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donner la primauté dans le corps qu'il voulait instituer..

De plus, ses apprêts ne se bornaient point à former au-dehors des ligues redoutables, ni à contracter alliance avec ses voisins et ceux de son ennemi. En intéressant tant de peuples à l'abaissement du premier potentat de l'Europe, il n'oubliait pas de se mettre en état par lui-même de le devenir à son tour. Il employa quinze ans de paix à faire des préparatifs dignes de l'entrepise qu'il méditait. Il remplit d'argent ses coffres, ses arsenaux d'artillerie, d'armes, de munitions; il ménagea de loin des ressources pour les besoins imprévus: mais il fit plus que tout cela sans doute en gouvernant sagement ses peuples, en déracinant insensiblement toutes les semences de divisions, et en mettant un si bon ordre à ses finances, qu'elles pussent fournir à tout sans fouler ses sujets; de sorte que, tranquille au-dedans et redoutable au-dehors, il se vit en état d'armer et d'entretenir soixante mille

hommes et vingt vaisseaux de guerre, de quitter son royaume sans y laisser la moindre source de désordre, et de faire la guerre durant six ans sans toucher à ses revenus ordinaires ni mettre un sou de nouvelles impositions.

A tant de préparatifs, ajoutez, pour la conduite de l'entreprise, le même zèle et la même prudence qui l'avaient formée, tant de la part de son ministre que de la sienne; enfin, à la tête des expéditions militaires, un capitaine tel que lui, tandis que son adversaire n'en avait plus à lui opposer:

et vous jugerez si rien de ce qui peut annoncer un heureux succès manquait à l'espoir du sien. Sans avoir pénétré ses vues, l'Europe attentive à ses immenses préparatifs en attendait l'effet avec une sorte de frayeur. Un léger prétexte allait commencer cette grande révolution; une guerre, qui devait être la dernière, préparait une paix immortelle, quand un événement dont l'horrible mystère doit augmenter l'effroi vint bannir à jamais le dernier espoir du monde. Le même coup qui trancha les jours de ce bon roi, replongea l'Europe dans d'éternelles guerres qu'elle ne doit plus espérer de voir finir. Quoi qu'il en soit, voilà les moyens que Henri IV avait rassemblés pour former le même établissement que l'abbé de Saint-Pierre prétendait faire avec un livre.

pas

bon :

: qu'on

Qu'on ne dise donc point que si son système n'a pas été adopté, c'est qu'il n'était dise au contraire qu'il était trop bon pour être adopté; car le mal et les abus, dont tant de gens profitent, s'introduisent d'eux-mêmes. Mais ce qui est utile au public ne s'introduit guère que par la force, attendu que les intérêts particuliers y sont presque toujours opposés. Sans doute la paix perpétuelle est à présent un projet bien absurde; mais qu'on nous rende un Henri IV et un Sully, la paix perpétuelle redeviendra un projet raisonnable: ou plutôt admirons un si beau plan, mais consolonsnous de ne pas le voir exécuter; car cela ne peut

se faire que par des moyens violents et redoutables

à l'humanité.

On ne voit point de ligues fédératives s'établir autrement que par des révolutions: et, sur ce principe, qui de nous oserait dire si cette ligue européenne est à désirer ou à craindre ? Elle ferait peut-être plus de mal tout d'un coup qu'elle n'en préviendrait pour des siècles 1.

I

Voyez Hist. de J. J. Rousseau, tom. II, p. 425 et suivantes, un rapprochement entre cette ligue fédérative, celle que nous avons conclue, et les conditions nécessaires pour la durée de celle-ci.

POLYSYNODIE

DE

L'ABBÉ DE SAINT-PIERRE.

CHAPITRE I.

Nécessité, dans la monarchie, d'une forme de gouvernement subordonnée au prince.

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Si les princes regardaient les fonctions du gouvernement comme des devoirs indispensables, les plus capables s'en trouveraient les plus surchargés ; leurs travaux, comparés à leurs forces, leur paraîtraient toujours excessifs, et on les verrait aussi ardents à resserrer leurs états ou leurs droits qu'ils sont avides d'étendre les uns et les autres ; et le poids de la couronne écraserait bientôt la plus forte tête qui voudrait sérieusement la porter. Mais, loin d'envisager leur pouvoir par ce qu'il a de pénible et d'obligatoire, ils n'y voient que le plaisir de commander; et, comme le peuple n'est à leurs yeux que l'instrument de leurs fantaisies, plus ils ont de fantaisies à contenter, plus le besoin d'usurper augmente; et plus ils sont bornés et petits d'entendement, plus ils veulent être grands et puissants en autorité.

Cependant le plus absolu despotisme exige encore un travail pour se soutenir : quelques maximes qu'il établisse à son avantage, il faut toujours qu'il les

couvre d'un leurre d'utilité publique; qu'employant la force des peuples-contre eux-mêmes, il les empêche de la réunir contre lui; qu'il étouffe continuellement la voix de la nature, et le cri de la liberté, toujours prêt à sortir de l'extrême oppression. Enfin, quand le peuple ne serait qu'un vil troupeau sans raison, encore faudrait-il des soins pour le conduire; et le prince qui ne songe point à rendre heureux ses sujets n'oublie pas, au moins, s'il n'est insensé, de conserver son patrimoine.

Qu'a-t-il donc à faire pour concilier l'indolence avec l'ambition, la puissance avec les plaisirs, et l'empire des dieux avec la vie animale? Choisir pour soi les vains honneurs, l'oisiveté, et remettre à d'autres les fonctions pénibles du gouvernement, en se réservant tout au plus de chasser ou changer ceux qui s'en acquittent trop mal ou trop bien. Par cette méthode, le dernier des hommes tiendra paisiblement et commodément le sceptre de l'univers; plongé dans d'insipides voluptés, il promènera, s'il veut, de fête en fête son ignorance et son ennui. Cependant on le traitera de conquérant, d'invincible, de roi des rois, d'empereur auguste, de monarque du monde, et de majesté sacrée. Oublié sur le trône, nul aux yeux de ses voisins, et même à ceux de ses sujets, encensé de tous sans être obéi de personne, faible instrument de la tyrannie des courtisans et de l'esclavage du peuple, on lui dira qu'il règne, et il croira régner. Voilà le tableau général du gouvernement de toute monarchie trop étendue. Qui veut. soutenir le monde,

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