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CONSIDÉRATIONS

SUR

LE GOUVERNEMENT DE POLOGNE,

ET

SUR SA RÉFORMATION PROJETÉE EN AVRIL 1772.

NOTICE PRÉLIMINAIRE.

« La Pologne, dans sa division la plus générale, en grande, petite Pologne et duché de Lithuanie, contenait en trente-trois provinces ou palatinats un peu plus de huit millions d'habitants. Cette population était régie souverainement par environ cent mille nobles, un roi électif et un sénat perpétuel. Les habitants des villes, ne pouvant posséder que des maisons dans les villes mêmes, et des fonds de terre à une lieue aux environs, n'étaient comptés dans l'ordre politique que pour en supporter toutes les charges; le commerce et le peu d'industrie que le pays pouvait comporter étaient entre les mains des Juifs et des étrangers, et les paysans attachés à la glèbe étaient la propriété de leurs seigneurs, au pouvoir desquels rien ne pouvait les soustraire, et qui avaient sur eux droit de vie et de mort.

<< On distinguait parmi les nobles les Palatins ou gouverneurs des provinces, les Castellans ou commandants des châteaux et des villes, considérés comme les lieutenants des Palatins, et les Starostes ou possesseurs des Starosties, vastes domaines qui leur étaient accordés à vie avec ou sans juridiction sur les terres qui en dépendaient, Ces Palatinats, Castellanies et Starosties, et beaucoup d'autres tenutes et bénéfices de même espèce, étaient à la nomination du roi. Comme aucuns appointements ou gages n'étaient attachés aux charges et fonctions publiques, ces concessions étaient les récompenses naturelles des services rendus à la patrie, et étaient appelées pour cela panis benè meritorum, dont le roi était le distributeur. Mais à la mort de chaque possesseur, le bénéfice concédé rentrait dans les mains du roi, qui était tenu de faire sur-le- champ une nomination nouvelle ; et c'était en cela que le régime polonais différait essentiellement du régime féodal.

« Les nobles seuls jouissant ainsi des droits de cité, se rassemblaient périodiquement dans les diétines ou diètes de palatinat, pour y élire les nonces chargés de les représenter à la diète générale. Celle-ci s'assemblait tous les deux ans, et se composait du sénat et des représentants de la noblesse ; elle partageait avec le roi le pouvoir législatif.

« A ce germe toujours subsistant de confusion et de désordre se joignait, 1o la dépendance absolue de chaque nonce résultant des instructions qui lui avaient été données dans la diétine et dont il ne pouvait s'écarter; 2° le droit du liberum veto qui rendait la délibération de toute diète infructueuse par l'opposition d'un seul membre, droit dont l'usage ne remontait pas audelà de 1650, mais dont les nobles polonais s'étaient depuis ce temps montrés si jaloux qu'il était passé en loi et maxime d'état.

«< Un autre droit encore, également constitutionnel, et non moins cher aux Polonais, était celui de former, sous le nom de confédération, une ligue générale dont les membres liés par un serment particulier se choisissaient un chef et nommaient un conseil général qui réunissait en lui seul l'autorité de toutes les magistratures. Ainsi, les insurrections mêmes avaient en Pologne une forme légale. Mais dans les assemblées qui en étaient la suite, le droit du liberum veto restait suspendu, la pluralité des suffrages alors faisait loi; et c'était ainsi que ce droit de confédération, dont l'exercice était de nature à mettre le comble au désordre, était souvent ce qui contribuait le plus efficacement à le faire cesser. Au reste, la confédération une fois dissoute, tous ces réglements cessaient avec elle; pour qu'ils devinssent des lois, il fallait qu'ils reçussent la sanction d'une diète unanime; et la république reprenait sa forme accoutumée.

<<< Dans cet état des choses un roi électif, qui ne battait point monnaie, qui ne faisait point la guerre en personne, qui ne pouvait ni la déclarer ni faire aucun traité, ni même se marier sans l'aveu de la diète, dont les actes administratifs se réduisaient à des nominations et des concessions qu'il ne pouvait révoquer, et dont les revenus ne suffisaient guère qu'à la dépense de sa table, n'avait sans doute qu'une ombre de pouvoir réel; mais ces nominations et concessions en si grand nombre, et dont on a vu plus haut que le droit lui appartenait exclusivement, lui donnaient une force d'opinion et une influence bien en contraste avec l'esprit dont les nobles polonais étaient constamment animés, et c'est ce qui explique, d'une part, pourquoi à chaque élection cette couronne était si ardemment briguée et poursuivie; de l'autre, pourquoi le droit du liberum veto, celui de confédération, et toutes les autres entraves données à

l'autorité royale, s'établirent successivement pour en balancer la puissance. Chaque élection en effet était toujours l'époque des restrictions nouvelles mises à une autorité déjà si bornée, restrictions que le prince nouvellement élu jurait de respecter, ainsi que toutes les lois fondamentales de la république, désignées généralement sous le nom de pacta conventa.

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<«<Les effets naturels d'un état politique ainsi constitué sont faciles à concevoir, et on ne peut qu'en croire l'historien moderne qui nous trace ainsi le tableau de l'état intérieur de la Pologne à l'époque même où Rousseau rêvait pour elle ce que la force des choses rendait impossible à réaliser. « La ré– publique, dit Rulhière, presque toujours destituée d'une « autorité législative et souveraine, se trouva dans une im<< puissance absolue de suivre les progrès que l'administration commençait à faire dans la plupart des autres pays. Tout ce qui exigeait des dépenses continues devint impraticable... Les grands établissements qui annoncent la perfection des arts, et << les soins toujours actifs du gouvernement, ne purent seule«ment pas être proposés... Les Polonais, dont les mœurs sont faciles, adoptèrent chacun séparément une partie de ces progrès rapides que le luxe et la société faisaient chez les autres peuples; mais ils n'admirent aucun de ceux que faisait l'ad<< ministration publique. De tant de changements introduits en « Europe, la politesse et le luxe furent les seuls qui s'introdui<< sirent parmi eux. » Hist. de l'anarchie de Pologne, tom. 1, p. 49 et 127.

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« La Russie, qui dès 1733 avait imposé par la force Auguste III, pour roi à la Pologne, réussit par le même moyen à faire décider en 1764 l'élection de Stanislas Poniatowski son successeur. Celui-ci, dont le titre le plus signalé pour obtenir cette couronne était d'avoir été l'amant de Catherine II, était déjà sous ce rapport doublement odieux aux Polonais. Le caractère et les actes de ce souverain, et l'ascendant toujours plus marqué de sa protectrice, n'étaient pas propres à affaiblir cette impression, et avaient décidé la formation de plusieurs confédérations particulières, toujours vainement dissipées par les armées russes, et qui se réunirent en 1768 en une confédération générale formée à Bar en Podolie. Ces confédérés réussirent à

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