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général mieux administrées que celles des monarchies, il est à croire qu'elles le seront mieux, ou du moins plus fidèlement, par un conseil que par un ministre; et que si, peut-être, un conseil est d'abord moins capable de l'activité nécessaire pour les tirer d'un état de désordre, il est aussi moins sujet à la négligence ou à l'infidélité qui les y font tomber: ce qui ne doit pas s'entendre d'une assemblée passagère et subordonnée, mais d'une véritable polysynodie, où les conseils aient réellement le pouvoir qu'ils paraissent avoir, où l'administration des affaires ne leur soit pas enlevée par des demi-visirs, et où, sous les noms spécieux de conseil d'état ou de conseil des finances, ces corps ne soient pas seulement des tribunaux de justice ou des chambres des comptes.

CHAPITRE XI.

Conclusion.

Quoique les avantages de la polysynodie ne soient pas sans inconvénients, et que les inconvénients des autres formes d'administration ne soient pas sans avantages, du moins apparents, quiconque fera sans partialité le parallèle des uns et des autres trouvera que la polysynodie n'a point d'inconvénients essentiels qu'un bon gouvernement ne puisse aisément supporter; au lieu que tous ceux du visirat et du demi-visirat attaquent les fondements mêmes de la constitution; qu'une administration

non interrompue peut se perfectionner sans cesse, progrès impossibles dans les intervalles et révolutions du visirat; que la marche égale et unie d'une polysynodie, comparée avec quelques moments brillants du visirat, est un sophisme grossier qui n'en saurait imposer au vrai politique, parce que ce sont deux choses fort différentes que l'administration rare et passagère d'un bon visir, et la forme générale du visirat, où l'on a toujours des siècles de désordre sur quelques années de bonne conduite; que la diligence et le secret, les seuls vrais avantages du visirat, beaucoup plus nécessaires dans les mauvais gouvernements que dans les bons, sont de faibles suppléments au bon ordre, à la justice, et à la prévoyance, qui préviennent les maux au lieu de les réparer; qu'on peut encore se procurer ces suppléments au besoin dans la polysynodie par des commissions extraordinaires, sans que le visirat ait jamais pareille ressource pour les avantages dont il est privé; que même l'exemple de l'ancien sénat de Rome et de celui de Venise prouve que des commissions ne sont pas toujours nécessaires dans un conseil pour expédier les plus importantes affaires promptement et secrètement; que le visirat et le demi-visirat avilissant, corrompant, dégradant les ordres inférieurs, exigeraient pourtant des hommes parfaits dans ce premier rang; qu'on n'y peut guère monter ou s'y maintenir qu'à force de crimes, ni s'y bien comporter qu'à force de vertus ; qu'ainsi toujours en obstacle à lui-même, le gouvernement engendre continuel

lement les vices qui le dépravent, et, consumant l'état pour se renforcer, périt enfin comme un édifice qu'on voudrait élever sans cesse avec des matériaux tirés de ses fondements. C'est ici la considération la plus importante aux yeux de l'homme d'état, et celle à laquelle je vais m'arrêter. La meilleure forme de gouvernement, ou du moins la plus durable, est celle qui fait les hommes tels qu'elle a besoin qu'ils soient. Laissons les lecteurs réfléchir sur cet axiome, ils en feront aisément l'application.

JUGEMENT

SUR

LA POLYSYNODIE.

De tous les ouvrages de l'abbé de Saint-Pierre, le discours sur la polysynodie est, à mon avis, le plus approfondi, le mieux raisonné, celui où l'on trouve le moins de répétitions, et même le mieux écrit; éloge dont le sage auteur se serait fort peu soucié, mais qui n'est pas indifférent aux lecteurs superficiels. Aussi cet écrit n'était-il qu'une ébauche qu'il prétendait n'avoir pas eu le temps d'abréger, mais qu'en effet il n'avait pas eu le temps de gâter pour vouloir tout dire; et Dieu garde un lecteur impatient des abrégés de sa façon !

Il a su même éviter dans ce discours le reproche si commode aux ignorants qui ne savent mesurer le possible que sur l'existant, ou aux méchants qui ne trouvent bon que ce qui sert à leur méchanceté, lorsqu'on montre aux uns et aux autres que ce qui est pourrait être mieux. Il a, dis-je, évité cette grande prise que la sottise routinée a presque toujours sur les nouvelles vues de la raison, avec ces mots tranchants de projets en l'air et de réveries ; car, quand il écrivait en faveur de la polysynodie, il la trouvait établie dans son pays. Toujours pai

sible et sensé, il se plaisait à montrer à ses compatriotes les avantages du gouvernement auquel ils étaient soumis; il en faisait une comparaison raisonnable et discrète avec celui dont ils venaient d'éprouver la rigueur. Il louait le système du prince régnant, il en déduisait les avantages; il montrait ceux qu'on y pouvait ajouter; et les additions même qu'il demandait consistaient moins, selon lui, dans des changements à faire, que dans l'art de perfectionner ce qui était fait. Une partie de ses vues lui étaient venues sous le règne de Louis XIV; mais il avait eu la sagesse de les taire jusqu'à ce que l'intérêt de l'état, celui du gouvernement et le sien lui permissent de les publier.

Il faut convenir cependant que, sous un même nom, il y avait une extrême différence entre la polysynodie qui existait et celle que proposait l'abbé de Saint-Pierre; et, pour peu qu'on y réfléchisse, on trouvera que l'administration qu'il citait en exemple lui servait bien plus de prétexte que de modèle pour celle qu'il avait imaginée. Il tournait même avec assez d'adresse en objections contre son propre système, les défauts à relever dans celui du régent, et, sous le nom de réponses à ses objections, il montrait sans danger et ces défauts et leurs remèdes. Il n'est pas impossible que le régent, quoique souvent loué dans cet écrit par des tours qui ne manquent pas d'adresse, ait pénétré la finesse de cette critique, et qu'il ait abandonné l'abbé de Saint-Pierre par pique autant que par faiblesse, plus offensé peut-être des défauts qu'on

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