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entendait n'agir qu'à bon escient; aussi écrivait-il le 15 mars, « à une heure de relevée », au lieutenant général comte Belliard :

« Mon général, je m'empresse de vous accuser réception de la lettre que vous m'avez fait l'honneur de m'écrire le 14 de ce mois et qui me fait d'autant plus de plaisir que depuis longtemps j'étais sans nouvelles de Paris et sans ordres; je suis d'ailleurs fort heureux de pouvoir être en relations avec vous et de vous savoir placé auprès de Son Altesse royale Monseigneur le duc de Berry.

« J'ai déjà pris des mesures pour avoir des nouvelles certaines de ce qui se passe en avant de ma position, sur les routes de Dijon, Chalon, Autun et Nevers; j'ai envoyé un officier sûr et intelligent à Avallon et j'aurai par lui des nouvelles positives; il doit envoyer des coureurs dans les envi

rons.

Le 14° régiment d'infanterie de ligne a dû s'arrêter à Avallon et, tant qu'il tiendra bon, ma position de Joigny sera bonne aussi; je m'éclaire sur toutes les routes environnantes et j'aurais pris sur moi de me retirer si j'avais cru qu'il eût été préjudiciable de tenir trop longtemps, l'esprit de mon régiment est en général bon et la discipline excellente, mais je craindrais peut-être un engagement sérieux avec le 4 régiment de hussards qui a déserté parce que mon régiment a été de brigade avec le 4 et que les soldats se connaissent.

<< Mes officiers se conduisent tous parfaitement bien et ne manqueront pas à leur devoir ni à leur serment, les sous-officies sont bons et la compagnie d'élite est animée du meilleur esprit, j'espère que le reste du régiment suivra l'impulsion et

général Lalance le 20 janvier 1801. Lieutenant le 5 juillet 1804, Fit la campagne de Prusse en 1806, la campagne d'Espagne (1808). Capitaine le 30 mars 1809, il prit part à la campagne d'Autriche et conduisit une brillante charge à la bataille d'Eckmühl avec deux escadrons du 14" régiment de chasseurs à cheval. Chef d'escadrons le 27 juin 1811, il fit la campagne de Russie. Colonel au 6o régiment de chevau-légers le 25 février 1813. Louis XVIII le nomma colonel du régiment des lanciers de Berry en garnison à Joigny le 14 septembre 1814. Après la campagne de Belgique à laquelle il prit part toujours comme colonel du 6 lanciers, la seconde Restauration le mit en non-activité. Il ne devint maréchal de camp (général de brigade) que le 2 avril 1831 et lieutenant général (général de division) que le 21 octobre 1838. Mort à Alger le 10 décembre 1850. (Archives administratives de la Guerre.)

le bon exemple; tous parlent avec respect et attachement de Monseigneur le duc de Berry.

« Malgré toutes les mauvaises nouvelles que les habitants se plaisent à répandre, il n'y a pas encore eu dans mon régiment un seul attroupement, ni propos séditieux, ni une seule désertion.

«La gendarmrie fait très bien son devoir dans la ville de Joigny et j'ai placé des plantons à la poste et aux diligences pour examiner tous les voyages.

« On dit que Monsieur (sic) le maréchal Ney s'est porté sur Lons-le-Saulnier : il n'y a encore rien de nouveau à Dijon (1), mais, d'après les dernières nouvelles, on était inquiet; tous les habitants d'Autun ont, dit-on, arboré la cocarde tricolore.

<< Dans les villages de ce pays-ci, les habitants paraissent voir les événements actuels avec plaisir, il n'y a que les gens aisés qui montrent du dévouement au Roi, mais cela se borne à des démonstrations et non à des faits (2); j'ai voulu faire partir quelques-uns de ceux de ce pays-ci qui sont en état de servir dans ces corps que l'on forme dans les départements pour la défense du Roi, et aucun d'eux n'a voulu marcher, les uns disent qu'ils sont trop vieux, les autres trop jeunes et personne ne veut payer de sa personne.

<< Il me sera peut-être difficile de correspondre tous les jours avec vous, mon général, le courrier ne passant à Joigny que trois fois la semaine, mais soyez persuadé que s'il y avait quelque chose de nouveau, je vous en préviendrais par un officier que j'enverrais en poste.

« Nous avons admiré la conduite des chasseurs de Berry (3) et j'ai mis à l'ordre de mon régiment la conduite du colonel Talhouët; j'espère que les lanciers de Berry en feraient autant en pareille circonstance. Vous connaissez les sentiments de leur colonel, mon général, il ne manquera jamais à son devoir, ni à l'honneur et vous sera toujours attaché... (4). »

(1) A cette date, le lieutenant général Heudelet, commandant la 18 division militaire, à Dijon, transportait son quartier général à Troyes.

(2) A Auxerre pourtant, deux jours avant le passage de Napoléon, M. Lepère, fils de la directrice de la Poste, et son beau-frère, M. Cartier, partirent en annonçant qu'ils allaient s'enrôler à Paris dans les volontaires royaux. (Arch. Nat., F7, 9.712.)

(3) Allusion à l'échec de la conspiration militaire du Nord. Voir sur ce sujet, H. Houssaye, 1815, tome I.

(4) Archives historiques de la Guerre, Correspondance générale.

<< Vous connaissez les sentiments de leur colonel ! » Mais à cette date la défection du régiment était déjà un fait accompli, puisque l'officier «< sûr et intelligent », envoyé à Avallon, devait y porter à Napoléon une adresse de fidélité des officiers du 6 lanciers (1). Du reste, le Ministre de la guerre n'allait pas tarder à être renseigné sur l'état d'esprit du régiment : une dépêche télégraphique, envoyée d'Auxerre par ordre du préfet Gamot, le 16 mars, signalait le très mauvais esprit du 6 de lanciers ». Il paraissait indispensable à Clarke de faire replier le régiment jusqu'à Montargis « afin de l'éloigner, autant que possible, des lieux où la malveillance paraît avoir fait des progrès». Déjà le maréchal de camp Boudin de Roville avait ordonné à Galbois de se porter sur Melun « pour conserver au Roi un régiment qui serait passé du côté de Napoléon s'il se fût trouvé en contact avec ses troupes » (2). Le régiment quitta donc sa garnison, le major général Belliard transmettait à Clarke la lettre de Galbois, « il n'a rien été écrit aujourd'hui concernant le 6 lanciers, ce régiment a l'ordre de ne rien engager; il doit, au contraire, se retirer aussitôt qu'il aura connaissance de l'approche de l'ennemi ». Galbois reçut l'ordre de se rendre à Montereau le 17 mars (3), mais alors

(1) L'Ile d'Elbe et les Cent Jours; cf. Raudot, Une Heure des Cent Jours. Le colonel Bugeaud agit de même que Galbois; il écrivait « que son régiment serait toujours dans le sentier de l'honneur et du devoir » (à Talleyrand, préfet du Loiret, 10 mars, Arch. de la Guerre), « que l'esprit de ses soldats était resté très bon » (à Clarke, 14 mars, Arch. de la Guerre) et envoyait à Napoléon le lieutenant Jean Gérard porter l'adhésion du régiment; ce dernier fut décoré par l'Empereur à Chalon-sur-Saône. (Contrôles du 14, Arch. administratives de la Guerre.) Gérard, né à Castignac (Var), le 28 mai 1793, avait été élève de Saint-Cyr. Nommé sous-lieutenant au 4° régiment de la Vistule, le 27 février 1813, il devint lieutenant le 30 mai au 140o de ligne. Adjoint à l'Etat-Major de la place de Torgau, il fut prisonnier de guerre après la reddition de cette place et rendu en août 1814. Il était lieutenant au 14° depuis le 19 août 1814. Le 15 juin 1815, il se conduisit avec la plus grande distinction au combat de Tournon où deux compagnies du 14° battirent deux régiments piémontais. Le 28, au combat de l'Hôpital, il fut blessé et cité à l'ordre de l'armée. Licencié le 16 septembre en exécution de l'ordonnance du 3 août.

(2) Boudin au Ministre de la Guerre, Auxerre, 16 mars, 8 heures du matin. Arch. historiques de la Guerre.

(3) Belliard à Clarke, 17 mars, Arch. de la Guerre.

son régiment formait l'avant-garde impériale, il retrouva Napoléon à Moret (1). L'Empereur passa en revue le 6° lanciers à Fontainebleau, 25 croix furent données et le colonel reçut la confirmation de sa nomination de commandeur de la Légion d'honneur. Le premier escadron escorta la voiture de Napoléon jusque dans la cour des Tuileries où il bivouaqua (2).

A Sens, le Conseil municipal et le sous-préfet de Busquet s'étaient empressés en apprenant le débarquement de Cannes, de « renouveler au Roi l'assurance de leur dévouement sans bornes, dont les circonstances actuelles ont redoublé l'énergie» (3). « Buonaparte» s'avançant rapidement, Clarke présentait un rapport au Roi le 17 mars sur la nécessité de déclarer la ville en état de siège avec Nemours, Montargis, Gien, Montereau et Moret (4); avec l'assentiment de Louis XVIII, le Ministre ordonnait au colonel Gérard, « homme ferme et actif », de partir sur-le-champ en poste pour aller prendre le commandement de la ville. Il lui recommandait « de prendre les mesures les plus promptes pour rétablir les moyens de défense qui existaient l'an passé » (le gouvernement de la Restauration recourant aux mesures prises par le général Allix contre les alliés, il y a de ces hasards !). Les portes devaient être fermées la nuit, le service établi conformément à l'ordonnance des places. « Le colonel ne négligera rien de ce qui peut contribuer à la sûreté, ainsi qu'au maintien de cette ville dans son devoir envers le Roi. Il rassemblera tout ce qu'il pourra de sujets fidèles et de troupes pour la défense de la place. Il lui est défendu d'écouter aucun parlementaire des troupes de Bonaparte et de les laisser approcher; s'il s'en présente, il les accueillera à coups de fusil. Je donne des ordres pour qu'il y soit envoyé des officiers d'artillerie et du génie, des officiers d'état-major, six bouches à feu et les canonniers nécessaires pour les servir (5). » Mais si Gérard put arriver à son poste, ce qui est douteux, Napoléon ne lui laissa pas le temps de faire tous ces préparatifs de défense, car il arrivait.

(1) Commandant Hupais au général Colbert, 19 mars. La Chapelle, à quatre lieues de Fontainebleau, 1 heure de l'après-midi. Arch. de la Guerre.

(2) Grammont (Carnet de la Sabretache, 1903).

(3) Voir les pièces justificatives.

(4) Archives historiques de la Guerre.

(5) Clarke à Heudelet, commandant la 18° division, 17 mars, Arch. de la Guerre. Correspondance générale.

Accompagné de Gamot et du sous-préfet Audibert, Napoléon était à Joigny le dimanche 19 mars, probablement vers 8 heures du matin; il fut reçu par les autorités qui, à l'exemple du Préfet, vinrent à sa rencontre » (1), le sous-préfet JeanBaptiste Lacam était à leur tête. M. Lacam, né le 1 avril 1759, était un ancien médecin, il devint maire de Joigny, puis sous-préfet le 31 janvier 1806. Il ne devait conserver ses fonctions que jusqu'au 20 avril 1815, le commissaire extraordinaire Thibaudeau le remplaça par Hérard (2), juge de paix à Sens.

La foule était considérable, mais uniquement composée de gens du peuple; aussi, d'après certains auteurs, Napoléon aurait demandé s'il n'y avait que de la canaille à Joigny (3). Il ne s'arrêta qu'une heure et continua sa route par Sens, où les divers fonctionnaires se présentèrent aussi pour le complimenter (4). (Gamot et Audibert ne dépassèrent pas Joigny et retournèrent à Auxerre.)

(1) Fabry, Itinéraire de Bonaparte, tome I, page 235.

(2) Jean-Baptiste Hérard, 5 septembre 1755-11 novembre 1836. Député de l'Yonne à la Convention, élu du Conseil des Anciens en octobre 1795. Juge de paix à Sens, de 1804 à 1814. Remplit les fonctions de sous-préfet à Joigny jusqu'au 2 août 1815. Louis XVIII le destitua et l'exila comme ancien conventionnel.

En 1815, faisaient partie du Conseil d'arrondissement: MM. Heetor Bezançon, de Villeneuve-le-Roi; Milloux, de Villecien; Mercier, de La Ferté-Loupière; Rousseau, de Neuilly; Salmon, notaire à Cerisiers; Protat, notaire à Saint-Julien-du-Sault; Précy, propriétaire à Chaffy; Florent, maire de Mézilles; Carreau, maire de Tannerre, et Ragon Beauchêne, de Villiers-Saint-Benoît.

(3) Toute autre fut la réception faite au duc d'Angoulême, le 18 octobre suivant. Les personnes les plus distinguées de la ville allèrent le saluer. (David, sous-préfet, au préfet de Goyon, Arch. de l'Yonne).

(4) A cette époque, le sous-préfet de Sens était M. de Busquet Michel-Georges (né le 26 avril 1734), chevalier de Saint-Louis, ancien lieutenant-colonel des dragons de Monsieur, le futur Louis XVIII, et gentilhomme de sa chambre. Le comte d'Artois l'avait nommé chevalier de la Légion d'honneur, le 21 décembre 1814. Il fut remplacé sous la deuxième Restauration par M. Durand.

Conseil d'arrondissement: MM. Bagard de Montacher, de Ché_

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