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est en elle, à cette réunion absolue de vœux et de travaux devenue impossible, elle a autorisé ses commissaires à donner respectivement à chaque ordre toutes les communications qui leur seraient demandées, et à en recevoir toutes celles qui leur seraient offertes; qu'enfin elle a arrêté de faire porter aux États-Généraux, par ses députés, son vœu unanime pour la suppression des impôts distinctifs, et leur conversion en subsides communs, répartis également, proportionnellement, et dans la même forme, entre les citoyens de tous les ordres et de toutes les classes.

Fait dans l'assemblée des citoyens nobles de la ville de Paris, tenue à l'archevêché, ce 1er mai 1789.

Signé STANISLAS DE CLERMONT-TONNERRE, président; le comte DE LALLY-TOLENDAL, Secrétaire.

ΜΑΙ 1789.

L'ouverture des États-Généraux devait avoir lieu à Versailles, le 4 mai. Le 2, tous les députés réunis dans cette ville furent présentés au roi. On remarqua que la présentation avait eu lieu par ordre et non par bailliages, ce qui paraissait plus naturel. On en inféra que la pensée de la Cour était en opposition avait les désirs du Tiers-état, et l'on se plaignit surtout du marquis de Brezé qui, en qualité de maître des cérémonies, porta la responsabilité de cette mesure. On se plaignait aussi qu'on eût choisi Versailles pour la résidence de l'assemblée. Voulait-on par-là l'assimiler à une cour plénière ? N'eut-il pas été plus naturel de fixer son siége à Paris, afin d'entraîner les députés à de moindres dépenses? Voilà ce que répétaient les brochures populaires du jour.

Le 4 mai, la population de Paris s'était transportée en masse à Versailles. C'était le jour fixé pour la messe du Saint-Esprit qui devait inaugurer la grande solennité du lendemain. Les trois ordres s'assemblèrent dans l'église Notre-Dame. Lorsque la Cour fut assemblée, on chanta le veni creator; et cette prière terminée, tous les députés, et la Cour à leur suite, sortirent, et se rendirent

à l'église de Saint-Louis. Le Tiers-état marchait le premier; la noblesse le suivait; puis venait le clergé, marchant processionnellement, précédant le Saint-Sacrement. Le cortége était terminé par le roi et sa cour. Cette procession traversa un peuple immense qui encombrait les rucs, garnissait les balcons, les fenêtres, et jusqu'aux toits. Tant que défilait le Tiers, en son costume noir et simple, toutes les bouches criaient vive le Tiersétat ! La noblesse, en son élégant et brillant costume, fut accueillie par un profond et lugubre silence: Le seul duc d'Orléans fut salué des cris de vive d'Orléans ! Le passage du clergé fut aussi silencieux que celui de la noblesse. Enfin, lorsque le roi vint, les cris et les battemens recommencèrent; mais on accueillit la reine, dans certains lieux, par des murmures; dans d'autres, les cris: vive d'Orléans !

par

Lorsque le cortége fut arrivé et placé dans l'église SaintLouis, la messe commença. L'évêque de Nancy (M. de la Farre) fit un long sermon tout rempli des sentimens politiques qui animaient son auditoire. Aussi les journaux royalistes lui reprochèrent de s'être livré à des déclamations vulgaires sur le luxe et le despotisme des cours, les devoirs des souverains, les droits du peuple, au lieu d'avoir prêché l'union et la concorde si nécessaires dans une grande assemblée.

Les cérémonies religieuses ne furent terminées qu'à quatre heures après-midi.

5 mai. - PREMIÈRE SÉANCE DES ÉTATS-GÉNÉNAUX.

On avait préparé et indiqué sous le nom de salle des trois Ordres la salle qu'on appelait des Menus. C'était la plus vaste de celles qui existaient à Versailles en dehors du château. Ele offrait un emplacement suffisant non-seulement pour contenir les douze cents députés, mais encore de nombreux spectateurs.

Le clergé fut assis à la droite du trône; la noblesse à gauche ; et le Tiers en face.

Vers une heure, les hérauts d'armes annoncent l'arrivée du roi. Aussitôt tous les députés se lèvent, et des cris de joie retentissent de toutes parts.

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Bientôt le roi paraît; les applaudissemens les plus vifs se font entendre, accompagnés des cris de vive le roi ! Sa majesté monte sur son trône. On remarque que ses regards se promènent avec un air de satisfaction sur la réunion imposante des députés du royaume. La reine se place à côté de lui, hors du dais, sur un fauteuil inférieur au trône. La famille royale entoure le roi; les princes, les ministres, les pairs du royaume sont placés un plus bas; et le surplus du cortège du monarque couvre les degrés de l'estrade.

M. le grand-maître des cérémonies annonce du geste que le roi va parler. Le silence le plus profond succède aux acclamations qui se faisaient entendre. Sa majesté s'exprime en ces termes :

› Messieurs, ce jour que mon cœur attendait depuis longtemps est enfin arrivé, et je me vois entouré des représentans de la nation à laquelle je me fais gloire de commander.

Un long intervalle s'était écoulé depuis la dernière tenue des États-Généraux ; et quoique la convocation de ces assemblées parût être tombée en désuétude, je n'ai pas balancé à rétablir un usage dont le royaume peut tirer une nouvelle force, et qui peut ouvrir à la nation une nouvelle source de bonheur.

La dette de l'État, déjà immense à mon avènement au trône, s'est encore accrue sous mon règne : une guerre dispendieuse, mais honorable, en a été la cause; l'augmentation des impôts en a été la suite nécessaire, et a rendu plus sensible leur inégale répartition.

Une inquiétude générale, un désir exagéré d'innovations, se sont emparés des esprits, et finiraient par égarer totalement les opinions, si on ne se hâtait de les fixer par une réunion d'avis sages et modérés.

C'est dans cette confiance, Messieurs, que je vous ai rassem→ blés, et je vois avec sensibilité qu'elle a déjà été justifiée par les dispositions que les deux premiers ordres ont montrées à renoncer à leurs priviléges pécuniaires. L'espérance que j'ai conçue de voir tous les ordres réunis de sentimens, concourir avec moi au bien général de l'État, ne sera point trompée.

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J'ai déjà ordonné dans les dépenses des retranchemens considérables. Vous me présenterez encore à cet égard des idées que je recevrai avec empressement; mais, malgré la ressource que peut offrir l'économie la plus sévère, je crains, Messieurs, de ne pouvoir pas soulager mes sujets aussi promptement que je le désirerais. Je ferai mettre sous vos yeux la situation exacte des finances, et quand vous l'aurez examinée, je suis assuré d'avance que vous me proposerez les moyens les plus efficaces pour y établir un ordre permanent, et affermir le crédit public. Ce grand et salutaire ouvrage qui assurera le bonheur du royaume audedans et sa considération au-dehors, vous occupera essentiellement.

Les esprits sont dans l'agitation; mais une assemblée des représentans de la nation n'écoutera sans doute que les conseils de la sagesse et de la prudence. Vous aurez jugé vous-mêmes, Messieurs, qu'on s'en est écarté dans plusieurs occasions récentes; mais l'esprit dominant de vos délibérations répondra aux véritables sentimens d'une nation généreuse, et dont l'amour pour ses rois a toujours fait le caractère distinctif: j'éloignerai tout autrė souvenir.

Je connais l'autorité et la puissance d'un roi juste au milieu d'un peuple fidèle et attaché aux principes de la monarchie : ils ont fait l'éclat et la gloire de la France; je dois en être le soutien et je le serai constamment.

Mais tout ce qu'on peut attendre du plus tendre intérêt au bonheur public, tout ce qu'on peut demander à un souverain, le premier ami de ses peuples, vous pouvez, vous devez l'espérer de mes sentimens.

Puisse, Messieurs, un heureux accord régner dans cette assemblée, et cette époque devenir à jamais mémorable pour le bonheur et la prospérité du royaume ! c'est le souhait de mon cœur, c'est le plus ardent de mes vœux, c'est enfin le prix que j'attends de la droiture de mes intentions et de mon amour pour mes peuples.

Mon garde-des-sceaux va vous expliquer plus amplement mes

intentions; et j'ai ordonné au directeur-général des finances de vous en exposer l'état. ›

Le discours du roi fut suivi de longs applaudissemens. Alors le roi s'étant assis sur son trône, se couvrit. Tous les gentilshommes suivirent son exemple. Quelques membres du Tiers commencèrent aussi à se couvrir; d'autres s'y opposèrent. De là une rumeur, au milieu de laquelle on n'entendait que ces mots : couvrez-vous, découvrez-vous. Le roi, pour y mettre fin, se découvrit, et tout le monde l'imita.

M. le garde des-sceaux porte ensuite la parole. «Messieurs, il est enfin arrivé ce beau jour si long-temps attendu, qui met un terme heureux à l'impatience du roi et de toute la France! Ce jour tant désiré va resserrer encore les noeuds de l'union entre le monarque et ses sujets ; c'est dans ce jour solenne! que sa majesté veut établir la félicité générale sur cette base sacrée, la liberté publique.

Vous le savez, Messieurs, le premier besoin de sa majesté est de répandre des bienfaits; mais pour être une vertu royale, cette passion de faire des heureux doit prendre un caractère public, et embrasser l'universalité de ses sujets. Des gràces versées sur un petit nombre de courtisans et de favoris, quoique méritées, ne satisferaient pas la grande âme du roi.

Depuis l'époque heureuse où le Ciel vous l'a donné pour maître, que n'a-t-il point entrepris, que n'a-t-il point exécuté pour la gloire et la prospérité de cet empire dont le bonheur reposera toujours sur la vertu de ses souverains. C'est la ressource des nations dans les temps les plus difficiles, et cette ressource ne peut manquer à la France sous le monarque citoyen qui la gouverne.

N'en doutez pas, Messieurs, il consommera le grand ouvrage de la félicité publique. Depuis-long-temps ce projet était formé dans son cœur paternel; il en poursuivra l'exécution avec cette constance qui trop souvent n'est réservée qu'aux princes insatiables de pouvoir et de la vaine gloire des conquêtes.

Qu'on se retrace tout ce qu'a fait le roi depuis son avènement

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