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à se mettre en état de faire face à l'adversaire audacieux qui semblait tomber des nues pour l'écraser au sein de sa conquête même.

Bonaparte gagnait toujours du terrain; et croyant sans difficulté resserrer son ennemi entre Gênes et son armée, de manière à lui ôter jusqu'aux moyens de se défendre, il disait fièrement à ses soldats : <<< Aura-t-on impunément violé le territoire >> français ! laisserez-vous retourner dans ses foyers >> l'armée qui a porté l'alarme dans vos familles!.. *> Marchez à sa rencontre, opposez-vous à sa re>> traite; arrachez-lui les lauriers dont elle s'est em>> parée, et, par là, apprenez au monde que la >> malédiction du destin est sur les insensés qui >> osent insulter le territoire du grand peuple!..» Cependant Mélas fut instruit que Masséna, qui commandait dans Gênes, avait été forcé de capituler, faute de vivres. Cet événement parut lui rendre le courage, et voyant son ennemi trompé dans ses calculs, il le regarda à son tour comme une proie qu'il était seulement essentiel de ne pas laisser échapper. Il marcha donc à lui en toute hâte, et bientôt il n'y eut plus que la Bormida entre les deux armées. Les Français venaient de battre à Montebello un corps de troupes autrichiennes qui s'était trouvé sur leur chemin.

• Le général autrichien passa la Bormida sur deux ponts, le 14 juin, de très-grand matin, et attaqua aussitôt l'armée française avec fureur. Celle-ci avait sa principale force dans ses ailes; par suite de cette faute militaire, son centre ne tarda pas à être enfoncé. Le comte de Mélas reporta ensuite ses efforts sur les ailes, et toutes deux cédèrent l'une après l'autre. L'aile droite fut celle qui résista le plus long-temps: les grenadiers de la garde des consuls la soutenaient, formés en carré; ils ne se retirèrent lentement qu'après avoir épuisé leurs cartouches, et emmenant au milieu d'eux leurs blessés.

A quatre heures après midi, dans un rayon de deux lieues au plus, il ne restait pas six mille hommes d'infanterie, présens à leurs drapeaux, mille chevaux, et six pièces de canon en état de faire feu. Un tiers de l'armée était hors de combat : la faim, la soif, la fatigue avaient forcé un grand nombre d'officiers de s'absenter; les tirailleurs, pour la plupart, avaient perdu la direction de leurs corps. Un défilé sur lequel s'était reployée la plus grande partie des troupes françaises, était leur seule ressource, et ne pouvait l'être long-temps. L'ennemi, sous la protection d'une artillerie formidable, jetait de l'infanterie dans les vignes et les bois qui fermaient ce défilé, tandis qu'une partie de sa cavalerie, rangée en bataille par derrière, n'attendait que le moment de sabrer les vaincus dès qu'elle pourrait arriver jusqu'à eux. Bonaparte assis au pied d'un arbre, les coudes appuyés sur ses genoux et la tête entre ses mains, était attéré et anéanti; tout paraissait désespéré.

Les divisions Lemonier et Desaix, qui se trouvaient en arrière d'une marche, paraissent à ce moment, et répondent aux cris de détresse de nos blessés, par des cris de rage et de vengeance. Bonaparte, jugeant au bon esprit qui les anime, qu'elles peuvent rétablir le combat, et en faire tourner la chance, les forme aussitôt en colonne serrée, dans le dessein de les faire déboucher sur l'ennemi qui, à son tour, a affaibli son centre pour étendre ses ailes, et cerner entièrement les débris de l'armée vaincue. Ces débris se réunissent d'eux-mêmes aux deux divisions; et l'armée française, ainsi recréée, se lance hors du défilé, animée par son général, qui, lui rappelant en peu de mots tout ce qu'il a déjà fait dans la même contrée, s'écrie d'un ton qui semble commander la victoire: Soldats, vous savez que je couche toujours sur le champ de bataille! En vain les Autrichiens veuleut arrêter ce mouvement: il porte le désordre dans leurs rangs. En un moment leur centre est culbuté et anéanti, et leur aile gauche coupée. Six mille grenadiers hongrois mettent bas les armes devant le général Kellermann fils, qui, avec huit cents hommes de. cavalerie, s'est glissé habilement entre leurs pelotons, et les a ainsi réduits à l'impossibilité de faire usage de leurs armes. Tout ce qui peut échapper de l'armée autrichienne fuit à la débandade vers la Bormida. La victoire a changé de parti: elle est désormais assurée aux Français. Mais elle leur a

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coûté la perte du jeune officier qui l'a rappelée sous leurs drapeaux; un coup mortel a atteint Desaix au moment où il chargeait pour la troisième fois à la tête de sa division.

Ce général arrivait d'Egypte. Nous avons vu quel rôle il y avait joué. Depuis long-temps ses grandes qualités étaient connues et appréciées en Europe. Toute l'armée le pleura. Il avait toujours vécu pour la gloire; elle eut sa dernière pensée. Son aide-de-camp l'avait reçu dans ses bras, et cherchait à le secourir; il lui adressa ces belles paroles en expirant: allez dire au premier consul que je meurs avec le regret de n'avoir point assez fait pour vivre dans la postérité.

La bataille de Marengo, ainsi appelée, du nom de la plaine où elle fut livrée, plaça le comte de Mélas dans la position la plus difficile. Il avait perdu presque toute son artillerie: les vivres lui étaient coupés: il se trouvait séparé de la Toscane et des provinces vénitiennes sujettes à l'empereur, et l'armée de Suchet menaçait de le placer entre deux feux; aussi capitula-t-il. La convention. fut que les Autrichiens remettraient aux Français, les forteresses de Gênes, de Savone, de Coni, de Ceva, de Turin, de Tortone, d'Alexandrie, de Milan, de Pizzigithone, d'Arona et d'Urbin; toute la Ligurie, tout le Piémont, toute la république italienne, à l'exception des villes de Peschiera, de Mantoue, de Borgoforte, de Ferrare

et d'Ancone; à ces conditions, l'armée autrichienne eut la liberté de traverser les cantonnemens français, pour se retirer derrière la ligne du Mincio.

Certes, ces avantages sont très-brillans; mais pour qu'ils pussent tourner entièrement à la gloire de Bonaparte, il faudrait que la victoire qui les produisit, fût bien son ouvrage, et il serait nécessaire encore, à cause de sa qualité de premier magistrat de la république française, que la bataille qui eut cette victoire pour résultat, n'eût pas compromis le salut de la France. Nous venons de voir tout ce que les républicains gagnèrent à la victoire de Marengo; qu'eussent-ils perdu si la défaite de l'armée française se fût achevée ce jour-là? Paris, peutêtre; car, vainqueurs à Marengo, maîtres comme ils l'étaient de Gênes, il était possible en effet que les Autrichiens vinssent asseoir leur camp jusque sous les murs de la capitale de la France, comme les Anglais le firent en 1815, après la bataille du MontSaint-Jean.

Ce qui rétablit le combat à moitié la journée, et fit tourner la chance du côté des troupes françaises, doit-il être attribué personnellement à Bonaparte? Prévit-il dès le commencement de la bataille, une arrivée aussi opportune des divisions Monnier et Desaix; et sans le caractère national des soldats qui les composaient, ces divisions eussent-elles fait d'ailleurs ce qu'elles firent? Il fallait qu'elles fussent françaises pour rétablir ainsi le combat sur un champ

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