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quelques hommes attachent au hasard, qui les a fait descendre peut-être de quelque esclave heuselon toute apparence, ils comp

reux; tandis que, selon toute

tent, parmi leurs valets, des descendans de ses

maîtres.

Mais si l'on envisage l'institution de la noblesse, sous ses rapports essentiels avec l'existence d'un gouvernement bien organisé ; la chose s'offrira sous un point de vue différent.

Dans ce siècle où l'on s'est efforcé de soumettre les passions des hommes à la théorie des abstractions, et leurs mouvemens déréglés à la précision de calculs spéculatifs; où une ambition ignorante a été entraînée par une ambition perfide, à substituer des principes absurdes, aux axiomes que l'observation de plusieurs âges avoit consacrés; on a reproché à M. de Montesquieu, cette proposition devenue proverbe: Point de noblesse, point de monarchie.

Que l'on veuille s'entendre, peut-être conviendroit-on de la vérité de celle-ci: point de noblesse, point de société.

L'égalité, ce vernis dont l'ambition se sert, pour dorer le frein qu'elle présente à la stupidité,

est

est une chimère qui, dans tous les temps, a été et sera employée avec succès, pour égarer la multitude, et pour l'enrôler sous les enseignes des factions. Les hommes ne naissent point égaux ; et l'homme hors de la sociéte n'a de soutien que dans sa force individuelle; mais il n'a point de droits; car la nature est essentiellement variée, dans ses œuvres; et les droits ne peuvent être que les résultats des conventions. C'est dans cette in-. égalité-là même, que se trouve la cause fondamentale et première de toute société; parce. qu'elle procure au foible la protection du fort, et qu'elle oppose à l'abus des forces de celui-ci, la réunion de celles de plusieurs. L'inégalité sociale ou civile, conséquence nécessaire de l'inégalité physique ou naturelle, a donc dû commencer avec la première association. Dans ses principes, la société n'eut à balancer que des forces individuelles et physiques; mais bientôt l'inégalité d'intelligence et de génie amena le besoin de conseils et de guides; et celui-ci produisit des forces fictives ou morales, qui, soit isolées, soit réunies, mais toujours inégales entre elles, durent tracer cette multiplicité de lignes disparates, sur

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les

lesquelles sont placées les différentes classes; et sans que nulle réunion d'hommes ne peut, nonseulement subsister, mais pas même être conçue. Ce fut dans cette proportion, que chacun contribua au maintien de l'ordre, et de la sûreté publique, et qu'il obtint un droit inégal à la protection de tous; en raison de ce qu'il apporta plus ou moins de moyens pour protéger les autres; et qu'il acquit plus ou moins d'objets à mettre sous la sauvegarde générale; or, il n'est pas douteux' que chaque pas que fit l'association vers son accroissement, n'ait dû nécessairement graver de plus en plus ces lignes de démarcation, entre les hommes, qu'avoit tracées la nature.

A.

Il résulte de là que l'égalité de droits que donne la société, pour balancer l'inégalité trop prononcée des facultés naturelles; est une égalité purement relative; un bienfait qui garantit, à chaque individu, la jouissance tranquille de luimême, et de ce qu'il possède; soit qu'il soit fort' ou foible; intelligent ou borné; instruit ou ignorant; riche ou pauvre; que c'est cette égalité conventionnelle qui est placée, comme une barrière entre les droits des uns, et les atteintes des

autres ;

autres; que c'est elle qui est le garant de toutes les inégalités qui constituent l'essence de la société; que ces inégalités peuvent bien changer de noms, de place et d'objets, par des bouleversemens, que des causes générales produisent avec le temps; mais qu'elles ne peuvent jamais être anéanties, sans que la société ne le soit avec elles.

Il résulte encore de là que, "comme les gou

vernemens qui conservent le plus de formes de liberté, sont plus rapprochés de la nature, dans ce sens qu'ils exigent moins de sacrifices des facultés naturelles; il doit être, et il est dans le fait, beaucoup moins d'égalité parmi les citoyens, sous ces gouvernemens, que sous ceux qui s'en éloignent davantage.

Je n'ai pas besoin de parler des sociétés où l'esclavage a lieu; ni de celles, chez qui un accroissement considérable de population, ayant permis d'en supprimer le nom et la forme, la majeure partie des habitans, privés de l'exercice des droits politiques, est employée aux travaux réservés ailleurs aux esclaves. Ici l'inégalité est trop saillante, pour qu'il soit nécessaire de l'indiquer. Qu'étoient en effet les républiques Grecques,

Tome I.

que

que l'éloignement et le témoignage de leurs propres historiens. nous ont rendues si célèbres? sinon de petites réunions de nobles, qui comman doient à des troupeaux d'esclaves *.

Qu'étoit la république Romaine, cette maîtresse du monde, qui par le souvenir de sa splendeur, par ses institutions, par ses usages, par ses vices même, et par les vestiges de son langage, qui sont confondus dans tous les idiomes de l'Europe, a laissé aux nations les plus florissantes aujourd'hui, des marques de ses fers; sinon un peuple de nobles inégaux entre eux, qui commandoient au reste de la terre.

L'égalité entre les hommes, autant qu'il est possible de la supposer, ne peut exister et n'existe en effet, que sous une seule forme de gouverne

ment,

Je voudrois bien que les partisans du gouvernement démocratique, dans les sens différens qu'on a donnés de nos jours, à ce mot, s'accordassent pour en produire une définition exacte. Jusque-là, l'expérience de tous les siècles nous prouve qu'il ne peut pas y avoir de démocratie sans esclavage; si l'on excepte quelques bourgades, à qui l'on ne donnera pas sérieusement, le nom d'empire. Or, s'il est vrai que l'esclavage soit si nécessaire à la liberté ainsi entendue; assurément, l'immense majorité de l'espèce humaine, est intéressée à ce que ce système ne prévaille pas.

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