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Très-Chrétienne a offert au roi d'Angleterre de traiter sur des préliminaires relatifs aux intérêts particuliers des deux couronnes; mais en faisant cette proposition, le roi de France n'a pas entendu, comme le commencement du mémoire de Londres du 8 d'avril paraît l'indiquer, que la paix d'Allemagne puisse avoir lieu sans que les différends entre la France et l'Angleterre fussent ajustés; S. M. Très-Chrétienne compte assez sur ses alliés pour être certaine qu'ils ne concluront ni paix ni trêve sans son consentement; Elle n'a donc point entendu que la paix d'Allemagne pût être conclue séparément de celle de la France et de l'Angleterre, et Elle n'a proposé au roi de la Grande-Bretagne que la séparation de la discussion des deux guerres, pour parvenir à une paix générale pour toutes les parties.

Le roi Très-Chrétien renouvelle la proposition qu'il a fait faire dans le premier mémoire, que les deux puissances restassent in statu quo de leurs possessions et de leurs conquêtes, selon les époques indiquées dans le dit mémoire; mais S. M. observe que le fond de la proposition est nécessairement lié avec les époques proposées, car l'on sentira qu'il pourrait arriver tels événements de part ou d'autre qui empêcheraient absolument l'acquiescement à l'uti possidetis, si les époques s'éloignaient; et S. M. Très-Chrétienne est d'autant plus fondée à réclamer sur le fond de la proposition, si le roi d'Angleterre n'aquiesce pas aux époques qui y étaient jointes, que l'on ne peut pas douter que ces époques ont été proposées dans un temps qui n'était pas avantageux à la France.

Il est certain que les conquêtes réciproques ne peuvent être fixées que le jour de la signature de la paix; mais il n'est pas moins certain qu'on peut prendre pour base de négociation de cette paix, la situation où les parties belligérantes se sont trouvées à telle ou telle époque de la guerre. C'est ainsi que le roi de France a entendu la proposition qu'il a faite au roi d'Angleterre; et c'est d'après ce principe, si S. M. Britannique l'adopte, que S. M. Très

Chrétienne enverra un ministre accrédité à Londres, chargé de pleins pouvoirs suffisants pour traiter avec les ministres du roi de la Grande-Bretagne, soit sur le fond de la question, soit sur les compensations qui conviendront aux deux couronnes ainsi que sur les intérêts de leur commerce et de leurs colonies. La volonté de S. M. Très-Chrétienne est égale à celle de S. M. Britannique, pour faire cesser le malheur de la guerre qui désunit les nations qu'Elles gouvernent; mais comme l'empressement doit être pareil des deux côtés, dans le même temps que le roi Très-Chrétien enverra le sieur de Bussy à Londres, il espère que le roi de la Grande-Bretagne enverra en France un ministre anglais, pour traiter sur les mêmes objets avec son ministère. S. M. Très-Chrétienne attend la réponse de S. M. Britannique sur le contenu de ce mémoire, pour expédier et recevoir les passeports réciproques et nécessaires. Par ordre et au nom du roi mon maître.

LE DUC DE CHOISEUL.

M. Pitt répondit à ces ouvertures par un nouveau mémoire, dans lequel il voulut donner aux époques de l'uti possidetis, prononcées dans le mémoire français du 26 mars, une interprétation inadmissible, par laquelle Belle-Isle devenait un objet de compensation pour Minorque, ainsi que M. Pitt l'avait même témoigné au prince de Galitzin.

N. X.

Lettre de M. Pitt, adressée au duc de Choiseul.

Witehall, le 28 avril 1761.

Monsieur, j'ai mis sous les yeux du roi mon maître, la lettre que V. Exc. m'a fait l'honneur de m'écrire le 19 de ce mois, ainsi que le mémoire qui y était joint.

S. M. désire sincèrement une entière conformité de sentiments de S. M. Très-Chrétienne avec les siens, sur la manière unie et directe qu'il convient de suivre dans une négociation également délicate et importante.

Le roi a appris, monsieur, avec satisfaction, que le roi Très-Chrétien a fait choix de Mr. le comte de Choiseul pour le représenter au congrès d'Augsbourg, et que cet ambassadeur sera rendu dans la ville désignée, les premiers jours de juillet; et le roi m'a chargé de faire connaître à V. Exc. qu'il a nommé M. le comte d'Egremont, Mr. le vicomte de Stormont et Mr. le chevalier York, pour le représenter au dit congrès, et que ces ambassadeurs seront rendus pareillement à Augsbourg les premiers jours de juillet.

Je dois à ce sujet faire connaître à V. Exc. que les regrets du roi mon maître ne seraient pas moindres que ceux du roi Très-Chrétien, de voir continuer une guerre aussi désolante pour tant de nations, que l'est celle d'Allemagne.

Je joins à cette lettre un mémoire en réponse à celui de V. Exc. du 19 de ce mois, concernant la guerre particulière de la Grande-Bretagne et de la France: il est vrai, monsieur, qu'on ne peut trop approuver le principe d'écarter, en tout temps, les mésentendus des affaires: aussi ne peut-il échapper aux lumières de V. Exc. que dans un commencement de rapprochement, des variations inattendues ont naturellement l'effet de répandre plutôt de l'obscurité et de l'incertitude dans les ouvertures, que d'y mettre cette netteté et cette assurance si indispensables dans une négociation entre deux aussi grandes puissances. Comme le remède naturel contre de semblables inconvénients, paraît être l'arrivée des ministres réciproques, où, traitant de bouche, l'éclaircissement suit de près le doute, V. Exc. verra par le mémoire ci-joint, les dispositions de S. M. à cet égard. J'ai l'honneur d'être avec la considération la plus distinguée, etc.

W. PITT.

No. XI.

Mémoire de S. M. Britannique; du 28 avril 1761.

Le roi de la Grande-Bretagne, toujours porté par le même désir de faire cesser les maux de la guerre qui s'est malheureusement allumée entre la Grande-Bretagne et la France concourra avec satisfaction à toute démarche convenable qui tende à applanir les obstacles qui pourraient s'opposer à un ouvrage aussi salutaire. C'est dans cette vue que S. M. Britannique enverra volontiers en France, en qualité de son ministre, M. Stanley, dans le même temps que le roi Très-Chrétien enverra le sieur de Bussy à Londres.

Au reste, S. M. ne trouve pas dans le mémoire du 26 du mois passé, fait au nom de S. M. Très-Chrétienne, que le fond de la proposition qu'il contient touchant les conquêtes réciproques, soit nécessairement lié avec les époques proposées; bien au contraire, c'est nommément sur ces époques mêmes, que le roi Très-Chrétien y offre d'entrer en négociation. En voici les propres mots. „,Cependant ,,comme S. M. Britannique pourrait penser que les termes „proposés des mois de septembre, juillet et mai seraient ou ,,trop éloignés pour les avantages de la couronne britannique, „ou que S. M. Britannique croirait devoir faire des compen,,sations, de la totalité ou de partie de deux couronnes, sur ,,ces deux objets, le roi Très-Chrétien entrera volontiers en ,,négociation avec S. M. Britannique, lorsqu'il connaîtra ses ,,intentions."

C'est d'après une offre si clairement énoncée, et point susceptible de mésentendu, que S. M. Britannique s'est déterminée à déclarer qu'Elle est prête de son côté d'entamer avec promptitude et sincérité la négociation proposée. Le roi de la Grande-Bretagne, constant de ses intentions, renouvelle sa dite déclaration, et S. M. Britannique pour ne laisser aucun doute sur les dispositions, a fait expédier le passeport ci-joint, et en recevra incessamment avec plaisir un réciproque de la cour de France, pour qu'en traitant de

bouche, tant sur le fond de la question, que sur les époques aussi bien, que relativement aux compensations qui conviendront aux deux couronnes, l'on puisse de part et d'autre mieux éclaircir des doutes, et écarter toutes ambiguités d'une négociation, qui pour n'être pas infructueuse, doit être conduite des deux côtés avec franchise, précision et célérité. Par ordre et au nom du roi mon maître.

W. PITT.

Le ministère anglais n'étant pas sans inquiétude sur le ressentiment de la France, et craignant que l'entreprise sur Belle-Isle ne fit avorter la négociation, M. Pitt se hâta d'envoyer à M. de Choiseul les passeports nécessaires pour M. de Bussy ('), désigné comme plénipotentiaire français à Londres. M. de Choiseul en fit autant pour M. Stanley (2) nommé en la même qualité pour Paris. L'envoi de ces deux plénipotentiaires fut constaté par les quatres lettres suivantes :

(1) M. de Bussy était un des premiers commis au ministère des affaires étrangères, qui avait déjà rempli, en 1754, une mission infructueuse au sujet des contestations présentes près du roi d'Angleterre, lorsque celui-ci était venu en Hanovre.

(2) M. Stanley était connu par deux traités, écrits en latin, sur les lois et le droit; mais ne s'était point montré encore dans la carrière politique. M. Pitt était certain que ce négociateur timide et méfiant, n'hazarderait pas un mot de son propre mouvement, et ne serait à la cour de Versailles qu'un instrument qu'il manierait à son gré. La rigidité du caractère de M. Stanley, pouvait exposer à plus d'un péril ceux qui traiteraient avec lui. Ignorant les détours adoptés quelquefois par la politique, il suivait directement son objet, attachait à une avance générale la force d'un engagement; et prenant l'expression à la rigueur, il ne se déportait jamais du sens dans lequel il l'avait conçue. Flassan, Hist. de la dipl. franç.

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