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On était sénateur par droit de naissance; on était curiale par droit de fortune; et l'on pouvait être forcé d'entrer dans la curie dès qu'on possédait environ vingt-cinq arpens de terre.

Après les curiales venaient les simples citoyens, qu'on désignait ordinairement par le titre de possesseurs.

La plèbe se composait de deux classes d'ingénus: la première était celle des commerçans, marchands, colporteurs ou bateliers qui, comme à Paris, par exemple, formaient une hanse; la seconde était composée des artisans, qui étaient divisés en trentecinq corps de métiers, dont on trouve la nomenclature dans le Code théodosien, ayant leur président et leurs réglemens de corporation.

Telle était l'organisation intérieure de la cité; leurs revenus particuliers consistaient en des droits de consommation, des octrois, portoria, et le produit des terres communales: il paraît aussi que le conseil curiale pouvait imposer des corvées.

Pour achever de faire connaître la condition des Ingénus de ce temps, il nous reste à parler du clergé. Lui seul était libre dans toute la force de l'expression, chacun dépendant seulement de son supérieur dans la hiérarchie ecclésiastique. Ses membres possédaient l'immunité personnelle; ils n'étaient attachés au sol qu'autant qu'ils le voulaient. Chaque cité avait son évêque, qui était considéré comme le premier et le plus noble citoyen de chaque ville; il était en effet l'élu du sénat, des curiales et du clergé. Les évêques avaient droit de suspendre les jugemens; ils étaient les tuteurs des veuves et des orphelins; c'étaient cux qui tenaient les tables d'affranchissement, etc.; ils étaient toutpuissans, enfin, par le droit d'excommunication; car celle-ci emportait la mort civile.

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Il nous reste à parler de serfs. Ils étaient divisés en deux classes il y avait les serfs proprement dits, qui appartenaient comme des immeubles à leurs propriétaires, corps et biens; pouvant être vendus, achetés, transportés comme une chose: cette classe était très-peu nombreuse; c'était un bagage de luxe qui ne se rencontrait guère que dans les familles sénato

riales. Il y avait une autre classe de serfs, très-nombreuse, trèsutile, et particulièrement protégée par les lois, nous voulons parler des colons. Ceux-ci étaient attachés à la terre qu'ils cultivaient; ils ne pouvaient être ni vendus, ni transportés; ils ne changeaient de propriétaire que lorsque le sol auquel ils étaient liés, changeait de mains. Ils n'étaient tenus qu'à une redevance fixe, après laquelle tous les fruits de leur travail leur appartenaient. Ils pouvaient donc acquérir un pécule, vendre, acheter, devenir propriétaires, enfin payer leur affranchissement. Leur position n'avait rien ni de douloureux, ni d'humiliant; ils étaient astreints à une habitation fixe, mais, en cela, leur condition n'était pas plus fâcheuse que celle de leurs maîtres. Aussi voyait-on des Ingénus tenter d'entrer dans la classe des colons, et voyait-on souvent des femmes, même nobles, se marier à des colons: car l'Église distribuait à tous, serfs et citoyens, les mêmes sacremens et la même protection.

Le sol cultivé était divisé en trois grandes espèces de propriétés. Il y avait le domaine impérial, qui était très-étendu, puisqu'il était primitivement composé du tiers du terrain cultivé; il y avait donc les colons de l'empereur: c'étaient les employés du fisc qui percevaient les fermages. Il y avait ensuite les terres des bénéfices militaires divisées en une multitude de cantons épars. Il y avait ensuite les terres des cités, partagées en propriétés particulières et en propriétés communales. L'Église possédait à titre de particulier. Il y avait aussi des colons sur ces diverses terres. Enfin, il existait d'immenses étendues de terrains vagues et couverts de forêts, particulièrement dans le nord de la Gaule.

Tel était, en abrégé, l'état dans lequel l'administration romaine avait laissé les Gaules: voyons maintenant quels changemens y introduisit la prétendue conquête franque, ou, en termes plus vrais, l'élection de Clovis à la royauté militaire du nord de ce pays.

Il fut déclaré d'abord que les Gaulois continueraient à être gouvernés par la loi romaine. La loi Salique et la Ripuaire furent

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corrigées et mises en rapport avec les exigences et les mœurs catholiques.

Tous les cantonnemens militaires qui firent alliance en même temps que les Bagaudes, furent maintenus; les bénéfices militaires conservés aux soldats qui les possédaient, et ceux-ci, de quelque origine qu'ils fussent, reçurent le nom de Francs: on trouve dans les historiens une multitude de détails qui établissent ces faits. Ainsi, les légions cantonnées au bord de la Loire conservèrent encore très-long-temps leur discipline, leur armement, et jusqu'aux noms par lesquels on désignait les offices militaires.

Le fameux article de la loi des Francs, relatif à la transmission héréditaire de la terre salique de mâle en mâle, est une traduction du réglement romain relatif aux ripuaires et aux casati: lė mot salique est l'équivalent de militaire. Cet article suppose même que Clovis accepta toutes les coutumes romaines, quant à la discipline de ces camps de soldats casaniers, car, on eût fait mention de la moindre modification de ce genre dans cette loi qui va jusqu'à déterminer le rachat des blessures causées par des quadrupèdes.

Quant aux amendes destinées à garantir la vie des hommes, les différences qu'elles présentent étaient en rapport exact avec la valeur de la fonction exercée par les individus. En cela, les Francs imitèrent encore les Romains. Ils évaluaient l'homme de guerre à un plus haut prix que le plus grand nombre des citoyens: ils n'exceptèrent que les ecclésiastiques, les sénateurs et les hôtes du roi. Nous verrons tout à l'heure quels étaient ces derniers.

Clovis s'empara seulement du domaine impérial, et même dans les guerres de ses premières années, il ne pilla jamais que ce domaine ou celui des soldats bénéficiaires qui combattaient contre lui. Aussi ces violences, qui nous paraissent si terribles aujour d'hui, n'étaient, à cette époque, aux yeux de tous, que l'exercice du droit de guerre. Telle ne fut pas la conduite des Visigoths et des Bourguignons les premiers prirent le tiers des terres des cités ; les seconds en prirent la moitié avec le tiers des esclaves.

Clovis nomma des Comtes dans les cités où les Romains en avaient conservé. Dans la Bagaudie, il laissa les choses dans l'état où elles étaient, c'est-à-dire que les magistratures militaires et municipales restèrent électives et à la discrétion des citoyens: il n'aurait d'ailleurs pu changer cet usage, Bien plus, quelques villes finirent par reconquérir le droit d'élire leurs Comtes, droit qu'elles avaient perdu sous la domination romaine: c'est ce qui arriva à Tours, par exemple. Dans beaucoup d'autres points, sans doute, il y eut des Grafions ou Comtes de nommés; mais, il est remarquable qu'ils habitaient les cantons militaires, et le Mallus lui-même paraît n'avoir été destiné qu'à juger les causes dans lesquelles les possesseurs de bénéfices de guerre étaient intéressés ou acteurs.

Les cités de la Bagaudie étaient alliées du Roi. A ce titre, tous leurs citoyens devaient être ses hôtes, c'est-à-dire jouir de garanties particulières. Le Roi lui-même n'était qu'un hôte lorsqu'il venait sur leur territoire. Il ne serait pas difficile de citer plus d'une anecdote qui montre que cette coutume se maintint bien au-delà de la vie de Clovis.

D'après ce tableau des élémens divers dont la combinaison constitua la nationalité française, il est facile de conclure l'idée générale de notre organisation sociale primitive.

II y avait deux sociétés, l'une militaire, l'autre civile. Elles étaient subordonnées l'une à l'autre dans l'ordre de leur importance catholique. Vis-à-vis du nouveau but d'activité qu'il s'agissait de poursuivre, l'œuvre militaire était la première, l'œuvre industrielle la seconde. Ainsi, l'homme de guerre devait être plus estimé que l'homme purement industriel. L'un devait le sacrifice de son sang, l'autre le tribut de son travail. Enfin le chef militaire devait être le premier magistrat civil. Cette loi de subordination, rigoureusement déduite du but d'activité nationale, ne fut pas en vigueur dès le premier jour; elle ne fut même bien établie que vers la fin de la première race.

En dehors de ces deux sociétés, et dans un état d'indépendance

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aussi grand qu'il est possible à des hommes de l'établir, était la société spirituelle, l'Eglise, qui accomplissait la double fonction de moralisation et d'enseignement.

Dans la société chargée de la fonction temporelle, le devoir émanait du sol sur lequel on naissait. On venait au monde propriétaire d'une fonction, et c'était à ce titre seul qu'on était compté pour quelque chose parmi les hommes. Ainsi la Royauté ellemême fut une fonction, qui émanait autant de la participation au domaine dynastique que de la participation au sang royal. La royauté était un véritable bénéfice militaire, qu'on perdait par incapacité, et qu'on ne pouvait quitter sans cesser en même temps d'être Franc et libre. Il est certain que jusqu'à Pepin, la conservation du pouvoir suprême dans la même race, fut de semblable origine que la stabilité du service militaire ou curiale dans les mêmes familles. Il y aurait à rechercher s'il n'y eut pas, en outre, quelque motif superstitieux de tradition Celtique, tel qu'il s'en est établi beaucoup qui, malgré les efforts de l'Eglise, sont parvenus jusqu'à nous.

Il faut dire que cette division de travail dans l'œuvre temporelle, fut le système le mieux raisonné et le meilleur qui pût être établi en vue de la fin à atteindre; et aussi fut-il d'une admirable fécondité. L'Eglise sentit avec un merveilleux instinct que, pour l'extension du Christianisme, il suffisait de l'organisation romaine; et, en effet, rien n'y fut changé que le but. Aussi, c'est en France que Rome vint finir. L'histoire des deux premières races, qui va'suivre, sera celle de la décadence du système romain, en même temps que l'histoire des révolutions par lesquelles il fut transformé en une institution nouvelle et transitoire comme lui.

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