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haute voix, afin que la conduite et l'opinion de chaque nonce à la diète soient connues, et qu'il en réponde en son propre et privé nom. Mais cette matière des suffrages étant une de celles que j'ai discutées avec le plus de soin dans le Contrat social*, il est superflu de me répéter ici.

Quant aux élections, on trouvera peut-être d'a-· bord quelque embarras à nommer à la fois dans chaque diète tant de sénateurs députés, et en général aux élections d'un grand nombre sur un plus grand nombre qui reviendront quelquefois dans le projet que j'ai à proposer; mais, en recourant pour cet article au scrutin, l'on ôterait aisément cet embarras au moyen de cartons imprimés et numérotés qu'on distribuerait aux électeurs la veille de l'élection, et qui contiendraient les noms de tous les candidats entre lesquels cette élection doit être faite. Le lendemain les électeurs viendraient à la file rapporter dans une corbeille tous leurs cartons, après avoir marqué, chacun dans le sien, ceux qu'il élit ou ceux qu'il exclut, selon l'avis qui serait en tête des cartons. Le déchiffrement de ces mêmes cartons se ferait tout de suite, en présence de l'assemblée, par le secrétaire de la diète, assisté de deux autres secrétaires ad actum, nommés sur-le-champ par le maréchal dans le nombre des nonces présents. Par cette méthode, l'opération deviendrait si courte et si simple, que, sans dispute et sans bruit, tout le sénat se remplirait aisément dans une séance. Il est vrai qu'il faudrait encore une règle

Livre Iv, chap. II et Iv.

pour déterminer la liste des candidats; mais cet article aura sa place et ne sera pas oublié.

Reste à parler du roi, qui préside à la diète, et qui doit être, par sa place, le suprême administrateur des lois.

CHAPITRE VIII.

Du roi.

n'est pas

tellement

C'est un grand mal que le chef d'une nation soit l'ennemi né de la liberté, dont il devrait être le défenseur. Ce mal, à mon avis, n'est inhérent à cette place qu'on ne pût l'en détacher, ou du moins l'amoindrir considérablement. Il n'y a point de tentation sans espoir. Rendez l'usurpation impossible à vos rois, vous leur en ôterez la fantaisie; et ils mettront, à vous bien gouverner et à vous défendre, tous les efforts qu'ils font maintenant pour vous asservir. Les instituteurs de la Pologne, comme l'a remarqué M. le comte de Wielhorski, ont bien songé à ôter aux rois les moyens de nuire, mais non pas celui de corrompre; et les graces dont ils sont les distributeurs leur donnent abondamment ce moyen. La difficulté est qu'en leur ôtant cette distribution l'on paraît leur tout ôter c'est pourtant ce qu'il ne faut pas faire; car : autant vaudrait n'avoir point de roi ; et je crois impossible à un aussi grand état que la Pologne de s'en passer, c'est-à-dire d'un chef suprême qui soit

à vie. Or, à moins que le chef d'une nation ne soit tout-à-fait nul, et par conséquent inutile, il faut bien qu'il puisse faire quelque chose; et si peu qu'il fasse, il faut nécessairement que ce soit du bien ou du mal.

Maintenant tout le sénat est à la nomination du roi: c'est trop. S'il n'a aucune part à cette nomination, ce n'est pas assez. Quoique la pairie en Angleterre soit aussi à la nomination du roi, elle en est bien moins dépendante, parce que cette pairie une fois donnée est héréditaire; au lieu que les évêchés, palatinats, et castellanies, n'étant qu'à vie, retournent, à la mort de chaque titulaire, à la nomination du roi.

J'ai dit comment il me paraît que cette nomination devrait se faire; savoir, les palatins et grands castellans, à vie et par leurs diétines respectives; les castellans du second rang, à temps et par la diète. A l'égard des évêques, il me paraît difficile, à moins qu'on ne les fasse élire par leurs chapitres, d'en ôter la nomination au roi et je crois qu'on peut la lui laisser, excepté toutefois celle de l'archevêque de Gnesne*, qui appartient naturellement à la diète ; à moins qu'on n'en sépare la primatie, dont elle seule doit disposer. Quant aux ministres, surtout les grands généraux et grands trésoriers, quoique leur puissance, qui fait contre - poids à

* Gnesne était autrefois la capitale de la Pologne. Son archevêque, primat du royaume et légat né du saint-siége, était chef de la république pendant l'interrègne, et c'était en son nom que s'expédiaient les universaux pour la diète dite d'élection; il couronnait les rois et les reines.

R. V.

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celle du roi, doive être diminuée en proportion de la sienne, il ne me paraît pas prudent de laisser au roi le droit de remplir ces places par ses créatures, et je voudrais au moins qu'il n'eût que le choix sur un petit nombre de sujets présentés par la diète. Je conviens que, ne pouvant plus ôter ces places après les avoir données, il ne peut plus compter absolument sur ceux qui les remplissent: mais c'est assez du pouvoir qu'elles lui donnent sur les aspirants, sinon pour le mettre en état de changer la face du gouvernement, du moins pour lui en laisser l'espérance; et c'est surtout cette espérance qu'il importe de lui ôter à tout prix.

Pour le grand chancelier, il doit, ce me semble, être de nomination royale. Les rois sont les juges nés de leurs peuples; c'est pour cette fonction, quoiqu'ils l'aient tous abandonnée, qu'ils ont été établis : elle ne peut leur être ôtée; et quand ils ne veulent pas la remplir eux-mêmes, la nomination de leurs substituts en cette partie est de leur droit, parce que c'est toujours à eux de répondre des jugements qui se rendent en leur nom. La nation peut, il est vrai, leur donner des assesseurs, et le doit lorsqu'ils ne jugent pas eux-mêmes : ainsi le tribunal de la couronne, où préside, non le roi, mais le grand chancelier, est sous l'inspection de la nation, et c'est avec raison que les diétines en nomment les autres membres. Si le roi jugeait en personne, j'estime qu'il aurait le droit de juger seul. En tout état de cause son intérêt serait toujours d'être juste, et jamais des jugements

iniques ne furent une bonne voie pour parvenir à l'usurpation.

A l'égard des autres dignités, tant de la couronne que des palatinats, qui ne sont que des titres honorifiques et donnent plus d'éclat que de crédit, on ne peut mieux faire que de lui en laisser la pleine disposition : qu'il puisse honorer le mérite et flatter la vanité, mais qu'il ne puisse conférer la puissance.

La majesté du trône doit être entretenue avec splendeur; mais il importe que de toute la dépense nécessaire à cet effet on en laisse faire au roi le moins qu'il est possible. Il serait à désirer que tous les officiers du roi fussent aux gages de la république, et non pas aux siens, et qu'on réduisît en même rapport tous les revenus royaux, afin de diminuer autant qu'il se peut le maniement des deniers par les mains du roi.

On a proposé de rendre la couronne héréditaire. Assurez-vous qu'au moment que cette loi sera portée, la Pologne peut dire adieu pour jamais à sa liberté. On pense y pourvoir suffisamment en bornant la puissance royale. On ne voit pas que ces bornes posées par les lois seront franchies à trait de temps par des usurpations graduelles, et qu'un système adopté et suivi sans interruption par une famille royale, doit l'emporter à la longue sur une législation qui, par sa nature, tend sans cesse au relâchement. Si le roi ne peut corrompre les grands par des graces, il peut toujours les corrompre par des promesses dont ses successeurs sont garants; et comme les plans formés par la famille royale se

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