui m'a procuré les avantages désirés, sans même que je l'aie exercé. Cette circonstance de ma vie s'est trouvée par la suite, d'une grande utilité, pour les officiers des Cent-Suisses du Roi, et pour le Duc de Brissac, à qui j'ai procuré en 1791, le remboursement des finances de leurs charges, montant à peu près à trois millions, que, selon toutes les apparences, ils auroient perdus sans moi.

Parmi les premiers, tous gens de mérite et

d'une

d'une excellente éducation, j'ai eu deux amis à qui je resterai toujours ataché: MM. de Paschal et de Beauvois, maréchaux de camp, dans la société desquels j'ai trouvé tout ce qu'on doit se promettre d'hommes qui, à l'esprit et à l'amabilité, qui contribuent à la douceur de la vie, joignent toutes les qualités d'une belle âme. Je ne sais pas ce que l'un et l'autre sont devenus, je les ai perdus de vue, depuis la fin de l'assemblée constituante. Puissent-ils être un jour les heureux témoins du retour de l'ordre et de la paix dans leur patrie! De tous les vœux que je puis faire pour eux, je suis certain que c'est là le plus conforme à leur cœur.

Le Duc de Brissac étoit un homme rempli d'honneur, sentiment héréditaire, et porté au plus haut degré dans sa famille. Il s'est sacrifié à son devoir. Louis XVI ne l'aimoit pas; et lorsque la plupart de ceux qui se disoient les amis de ce Prince infortuné, l'ont abandonné, M. de Brissac est resté inébranlable à son poste. Vous y périrez, lui disoit-on: Je le sais, répondoit-il, et j'y demeurerai. Effectivement il fut une des victimes massacrées dans l'avenue de Versailles, par

les

les cannibales qui les avoient arrachés des prisons d'Orléans; parce que les formalités de leur code barbare étoient trop lentes encore pour la soif du sang qui les dévoroit. Ce n'étoit qu'un prélude de celui qui devoit inonder la France; assez d'autres donneront les détails de tant d'horreurs qui ne pourront être écrites, ni lues, que lorsque le laps des temps aura pu permettre d'en douter.

Le malheureux Duc de Brissac montra jusqu'à la fin, ce courage et cette intrépidité qui sont inséparables du principe qui avoit dirigé sa conduite. Assailli par une multitude d'assassins, et sans armes, il lutta long-temps contre leurs efforts, et ne succomba qu'après avoir été percé de mille coups.

Il avoit été prévenu à temps de l'atroce procédure qui devoit lui être intentée. Il pouvoit fuir: il avoit en sa possesion des sommes considérables qui l'auroient mis à l'abri du besoin, n'importe où il se fùt retiré : je venois de lui faire toucher huit cents mille francs pour le prix de sa charge; il ne manquoit ni de moyens, ni de prétextes. Il a préféré une mort glorieuse, et a laissé un nom pur et un grand exemple.

Voilà

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Voilà de ces traits que tous les partis s'empresseront de recueillir, lorsque le délire et l'engouement seront dissipés; et que l'ivresse des succès, cu la crainte des vainqueurs auront cessé d'étouffer la voix de ce sentiment, qui dilate le cœur de l'homme, au récit d'un acte héroïque; et de cet hommage secret qu'il rend forcément, tôt ou tard, à la vertu.

Le Duc de Brissac n'avoit pas l'amitié des courtisans ni des faiseurs de réputation; il étoit honnête homme.

Vers le milieu de l'année 1788, j'épousai la fille et unique héritière du Marquis de Ménilles en Normandie. Ce mariage m'ayant mis en possession d'une fort belle terre, mais à qui le défaut de soins, et les désordres qui accompagnent trop souvent une longue minorité, avoient rendu la présence du propriétaire indispensable; je fus obligé, bien à regret, de quitter la province du Perche, pour me fixer en Normandie; et je remis à mes compatriotes, l'emploi dans l'administration, que m'avoit confié leur estime. Ils m'en donnèrent un nouveau témoignage, en nommant pour me

rem

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