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il ne faut pas qu'il en recherche les avantages, ni qu'il veuille l'effet en rejetant les moyens de l'obtenir. Si la Pologne était, selon mon désir, une confédération de trente-trois petits états, elle réunirait la force des grandes monarchies et la liberté des petites républiques; mais il faudrait pour cela renoncer à l'ostentation, et j'ai peur que cet article ne soit le plus difficile.

De toutes les manières d'asseoir un impôt, la plus commode et celle qui coûte le moins de frais est sans contredit la capitation; mais c'est aussi la plus forcée, la plus arbitraire, et c'est sans doute pour cela que Montesquieu la trouve servile, quoiqu'elle ait été la seule pratiquée par les Romains, et qu'elle existe encore en ce moment en plusieurs républiques, sous d'autres noms à la vérité, comme à Genève, où l'on appelle cela payer les gardes, et où les seuls citoyens et bourgeois paient cette taxe, tandis que les habitants et natifs en paient d'autres; ce qui est exactement le contraire de l'idée de Montesquieu.

Mais comme il est injuste et déraisonnable d'imposer les gens qui n'ont rien, les impositions réelles valent toujours mieux que les personnelles : seulement il faut éviter celles dont la perception est difficile et coûteuse, et celles surtout qu'on élude par la contrebande, qui fait des non-valeurs, remplit l'état de fraudeurs et de brigands, et corrompt la fidélité des citoyens. Il faut que l'imposition soit si bien proportionnée, que l'embarras de la fraude en surpasse le profit. Ainsi jamais d'impôt sur ce

R. V.

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qui se cache aisément, comme la dentelle et les bijoux; il vaut mieux défendre de les porter que de les entrer. En France on excite à plaisir la tentation de la contrebande, et cela me fait croire que la ferme trouve son compte à ce qu'il y ait des contrebandiers. Ce système est abominable et contraire à tout bon sens. L'expérience apprend que le papier timbré est un impôt singulièrement onéreux aux pauvres, gênant pour le commerce, qui multiplie extrêmement les chicanes, et fait beaucoup crier le peuple partout où il est établi : je ne conseillerais pas d'y penser. Celui sur les bestiaux me paraît beaucoup meilleur, pourvu qu'on évite la fraude; car toute fraude possible est toujours une source de maux. Mais il peut être onéreux aux contribuables en ce qu'il faut le payer en argent, et le produit des contributions de cette espèce est trop sujet à être dévoyé de sa destination.

L'impôt le meilleur, à mon avis, le plus naturel, et qui n'est point sujet à la fraude, est une taxe proportionnelle sur les terres, et sur toutes les terres sans exception, comme l'ont proposée le maréchal de Vauban et l'abbé de Saint-Pierre; car enfin c'est ce qui produit qui doit payer. Tous les biens royaux, terrestres, ecclésiastiques et en roture, doivent payer également, c'est-à-dire proportionnellement à leur étendue et à leur produit, quel qu'en soit le propriétaire. Cette imposition paraîtrait demander une opération préliminaire qui serait longue et coûteuse, savoir un cadastre

général. Mais cette dépense peut très-bien s'éviter, et même avec avantage, en asseyant l'impôt non sur la terre directement, mais sur son produit, ce qui serait encore plus juste; c'est-à-dire en établissant dans la proportion qui serait jugée convenable une dîme qui se lèverait en nature sur la récolte, comme la dîme ecclésiastique; et, pour éviter l'embarras des détails et des magasins, on affermerait ces dîmes à l'enchère, comme font les curés ; en sorte que les particuliers ne seraient tenus de payer la dîme que sur leur récolte, et ne la paieraient de leur bourse que lorsqu'ils l'aimeraient mieux ainsi, sur un tarif réglé par le gouvernement. Ces fermes réunies pourraient être un objet de commerce, par le débit des denrées qu'elles produiraient, et qui pourraient passer à l'étranger par la voie de Dantzick ou de Riga. On éviterait encore par là tous les frais de perception et de régie, toutes ces nuées de commis et d'employés si odieux au peuple, si incommodes au public; et, ce qui est le plus grand point, la république aurait de l'argent sans que les citoyens fussent obligés d'en donner; car je ne répéterai jamais assez que ce qui rend la taille et tous les impôts onéreux au cultivateur, est qu'ils sont pécuniaires, et qu'il est premièrement obligé de vendre pour parvenir à payer.

CHAPITRE XII.

Système militaire.

De toutes les dépenses de la république, l'entretien de l'armée de la couronne est la plus considérable, et certainement les services que rend cette armée ne sont pas proportionnés à ce qu'elle coûte. Il faut pourtant, va-t-on dire aussitôt, des troupes pour garder l'état. J'en conviendrais si ces troupes le gardaient en effet; mais je ne vois pas que cette armée l'ait jamais garanti d'aucune invasion, et j'ai grand'peur qu'elle ne l'en garantisse pas plus dans la suite.

La Pologne est environnée de puissances belliqueuses qui ont continuellement sur pied de nombreuses troupes parfaitement disciplinées, auxquelles, avec les plus grands efforts, elle n'en pourra jamais opposer de pareilles sans s'épuiser en très-peu de temps, surtout dans l'état déplorable où celles qui la désolent vont la laisser. D'ailleurs on ne la laisserait pas faire; et si, avec les ressources de la plus vigoureuse administration, elle voulait mettre son armée sur un pied respectable, ses voisins, attentifs à la prévenir, l'écraseraient bien vite avant qu'elle pût exécuter son projet. Non, si elle ne veut que les imiter, elle ne leur résistera jamais.

La nation polonaise est différente de naturel,

de gouvernement, de moeurs, de langage, nonseulement de celles qui l'avoisinent, mais de tout le reste de l'Europe. Je voudrais qu'elle en différât encore dans sa constitution militaire, dans sa tactique, dans sa discipline, qu'elle fût toujours elle et non pas une autre. C'est alors seulement qu'elle sera tout ce qu'elle peut être, et qu'elle tirera de son sein toutes les ressources qu'elle peut avoir. La plus inviolable loi de la nature est la loi du plus fort. Il n'y a point de législation, point de constitution qui puisse exempter de cette loi. Chercher les moyens de vous garantir des invasions d'un voisin plus fort que vous, c'est chercher une chimère. C'en serait une encore plus grande de vouloir faire des conquêtes et vous donner une force offensive; elle est incompatible avec la forme de votre gouvernement. Quiconque veut être libre ne doit pas vouloir être conquérant. Les Romains le furent par nécessité, et, pour ainsi dire, malgré eux-mêmes. La guerre était un remède nécessaire au vice de leur constitution. Toujours attaqués et toujours vainqueurs, ils étaient le seul peuple discipliné parmi des barbares, et devinrent les maîtres du monde en se défendant toujours. Votre position est si différente, que vous ne sauriez même vous défendre contre qui vous attaquera. Vous n'aurez jamais la force offensive; de long-temps vous n'aurez la défensive; mais vous aurez bientôt, ou pour mieux dire vous avez déjà la force conservatrice, qui, même subjugués, vous garantira de la destruction, et conservera votre gouvernement et

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