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et par les motifs que

<< naire.» C'est après un mûr examen, nous venons d'exposer, que nous partageons sciemment le ridicule. Ce qu'il y a de singulier dans le jugement un peu sévère de l'éditeur, c'est qu'en ôtant le titre de Discours à cette production, il l'a conservé dans le volume intitulé Discours. Il en donne deux raisons : la première est que cet ouvrage sert comme d'introduction au volume suivant, uniquement consacré à la politique. Comme une introduction nous semble beaucoup mieux placée au commencement du volume auquel elle est destinée qu'à la fin de celui qui le précède, nous avons cru devoir mettre en tête des ouvrages de Rousseau sur la politique, celui dans lequel il expliquait les éléments de cette science:

La seconde raison de l'éditeur est, que l'article prétendu fait suite en quelque sorte au Discours sur l'Inégalité des conditions. Ce dernier discours étant académique, composé pour répondre à l'appel fait par l'académie de Dijon et pour concourir sur le sujet proposé par cette société, nous devions le classer d'après sa forme et non d'après la matière traitée 3. Ces explications étaient nécessaires pour nous justifier d'avoir conservé le titre de Discours à l'écrit sur l'économie politique, malgré la proscription du dernier éditeur, et, tout en conservant ce titre, de n'avoir pas compris cet ouvrage au nombre des Discours 4. Le lecteur devait être juge entre deux éditeurs

I OEuvres de J. J. Rousseau, Paris, Lequien, 1823, tom. II, p. 212. Ici, contre l'exemple de tous les éditeurs, M. Lequien supprime le titre de Discours, mais on verra, page 8, note, une conduite tout opposée.

2 Toutefois avec Rousseau, qui peut être considéré comme approuvant les deux éditions pour lesquelles il fut consulté par l'abbé de Laporte et Michel Rey, avec Dupeyrou, Mercier, l'abbé Brisard, MM. Delaunaye, Villenave, Depping, etc., éditeurs des OEuvres de Jean-Jacques, et coupables tous du même délit.

3 Du reste, l'article sur l'économie politique ne fait nullement et ne peut faire suite au Discours sur l'Inégalité des conditions; et quand même on les classerait tous les deux dans le nombre des écrits sur la politique, il faudrait toujours commencer par celui qui renferme les éléments de la science, et qui doit conséquemment précéder tous les ouvrages dans lesquels l'auteur fait l'application des principes de cette science.

4 Dans l'avertissement du deuxième volume de la présente édition, nous rappelons les leçons de nos maîtres ainsi que les règles qu'ils ont prescrites, et d'après lesquelles une production littéraire peut être considérée comme un véritable discours, quand même elle n'en porterait pas le titre.

d'un avis opposé, qui semblent agir contradictoirement au principe posé par eux, et savoir pourquoi l'un, en refusant le titre de discours à l'écrit sur l'économie politique, le classait cependant parmi les discours, tandis que l'autre, en lui conservant ce titre qu'il a toujours eu, le séparait des discours.

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Jean-Jacques commença sous le titre d'Institutions politiques un ouvrage de longue haleine dont il conçut le projet pendant qu'il était secrétaire d'ambassade à Venise. « J'avais vu, dit-il, que tout tenait radicalement à la politique, et que, de quelque façon qu'on s'y prît, aucun peuple ne serait jamais que ce que << la nature de son gouvernement le ferait être. Ainsi la question << du meilleur gouvernement possible me paraissait se réduire « à celle-ci. Quel est celui qui, par sa nature, se tient toujours << le plus près de la loi? De là une chaîne de questions de la plus «< haute importance. » Pour achever ce grand ouvrage il fallait du temps, du loisir, de la solitude, et ce calme de l'esprit si nécessaire pour l'étude et la méditation. Rousseau se vit donc forcé d'abandonner cet utile travail. Pendant qu'il s'y livrait, Diderot le chargea de l'article Économie politique pour l'Encyclopédie. Il est probable qu'il le tira de l'ouvrage qu'il avait commencé, mais il ne le dit point; tandis qu'il assure avoir extrait de ses Institutions politiques, le Contrat social. Afin de lire ce dernier avec fruit, et surtout de ne pas condamner l'auteur sans l'entendre, il faut prendre connaissance de la vio des Lettres de la Montagne, et dans la correspondance, de plusieurs lettres où Jean-Jacques explique sa pensée 1.

L'ordre que nous suivons dans ce volume nous était en quelque sorte prescrit par la nature même des ouvrages dont il se compose. Le discours qui contient les principes de la science est, suivi du Contrat social et des Considérations sur le gouvernement de Pologne. Rousseau y fait l'application de ces principes, avec cette différence que, dans le premier de ces deux ouvrages, ce n'est point sur un peuple déjà soumis à des lois, tandis qu'il l'est dans le second. L'un est consacré à des généralités; l'autre est spécial. Cette distinction fait voir combien on se serait éloigné du but et des intentions de l'auteur en s'au

I Entre autres celles du 15 juillet 1763, 25 juillet 1767.

I

torisant du Contrat social pour changer le gouvernement d'un empire supposition qu'on a faite et qui ne nous paraît pas plus fondée que la supposition contraire 2.

Après les Considérations sur le gouvernement de Pologne viennent les Lettres sur la législation des Corses, peuple dont les chefs s'adressèrent à Rousseau.

Ce volume est terminé par l'extrait des ouvrages de l'abbé de Saint-Pierre, l'un sur le projet de paix perpétuelle et l'autre sur la polysynodie ou pluralité des conseils, que l'abbé voulait introduire dans l'administration du régent. Ces deux écrits n'ont point pour sujet l'art de gouverner en général.

Il fallait, d'après notre méthode, préférer la marche des idées à l'ordre chronologique : en adoptant celui-ci, nous aurions classé ces divers ouvrages de la manière suivante : le Discours sur l'économie politique, le Contrat social, l'Extrait des ouvrages de l'abbé de Saint-Pierre, les Lettres sur la Corse et les Considérations sur le gouvernement de Pologne.

Nous donnons ailleurs3 des détails historiques sur chacun de ces ouvrages, les circonstances dans lesquelles ils furent composés, et l'effet qu'ils produisirent.

M.-P.

1 Quand on met des principes en avant, d'après un ordre de choses exigé pour l'application de ces principes, si cette application se fait dans un autre ordre de choses, l'auteur n'en est plus responsable. Du reste, il est difficile de croire que le Contrat social ait été lu, médité par ceux qu'on a supposé agir d'après l'étude de cet ouvrage.

2 M. le comte Ferrand, aujourd'hui pair de France, publia en 1790 un ouvrage intitulé Adresse d'un citoyen très-actif, et dans lequel il voulut prouver, par trente-un passages extraits du Contrat social, que tous les décrets de l'assemblée nationale étaient en contradiction avec la doctrine de Rousseau. En 1791 Mercier prétendit (en deux gros volumes in-8°) que Jean-Jacques était un des premiers auteurs de la révolution; il parut en même temps le J. J. Rousseau aristocrate de M. Le Normand, in-8°, et le J. J. Rousseau accusateur des prétendus philosophes de son siècle, par un Italien, traduit en français, et publié à Lyon en 1807. Ce catalogue, qui n'est probablement pas complet, ne suffit-il pas pour détruire l'accusation?

3 Hist. de J. J. Rousseau, tom. II, de la page 412 à la page 431.

SUR

L'ÉCONOMIE POLITIQUE.

Le mot d'ÉCONOMIE ou d'OECONOMIE vient de oixos, maison, et de vóuos, loi, et ne signifie originairement que le sage et légitime gouvernement de la maison pour le bien commun de toute la famille. Le sens de ce terme a été dans la suite étendu au gouvernement de la grande famille, qui est l'état. Pour distinguer ces deux acceptions, on l'appelle, dans ce dernier cas, économie générale ou politique; et dans l'autre, économie domestique ou particulière. Ce n'est que de la première qu'il est question dans cet article.

Quand il y aurait entre l'état et la famille autant de rapport que plusieurs auteurs le prétendent, il ne s'ensuivrait pas pour cela que les règles de conduite propres à l'une de ces deux sociétés fussent convenables à l'autre : elles diffèrent trop en grandeur pour pouvoir être administrées de la même manière; et il y aura toujours une extrême différence entre le gouvernement domestique, où le père peut tout voir par lui-même, et le gouvernement civil, où le chef ne voit presque rien que par les yeux d'autrui. Pour que les choses de

R. V.

vinssent égales à cet égard, il faudrait que les talents, la force, et toutes les facultés du père, augmentassent en raison de la grandeur de la famille, et que l'ame d'un puissant monarque fût à celle d'un homme ordinaire comme l'étendue de son empire est à l'héritage d'un particulier.

Mais comment le gouvernement de l'état pourrait-il être semblable à celui de la famille, dont le fondement est si différent? Le père étant physiquement plus fort que ses enfants, aussi longtemps que son secours leur est nécessaire, le pouvoir paternel passe avec raison pour être établi par la nature. Dans la grande famille, dont tous les membres sont naturellement égaux, l'autorité politique, purement arbitraire quant à son institution, ne peut être fondée que sur des conventions, ni le magistrat commander aux autres qu'en vertu des lois. Le pouvoir du père sur les enfants, fondé sur leur avantage particulier, ne peut, par sa nature, s'étendre jusqu'au droit de vie et de mort : mais le pouvoir souverain, qui n'a d'autre objet que le bien commun, n'a d'autres bornes que celles de l'utilité publique bien entendue; distinction que j'expliquerai dans son lieu. Les devoirs du père lui sont dictés par des sentiments naturels, et d'un ton qui lui permet rarement de désobéir. Les chefs n'ont point de semblable règle, et ne sont réellement tenus envers le peuple qu'à ce qu'ils lui ont promis de faire, et dont il est en droit d'exiger l'exécution. Une autre différence plus importante encore, c'est que, les enfants n'ayant rien que ce

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