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la divinité puissante, intelligente, bienfaisante, prévoyante et pourvoyante, la vie à venir, le bonheur des justes, le châtiment des méchants, la sainteté du contrat social et des lois; voilà les dogmes positifs. Quant aux dogmes négatifs, je les borne à un seul, c'est l'intolérance: elle rentre dans les cultes que nous avons exclus.

Ceux qui distinguent l'intolérance civile et l'intolérance théologique se trompent, à mon avis. Ces deux intolérances sont inséparables. Il est impossible de vivre en paix avec des gens qu'on croit damnés; les aimer serait haïr Dieu qui les punit : il faut absolument qu'on les ramène ou qu'on les tourmente. Partout où l'intolérance théologique est admise, il est impossible qu'elle n'ait pas quelque effet civil"; et sitôt qu'elle en a, le souverain n'est

a Le mariage, par exemple, étant un contrat civil, a des effets civils, sans lesquels il est même impossible que la société subsiste. Supposons donc qu'un clergé vienne à bout de s'attribuer à lui seul le droit de passer cet acte, droit qu'il doit nécessairement usurper dans toute religion intolérante; alors n'est-il pas clair qu'en faisant valoir à propos l'autorité de l'Église il rendra vaine celle du prince, qui n'aura plus de sujets que ceux que le clergé voudra bien lui donner. Maître de marier ou de ne pas marier les gens, selon qu'ils auront ou n'auront pas telle ou telle doctrine, selon qu'ils admettront ou rejetteront tel ou tel formulaire, selon qu'ils lui seront plus ou moins dévoués, en se conduisant prudemment et tenant ferme, n'est-il pas clair qu'il disposera seul des héritages, des charges, des citoyens, de l'état même, qui ne saurait subsister n'étant plus composé que de bâtards? Mais, dira-t-on, l'on appellera comme d'abus, on ajournera, décrètera, saisira le temporel. Quelle pitié! Le clergé, pour peu qu'il ait, je ne dis pas de courage, mais de bon sens, laissera faire et ira son train; il laissera tranquillement appeler, ajourner, décréter, saisir, et finira par rester le maître. Ce n'est pas, ce me semble, un grand sacrifice d'abandonner une partie, quand on est sûr de s'emparer du tout.

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plus souverain, même au temporel dès-lors les prêtres sont les vrais maîtres; les rois ne sont que leurs officiers.

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Maintenant qu'il n'y a plus et qu'il ne peut plus avoir de religion nationale exclusive, on doit tolérer toutes celles qui tolèrent les autres, autant que leurs dogmes n'ont rien de contraire aux devoirs du citoyen. Mais quiconque ose dire, Hors de l'Église point de salut, doit être chassé de l'état, à moins que l'état ne soit l'Église, et que le prince ne soit le pontife. Un tel dogme n'est bon que dans un gouvernement théocratique ; dans tout autre il est pernicieux. La raison sur laquelle on dit que Henri IV embrassa la religion romaine la devrait faire quitter à tout honnête homme, et surtout à tout prince qui saurait raisonner*.

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Un historien rapporte que le roi faisant faire devant lui une « conférence entre les docteurs de l'une et de l'autre Église, et voyant qu'un ministre tombait d'accord qu'on se pouvait sauver dans la religion des catholiques, sa majesté prit la parole, et dit à ce ministre Quoi! tombez-vous d'accord qu'on puisse se sauver « dans la religion de ces messieurs-là? Le ministre répondant qu'il « n'en doutait pas, pourvu qu'on y vécût bien, le roi repartit très« judicieusement : La prudence veut donc que je sois de leur religion « et non pas de la vôtre, parce qu'étant de la leur, je me sauve selon « eux et selon vous, et étant de la vôtre, je me sauve bien selon vous mais non selon eux. Or la prudence veut que je suive le plus assuré. » Péréfixe, Hist. de Henri IV.

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CHAPITRE IX.

Conclusion.

Après avoir posé les vrais principes du droit politique et tâché de fonder l'état sur sa base, il resterait à l'appuyer par ses relations externes ; ce qui comprendrait le droit des gens, le commerce, le droit de la guerre et les conquêtes, le droit public, les ligues, les négociations, les traités, etc. Mais tout cela forme un nouvel objet trop vaste pour ma courte vue : j'aurais dû la fixer toujours plus près de moi.

NOTE DU COMTE D'ANTRAIGUES,

SE RAPPORTANT A UN PASSAGE DU CONTRAT SOCIAL, LIVRE III, CHAPITRE XVI, A LA FIN.

Jean-Jacques Rousseau avait eu la volonté d'établir, dans un ouvrage qu'il destinait à éclaircir quelques chapitres du Contrat social, par quels moyens de petits états libres pouvaient exister à côté des grandes puissances, en formant des confédérations. Il n'a pas terminé cet ouvrage, mais il en avait tracé le plan, posé les bases, et placé à côté des seize chapitres de cet écrit, quelques-unes de ses idées, qu'il comptait développer dans le corps de l'ouvrage. Ce manuscrit de trente-deux pages, entièrement écrit de sa main, me fut remis par lui-même, et il m'autorisa à en faire, dans le courant de ma vie, l'usage que je croirais utile.

Au mois de juillet 1789, relisant cet écrit, et frappé des idées sublimes du génie qui l'avait composé, je crus (j'étais encore dans le délire de l'espérance) qu'il pouvait être infiniment utile à mon pays et aux États-généraux, et je me déterminais à le publier.

J'eus le bonheur, avant de le livrer à l'impression, de consulter le meilleur de mes amis, que son expérience éclairait sur les dangers qui nous entouraient, et dont la cruelle prévoyance devinait quel usage funeste on ferait des écrits du grand homme dont je voulais publier les nouvelles idées. Il me prédit que les idées salutaires qu'il offrait seraient méprisées; mais que ce que ce nouvel écrit pouvait contenir d'impraticable, de dangereux pour une monarchie, serait précisément ce que l'on voudrait réaliser, et que de coupables ambitions s'étaieraient de cette grande autorité pour saper, et peut-être détruire l'autorité royale.

Combien je murmurai de ces réflexions! combien elles m'affligèrent! Je respectai l'ascendant de l'amitié unie à l'expérience, et je me soumis. Ah! que j'ai bien reçu le prix de cette déférence! Grand Dieu ! que n'auraient-ils fait de cet écrit ! comme ils l'auraient souillé, ceux qui, dédaignant d'étudier les écrits de ce grand homme, ont dénaturé et avili ses principes; ceux qui n'ont pas vu que le Contrat social, ouvrage isolé et abstrait, n'était applicable à aucun

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Il est difficile d'imaginer qu'on eût été plus loin qu'on n'est allé, et permis conséquemment de regretter la perte du manuscrit détruit par M. d'Antraigues. Son scrupule et son action partent d'une hypothèse gratuite, admise par beaucoup de gens, et qui, même quand elle le serait par un plus grand nombre, n'en serait pas plus vraie; c'est que tous les faiseurs, dans notre révolution, n'agissaient qu'en vertu du Contrat social. Voyez l'avertissement.

R. V.

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peuple de l'univers; ceux qui n'ont pas vu que ce même J. J. Rousforcé d'appliquer ces préceptes à un peuple existant en corps de nation depuis des siècles, pliait aussitôt ses principes aux anciennes institutions de ce peuple, ménageait tous les préjugés trop enracinés pour être détruits sans déchirements, qui disait après avoir tracé le tableau le plus déplorable de la constitution dégénérée de la Pologne : « Corrigez, s'il se peut, les abus de votre constitution, mais ne méprisez pas celle qui vous a faits ce que « vous êtes! >>

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Quel parti d'aussi mauvais disciples d'un si grand homme auraient tiré de l'écrit que son amitié m'avait confié s'il pouvait étre utile!

Cet écrit que la sagesse d'autrui m'a préservé de publier ne le sera jamais; j'ai trop bien vu et de trop près le danger qu'il en résulterait pour ma patrie. Après l'avoir communiqué à l'un des plus véritables amis de J. J. Rousseau, qui habite près du lieu où je suis, il n'existera plus que dans nos souvenirs.

(Cette notę termine une brochure que le comte d'Antraigues, député du Vivarais à l'Assemblée constituante, et qui émigra dès 1790, fit imprimer cette année même à Lauzanne sous ce titre: Quelle est la situation de l'Assemblée nationale? (in-8° de 60 pages.) Nous reproduisons ici sa note tout entière.

FIN DU CONTRAT SOCIAL.

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