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J. Rutledge, la communauté des boulangers de Paris exposait commentles sieurs Leleu et compagnie, adjudicataires des moulins de Corbeil, avaient, sous divers prétextes, fait hausser le prix des farines; comment les boulangers avaient cherché à se fournir ailleurs à meilleur marché; comment ayant trouvé toutes les halles circonvoisines vidées par les sieurs Leleu, ils s'étaient vus à la merci de la compagnie de Corbeil; et comment ils avaient été obligés d'enchérir le pain, etc. Cette requête fut repoussée par la cour de justice. Plus tard, nous verrons sortir de ce commencement faible et obscur de graves désordres et des accusations plus graves encore.

Les Parisiens se pressèrent donc dans leurs districts, animés non-seulement de la passion de l'égalité, mais pénétrés de la pensée que le salut du peuple ne pouvait être assuré que par le peuple.

Les élections de la banlieue commencèrent le 18 avril ; celles de Paris le 21. L'agitation de la capitale présentait un spectacle étonnant, disent les écrivains contemporains. Quand on voyait l'activité des Parisiens, on se croyait dans un autre siècle et dans un autre monde. La population tout entière était sur pied, et remplissait les rues et les places; on se communiquait des anecdotes, des brochures, des recommandations; on faisait des motions au Palais-Royal. De nombreuses patrouilles traversaient cette foule; les régimens des gardes-françaises et des gardes-suisses étaient sous les armes. La halle était environnée de soldats. On avait distribué des cartouches aux troupes; et l'artillerie des régimens suisses était consignée et à ses pièces dans les casernes. En contemplant cet appareil de guerre, et ce concours d'habitans quittant leurs foyers pour se précipiter dans les églises, on eût dit qu'un danger imminent menaçait Paris.

Mais pour achever le tableau, il faut pénétrer dans le sein de l'une des réunions électorales. Voici l'analyse du procès-verbal de l'assemblée du district des Petits-Augustins.

Trois cent dix-huit membres du tiers-état se trouvèrent réunis à neuf heures du matin dans l'église des Petits-Augustins.

M. Pochet, ancien échevin, préposé par le bureau municipal pour présider l'assemblée du district, fit faire lecture des lettres du roi, des réglemens et des ordonnances pour la convocation.

Cette lecture faite, on réclama le droit de nommer un président qui pût recevoir librement les suffrages, ainsi que des secrétaires et des scrutateurs qui reçussent leur mission d'une pleine et entière liberté. On protesta contre l'illégalité des formes de la convocation, en ce que, d'une part, la commune avait été désunie et que, de l'autre, une partie majeure des citoyens avait été exclue parce que leur contribution au paiement de la capitation ne s'élevait pas au taux d'après lequel on avait établi la qualité de citoyen, et le droit de voter à l'assemblée nationale.

Aussitôt, et sans attendre la réponse de M. Pochet, tous les membres de l'assemblée déposèrent successivement leurs vœux dans le scrutin placé au milieu de l'église. M. Hermant de Cléry fut élu président à la pluralité de 165 voix contre 127 qui avaient été données à M. d'Arcet de l'académie des sciences; et M. Scorbrin, avocat, fut unanimement et par acclamation nommé secrétaire.

M. Pochet, cependant, qui avait envoyé à l'Hôtel-de-Ville pour informer le bureau de la résistance et de la réclamation de l'assemblée, reçut en réponse le consentement des magistrats municipaux, pour laisser à l'assemblée le choix de son président. M. Pochet fit part de cette réponse aux citoyens et, en consé quence, M. Hermant fut aussitôt installé au fauteuil.

Il s'était présenté, pendant qu'on procédait au scrutin, une députation envoyée par la noblesse du district des Petits-Pères ; elle était composée de M. Vergennes, maître des requêtes, etde M. de la Motte. On l'avait fait attendre jusqu'à l'achèvement du scrutin. Dès que M. Hermant de Clery eut été installé président, il nomma quatre commissaires pour l'aller recevoir.

La députation étant introduite, M. de Vergennes exprima le vœu de la noblesse de s'unir avec le tiers-état, sous la qualité de bourgeois de Paris, et annonça les protestations que la noblesse avait faites dans le district des Petits-Pères, contre l'illé

galité de la convocation, en ce qui touchait la désunion de la commune. Il témoigna ensuite le regret particulier de la députation sur ce qu'étant commise pour visiter tous les districts du tiersétat de Paris, elle n'avait pas eu le temps de rédiger et de laisser une copie des objets de sa mission. M. de Vergennes finit par promettre d'envoyer incessamment à l'assemblée, en la personne de M. le président, une copie, tant de l'acte de députation, que des articles du cahier de la noblesse qui y étaient relatifs.

La députation retirée, on nomma les commissaires pour la rédaction des cahiers, ensuite les scrutateurs pour recevoir les suffrages des votans. Les électeurs nommés, on reçut leur serment de remplir, en leur âme et conscience, les fonctions qui leur étaient confiées, et, pour pouvoirs, on leur remit le cahier approuvé par l'assemblée.

Toutes ces opérations furent fréquemment interrompues par des députations soit de la noblesse, soit du tiers-état, en sorte que la séance fut fort longue; elle ne finit que vers six heures du lendemain matin.

Nous croirions manquer à la juste curiosité de nos lecteurs, en nous bornant à cette seule analyse des séances des districts que nous avons empruntée à un journal du temps. Les procèsverbaux des séances de ce genre sont des pièces fort rares aujourd'hui ; aussi nous ne craindrons pas que l'on nous reproche de multiplier les citations. Nous choisissons parmi quatre de ces procès-verbaux que nous avons sous les yeux, celui de SaintEtienne-du-Mont, qui nous paraît le plus complet, pour en extraire autant de passages que les proportions de cette histoire nous le permettront.

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L'an 1789, le mardi 21 avril, avant midi, l'assemblée partielle du tiers-état, convoquée en la forme du réglement dans la paroisse de Saint-Etienne-du-Mont, après avoir entendu l'appel de tous les membres qui la composent, montant à 476 délibérans, et la lecture des réglemens, lettres du roi, etc.; considérant que l'intention du roi manifestée par le réglementmême est de convoquer l'assemblée libre des États-Généraux; que, pour former une assem

blée libre, il faut nécessairement que la convocation soit libre, que les délibérations soient libres, que les élections soient libres; que le premier caractère de cette liberté est que l'assemblée qui délibère soit présidée, les voix recueillies, et la délibération rédigée par des personnes choisies librement.....; considérant que le roi, en ordonnant que les assemblées du tiers seraient présidées par un officier de l'Hôtel-de-Ville, a voulu pourvoir aux seuls moyens possibles de former lesdites assemblées; mais qu'il n'a pas entendu nuire, ni préjudicier à la liberté qu'il a si souvent annoncé vouloir faire régner dans les délibérations...; considérant que ce droit d'être présidées par une personne volontairement choisie, est accordé aux assemblées partielles de la noblesse, et qu'il ne peut exister aucune distinction de liberté ou d'esclavage entre la noblesse et le tiers-état.

L'assemblée a unanimement interpellé M. Sarrazin, président-commis en vertu du réglement, de déclarer s'il entendait conserver sa place de président en vertu du titre qui la lui transférait, ou s'il entendait remettre le choix d'un président à la pluralité des suffrages; et mondit sieur Sarrazin s'étant levé, à déclaré qu'il était l'homme du roi, et qu'il ne pouvait abdiquer ce titre; sur quoi l'assemblée a unanimement arrêté d'élire un président et un secrétaire à la pluralité des suffrages, et que les suffrages seraient recueillis par les trois doyens d'âge. Et aussitôt les scrutins ayant été reçus, rassemblés et balancés en la forme ci-dessus, le plus grand nombre a désigné pour président M. De la Vigne, avocat au parlement, et pour secrétaire M. du Veyrier, aussi avocat au parlement.

› Ces nominations faites, l'assemblée s'est occupée des opérations qui lui étaient confiées, soit par les termes exprès, soit par l'esprit du réglement.... Et pour y parvenir, il a été unanimement arrêté qu'on ne procéderait à la nomination des électeurs qu'il s'agit d'envoyer à l'Hôtel-de-Ville, qu'après avoir formé, rédigé et arrêté les cahiers, dont il est indispensable de les charger, pour qu'ils puissent eux-mêmes les remettre, et imposer l'obligation de s'y conformer aux députés qui seront choisis

dans l'assemblée générale de l'Hôtel-de-Ville; et qu'au surplus on ne quitterait point le lieu de l'assemblée, sans avoir rédigé ses cahiers et choisi les députés.

Et afin d'obtenir une rédaction plus prompte et mieux entendue des cahiers, il a été unanimement arrêté qu'on formerait six bureaux, dont les présidens seraient nommés par le président de l'assemblée, et nommeraient eux-mêmes trois adjoints pour les seconder.... Et ces six bureaux formés se sont de suite occupés de leur mission. ›

Pendant ce travail, l'assemblée reçut diverses députations des autres districts, entre autres de la noblesse, qui lui portait le vœu de recouvrer le droit de commune, sans distinction d'ordre ni de condition. Elle-même nomma des députés aux cinquante-neuf districts du tiers et aux chambres de la noblesse, dont elle avait reçu les députés.

Cependant les bureaux ayant achevé leur travail, vinrent lire leur projet de cahier, qui fut voté après délibération.

Ce cahier est divisé en huit chapitres. Le premier est une protestation contre la forme de convocation, contre l'oubli, soit de commune, soit de nation; le second a pour titre : Charte et constitution nationale; le troisième traite des impôts et finances; le quatrième, de la justice; le cinquième du clergé : on demande la résidence des prélats, on proscrit le cumul des bénéfices, on réclame pour les curés et vicaires; le sixième s'occupe de l'éducation; le septième, du commerce; et le huitième, de la réorganisation de la commune de Paris.

Après avoir voté ce cahier, on nomma des scrutateurs, et l'on procéda à la nomination des électeurs.

Mais, attendu que le nombre des délibérans qui a composé l'assemblée n'indiquait, suivant le réglement, que le nombre de cinq électeurs à élire, et néanmoins que par les députations des différens districts, il a été notoire que la plupart de ces assemblées n'étaient pas assez nombreuses pour fournir chacune cinq électeurs à l'Hôtel-de-Ville, et compléter ainsi le nombre de trois cents électeurs, fixé par le réglement pour la totalité du

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