Page images
PDF
EPUB

Dans les questions relatives à l'agriculturé et au commerce, le clergé se montre d'une libéralité extrême. Il propose la suppression des droits féodaux, des droits de chasse, des banalités, des cens, des corvées, des droits de péage et de prévôté, anciens restes, dit-il, du régime féodal, entraves de la liberté. Il propose également la suppression des douanes intérieures, des priviléges qui gênent le commerce, ceux des compagnies, des jurandes, des maîtrises, des offices de jurés-crieurs. Il sollicite la répression de l'usure, de l'agiotage, des banqueroutes frauduleuses, et demande l'établissement de tribunaux de commerce.

Enfin, le clergé insiste sur l'admission duiers-état à toutes les charges et emplois de robe ou d'épée, qui étaient réservés à la seule noblesse.

Nous voici arrivés à la fin de cette énumération des principaux avis contenus dans les cahiers du premier ordre. Nous ne les ferons suivre d'aucune réflexion. Nous laissons à nos lecteurs lê soin de les apprécier. Nous nous bornerons seulement à les assurer de l'exactitude de notre analyse.

CAHIERS DE LA NOBLESSE.

Les cahiers de la noblesse n'offrent point cette unanimité, souvent presque textuelle, que présentent ceux du clergé ; mais ils portent le caractère d'un sentiment qui justifie jusqu'à un certain point la méfiance que le tiers-état lui témoignait: c'est celui d'un attachement à ses droits de caste, presque invincible, et qui se manifeste sous mille formes.

Ils insistent d'une manière particulière sur ce fait, que la convocation des États-Généraux n'est point une innovation, mais le rétablissement d'une coutume ancienne; que les Français ont une constitution qu'il s'agit moins de changer que de rétablir dans sa pureté primitive. Cependant quelques cahiers consentent au vote par tête, mais pour la question d'impôt seulement, et comme une concession temporaire aux exigences de l'époque dont on ne devra induire rien pour l'avenir. Un seul cahier, celui du Thimarais, opine pour que les voix soient comptées par tête,

et non par ordre; cette forme, dit-il, étant la seule raisonnable, et la seule qui puisse écarter et anéantir l'égoïsme de corps, source unique de tous nos maux. Quelques cahiers demandent que le veto d'un seul ordre suffise pour annuler les délibérations des deux autres. Ailleurs, on propose qu'il ne soit plus distingué que deux ordres en France, la noblesse et le tiers-état, et que le clergé soit réparti dans l'un ou dans l'autre, suivant sa náissance. D'autres veulent qu'il soit créé un ordre des paysans, tiers-état restant composé uniquement d'avocats, de procureurs, de gens de robe en un mot. D'autres expriment le désir que la noblesse nomme elle seule autant de députés que legiers, c'està-dire que la députation soit doublée. Ensuite ils s'occupent amplement de détails d'étiquette, de la police des séances de la future assemblée, de son réglement, etc.

le

La noblesse déclare ensuite attendre de la future assemblée divers avantages constitutionnels, législatifs, financiers, dont nous allons examiner les titres principaux.

On demande que l'assemblée des Etats-Généraux ait lieu périodiquement à des époques fixes; que nul acte public ne soit réputé loi; nul impôt établi, s'il n'a été consenti par eux. On admet unanimement la nécessité des Etats provinciaux, et à cette óccasion nous remarquerons une singulière mesure indiquée dans le cahier de Ponthieu ; si une province, dans l'intervalle des sessions des États-Généraux, avait besoin, dit-il, de prendre particulièrement quelque mesure administrative et financière, elle devra prendre l'avis des autres provinces et du roi. Si cette mesure est jugée bonne par sa majesté et par les trois quarts des assemblées provinciales, elle sera réputée loi dans la localité, jusqu'à la prochaine réunion des États-Généraux.

Ensuite, on indique diverses mesures relatives à la sûreté individuelle, à la suppression des lettres de cachet. Paris demande même la suppression de la Bastille; la liberté de la presse, l'inviolabilité du secret des postes, le respect pour les propriétés de toute nature, pour les priviléges nobiliaires, font l'objet de recommandations spéciales et rigoureuses.

Presque toutes ces demandes prêtent à une réflexion qui ne manqua pas d'être faite à l'époque dont nous nous occupons, c'est que la classe aristocratique n'avait en vue que son intérêt particulier, et que ce n'était, en général, que par accident que les mesures qu'elle réclamait, avaient quelque libéralité, et se trouvaient tourner au profit de tous. Elle pouvait désirer, mais elle n'osait demander toutes ces choses pour elle seule. Iln'y eut que la députation de Clermont en Beauvoisis qui fut chargée de solliciter une mesure qui paraît, dans son intention, civique et générale. Il lui était prescrit d'insister pour qu'avant tout il fût fait une déclaration des droits des hommes, qui constatât leur liberté, leurs propriétés, leur sûreté.

La question de la justice tient une grande place dans les cahiers de la noblesse. Elle est traitée conformément aux bases de la réforme que le garde-des-sceaux Lamoignon avait voulu opérer, et à laquelle avaient résisté les parlemens ainsi qu'on l'a vu précédemment.

En commençant à traiter la question des finances, dans un grand nombre de ces cahiers, la noblesse déclare que c'est par pure considération pour le monarque, par amour pour sa personne, qu'elle consent à se charger du fardeau de la dette. Ensuite, elle renonce à son immunité quant aux impôts; elle accepte sa part des charges publiques; mais, disent les uns, l'impôt ne sera jamais que temporaire, et il ne pourra être perçu au-delà du terme fixé par les États-Généraux ; et, disent d'autres, la taille qui nous sera appliquée, sera appelée taille noble.

En outre, la noblesse renonce à ses droits féodaux, moyennant une indemnité préalable. Le rachat, dit un cahier, devra être fait au plus haut prix, et payable en dix ans. Elle se réserve seulement la propriété exclusive du droit de chasse.

Quant aux priviléges appartenant à des corporations de commerce ou de métiers, les vœux ne sont pas unanimes. Le plus grand nombre cependant tend à les conserver. Les questions ne paraissent avoir été traitées qu'en vue des intérêts particuliers de chaque localité.

Quant aux intérêts du clergé, la noblesse ne les ménage nullement. Dans un grand nombre de ses cahiers, elle demande la suppression des dîmes, ou qu'il en soit fait un emploi plus utile ; elle veut que la dette du clergé soit laissée entièrement à sa charge, et qu'il soit autorisé à vendre une partie de ses biens pour en opérer le remboursement. Elle exprime le désir que les États s'occupent des moyens de borner les fortunes ecclésiastiques, et d'en faire, soit une répartition plus juste, soit un usage de bienfaisance. Enfin, elle propose des moyens pour l'extinction des ordres religieux, et s'occupe des divers emplois que l'on pourrait donner aux propriétés des monastères.

Pour donner une idée exacte de l'impression que devait produire sur un lecteur de 1789 les cahiers de la noblesse, il nous reste à parler de quelques demandes qui, aujourd'hui, nous paraîtront au moins singulières.

Dans quelques-uns, on insistait pour que la noblesse eût seule le droit de porter l'épée, et qu'on établit des peines contre les non nobles qui s'arrogeraient cette prérogative. Dans un grand nombre, on proposait l'établissement d'un tribunal héraldique chargé de vérifier les titres. Dans d'autres, on voulait que les Etats-Généraux déterminassent les professions qui n'emporteraient point la dérogeance. Dans d'autres encore, on proposait de multiplier les chapitres en faveur des filles nobles, ainsi que les commanderies d'hommes. Les biens des abbayes paraissaient offrir une ressource utile sous ce rapport. Enfin on insistait sur l'exemption de la milice, des logemens militaires, etc.

CAHIERS DU TIERS-ÉTAT.

Après s'être plaint unanimement des règles adoptées dans l'élection qui vient de se terminer, et de l'intervention des officiers du gouvernement; après avoir remarqué que, pour l'avenir, le royaume devrait être divisé par districts, et le nombre des députés pour chaque district, réglé à raison et de sa population et de ses contributions; unanimement aussi, le tiers-état déclare que les députés aux prochains États-Généraux ne doivent pas se

considérer comme porteurs de pouvoirs particuliers, mais comme représentant la nation entière, les deux autres ordres en faisant à peine la cinquantième partie. En conséquence, le tiersétat veut encore unanimement, que les délibérations aient lieu par tête et non par ordre. Dans quelques cahiers, dans ceux de Dijon, de Dax, de Saint-Sever, de Bayonne, prévoyant le cas où les deux autres ordres refuseraient de compter les suffrages par tête, on veut que les députés du tiers-état représentant vingtquatre millions d'hommes, qui peuvent et doivent toujours se dire l'assemblée nationale, se présentent au roi, et agissent en effet à titre d'assemblée nationale, de concert avec ceux de la noblesse et du clergé qui voudront se réunir à eux.

La même communauté de sentimens se remarque encore sous des formes différentes, lorsqu'il s'agit de l'établissement d'une constitution, de l'abolition de toute servitude personnelle et de tous droits féodaux, de la sûreté individuelle, de la liberté de la presse, de l'inviolabilité du secret des postes, de la responsabilité des ministres; de l'égale répartition de l'impôt, de l'établissement d'États provinciaux chargés de cette répartition, etc.

Dans les articles qui traitent de la réformation du système judiciaire, et qui reproduisent, en grande partie, les idées dont nous nous sommes occupés plus haut, un grand nombre de cahiers s'accordent à demander que la justice soit gratuite, que les juges soient élus parmi les avocats et gens de loi qui auront exercé plusieurs années; qu'il soit fondé des juges de paix, ou des tribunaux de conciliation, et enfin qu'il soit établi des tribunaux de police municipale. Dans quelques-uns, on demande pour les affaires criminelles le jugement par jurés, et on indique la distinction admise aujourd'hui entre le jugement du fait qui devra être opéré par le jury, et le jugement du droit qui regarde les juges..

Lorsqu'il s'agit de la réformation de la législation civile, le tiers-état demande qu'on travaille à établir un code universel. A cette occasion, on propose d'établir le partage égal des biens entre les enfans, de supprimer l'usage des substitutions; on de

« PreviousContinue »