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faires, et d'ailleurs ne manquait pas d'ambition, qui avait assez peu de bienveillance pour des frères nés d'un autre lit et du sang de Clotilde, lorsque lui-même n'était fils que d'une concubine, il est très-probable, disons-nous, qu'il ne fut empêché de réunir tout le royaume sous sa main, que par la prévoyance de son père. Des généraux, sans doute, avaient été chargés de conserver une portion d'autorité aux enfans qu'il chérissait le plus, et, en outre, leur mère y veilla.

Quoi qu'il en soit, à peine les jeunes princes furent-ils arrivés à l'âge d'homme, qu'on les voit poursuivre les projets de leur père, soit isolément, soit en unissant leurs forces. La Bourgogne fut définitivement conquise après plusieurs campagnes dans l'une desquelles Clodomir fut tué. Les Visigoths furent rejetés en Espagne, et une armée française passa même les Pyrénées.

Thierry d'Austrasie fut celui des quatre frères qui prit le moins de part à cette communauté d'expéditions; au moins le fitil toujours avec répugnance et par nécessité. Cependant, ce fut en s'alliant à Clotaire qu'il conquit la Thuringe. Les motifs qu'il donna à ses soldats pour les encourager à cette expédition sont curieux à citer, parce qu'ils furent fondés sur des griefs que les provinces de France élevaient en commun contre le peuple de Thuringe. Souvenez-vous, leur dit-il, que ces gens ont été pour vos pères, les plus cruels et les plus perfides ennemis ; ils ont égorgé leurs otages; ils ont saccagé leurs terres ; ils ont tué et torturé leurs enfans, et leurs femmes, et leurs vierges; ils ont livré leur corps pour pâture aux chiens et aux corbeaux. Aujourd'hui ils manquent à leur foi: eh bien ! nous avons droit. Avec l'aide de Dieu, allons. »

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Thierry ne voulut point participer à la dernière expédition qui réduisit la plus grande partie de la Bourgogne en province française. Mais il pouvait donner pour motif, qu'il était allié par les femmes à la famille royale de ce pays. Il avait d'ailleurs quelque mécontentement contre Childebert de Paris, l'un des envahisseurs de la Bourgogne, qui, pendant qu'il était occupé en Thuringe, s'était rendu maître de l'Auvergne. Il profita même du

temps pendant lequel celui-ci guerroyait, pour remettre l'Auvergne sous son commandement. Nous dirons quelques mots de cette expédition, parce que, suivant nous, elle a été présentée sous un jour faux, par les écrivains modernes. Ils ont eu le tort, ici, comme dans plusieurs autres circonstances, de ne consulter qu'une seule des chroniques du temps.

Thierry, dit-on, ne voulant pas aller en Bourgogne, et pressé par les siens, qui regrettaient cette occasion de fortune, leur dit : Je vais vous conduire dans un pays où vous trouverez tout ce que votre cupidité peut désirer: › et il les conduisit en Auvergne, et toute la contrée fut ravagée. Tel est le fait qu'on a rapporté, et qui peut servir à prouver que chacun des fils du prince était roi d'un royaume différent, et non commandant d'un corps d'armée dans un même royaume. Voici, maintenant, les faits qui ont été négligés. Thierry avait délivré ce pays de la domination des Visigoths. Dans certains lieux il avait établi des feudataires pour le garder; dans d'autres, il avait reçu le serment de ceux qu'il avait vaincus, bien que plusieurs fussent souillés de la lèpre Arienne. En effet, quelques années plus tard il fallut faire une nouvelle guerre dans ce pays pour y éteindre l'Arianisme qui avait repris les armes. Or, tous ces hommes manquèrent à leurs sermens, en se donnant à Childebert. Les sénateurs de la cité d'Auvergne faillirent aussi à leur foi; ils profitèrent de leur indépendance pour changer de maître. Thierry les punit cruellement, et il employa le moyen barbare usité dans ces temps de guerre, pour assurer la fidélité de la province': il en changea les seigneurs et les gardiens. Quelques violences furent commises contre les églises; mais il y a des preuves que leurs auteurs furent sévèrement punis (1).

On trouve à cette époque plusieurs actes d'une égale violence, qui expriment la jalousie que les frères avaient les uns pour les autres, et le désir que chacun d'eux avait d'être seul roi. Mais aussi on en trouve plusieurs où se marque une haute et commune

(1)Voyez De miraculis S. Juliani. Collect. des Bénédict. t. II, pag. 466.

intelligence. Nul doute que ceux-ci n'aient eu lieu sous l'inspiration des Évêques ; dans plusieurs circonstances, nous en trouvons la preuve dans les chroniques. C'est sous cette inspiration que fut entreprise l'invasion d'Italie, et la guerre contre les Ostrogoths ariens qui l'occupaient. C'est de toute probabilité, par le même conseil, qu'on envoya de l'autre côté des Alpes, à la solde même des Goths, dix mille Bourguignons ariens dont on se débarrassa de cette manière, et que plus tard enfin, les Francs conduisirent une armée nombreuse d'Allemands, pour faire un établissement en Italie. Ils y périrent autant par maladies, que par les armes de Narsès.

Ainsi, malgré la division de la succession de Clovis, la France agit avec une grande unité dans le sens de son but catholique. Cette division cessa en 558, alors que Clotaire, par la mort de tous ses frères et de leurs enfans mâles, se trouva seul roi des Francais. L'Empire comprenait à cette époque, non-seulement tout le territoire situé entre les Alpes, les Pyrénées, la mer et le Rhin; mais encore la Thuringe, la Suisse et une partie de la Bavière actuelle.

Lorsqu'on lit le détail des guerres entre frères, il est une chose qui se comprend difficilement : c'est comment, pour aller d'une province qui leur était feudataire, dans une autre qui leur était également soumise, ils passaient avec leur armée sur un territoire qui ne leur appartenait pas, et qui même, en ne tenant compte que du nom du roi qui l'avait en partage, eût dû leur être hostile. Ce fait serait incompréhensible aujourd'hui. Voici comment il s'explique.

Chaque roi avait avec lui une petite légion de fidèles qui l'açcompagnait partout. Les Romains appelaient cette espèce de soldats milites comitatenses. C'était à l'aide de ce corps plus ou moins nombreux qu'il pouvait faire la guerre civile. Il nous paraît à peu près certain qu'ils n'avaient le droit de faire sortir les feudataires de leurs provinces que dans le cas d'une guerre nationale. Or, quel que fût le territoire qu'un roi traversât, il rencontrait, sans doute, des camps de soldats ripuaires; mais ceux-ci le respectaient comme un de leurs chefs, le laissaient passer, sans chercher le but de sa marche, assurés qu'il n'avait rien 4

T. I.

à leur commander qui ne fût national. Il n'en fut plus ainsi dans

les troubles qui marquèrent la succession de Clotaire.

Succession de Clotaire. Ce prince mourut en 561. Il laissa encore quatre fils, dont le moins âgé avait vingt-cinq ans, et qui se partagèrent le commandement du royaume. Chérebert eut Paris; Gontran, Orléans et la Bourgogne; Chilpéric, Soissons; et Sigebert, l'Austrasie. Chacun eut une part des tributs de l'Aquitaine et de la Provence, afin qu'ils fussent tous également intéressés à les défendre.

Le temps de cette succession fut, à la différence de celui qui le précéda, plus occupé de guerres civiles que de guerres sociales. Il semble qu'au fur et à mesure qu'on s'éloigne de Clovis, l'esprit et l'intelligence du nouveau but social allaient s'amoindrissant, et qu'en même temps que l'énergie militaire trouvait moins d'occasions de se dépenser en actes utiles, elle s'employait à se détruire elle-même. Il y eut quelques tentatives d'invasion dans l'Italie, alors possédée par les Lombards, mais elles furent dépourvues de vigueur, et elles avortèrent.

Les deux grandes figures qui dominent la guerre civile, qui sépara les frères et leurs fils, sont celles de Brunehaut et de Frédégonde. Dans leurs luttes et leurs haines, tout semble égoïsme. Il y avait cependant encore un autre élément ; c'est que l'une, Brunehaut, était étrangère, de sang visigoth, arienne d'éducation, chrétienne seulement par mariage; l'autre était catholique, et de naissance inférieure. Aussi le parti de Frédégonde l'emporta enfin. Clotaire II, son fils, se trouva, en 614, unique roi des Français, par la mort de tous ses compétiteurs.

C'est dans les Chroniques où on lit l'histoire de ces troubles, que l'on rencontre, pour la première fois, le nom de duc et celui de maire du palais. Ces chefs secondaires, qui commandaient directement le corps de fidèles attachés à la personne du roi, acquirent en effet une grande importance dans une guerre entretenue par deux femmes, non-seulement pendant la vie de leurs maris, mais encore sous le nom de leurs enfans. Nous en avons fait connaître la raison. Il se trouva, lorsqu'elle fut terminée, qu'il y avait un

maire du palais en Bourgogne, un autre en Autrasie, et un autre en Neustrie.

Clotaire II mourut en 628. Il laissa deux fils: Dagobert et Caribert. Il avait associé le premier au commandement, en lui donnant la garde d'une frontière toujours menacée, toujours incertaine, celle de l'Austrasie.

Succession de Clotaire.- Dagobert associa Caribert au commandement. Il lui donna le gouvernement de la Provence et d'une partie de l'Aquitaine, et, pour résidence, Toulouse. Mais il ne tarda pas à se trouver seul roi par la mort de son frère.

Le règne de Dagobert ne fut occupé que par quelques actes de conservation. La France resta, d'ailleurs, immobile dans ses frontières. Ce prince mourut en 638, laissant deux fils, dont il avait déjà associé l'aîné au gouvernement, en lui donnant le commandement de l'Austrasie. Il avait recommandé le second pour le commandement de Neustrie et de Bourgogne.

Succession de Dagobert. - Sigebert, son fils aîné, qui était déjà roi d'Austrasie, n'avait pas encore atteint dix ans. Clovis, son second fils, fut élevé au gouvernement du reste de la France, par les soins d'Æga, maire du palais, et de sa mère Nanthilde. Pepin, maire du palais d'Austrasie, l'évêque Cunibert, et quelques grands officiers de la cour de Metz, vinrent à Compiègne pour faire le partage, et ils emportèrent avec eux la portion d'héritage qui revenait à Sigebert, dans les trésors de son père, c'est-à-dire dans les biens qui lui avaient appartenu en propre.

Ainsi, dans toute la France, les maires du palais, qui prenaient aussi, avec raison, le titre de ducs de Neustrie ou d'Austrasie, puisqu'ils commandaient les deux grandes divisions de l'armée française distinguées par ces noms ; ces maires se trouvèrent chargés du commandement réel du pays. Dès ce jour, ils ne cessèrent plus de gouverner la fortune de la France. En effet, il se trouva deux motifs pour que cette institution primât la royauté. D'abord, les rois n'étant plus forcés à l'activité par l'incertitude et l'agitation du milieu où ils vivaient; n'ayant plus dans les Gaules d'ennemis du Catholicisme à combattre, et, par suite, dé

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