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conquêtes là où il rencontra leurs frontières. Il ne chercha à s'étendre que du côté où était le territoire appartenant aux Romains. Au reste, ses conquêtes furent peu étendues; elles ne dépassèrent pas la partie de la seconde Belgique, située entre l'Aisne et la mer. Mérovée, qui succéda à Clodion en 448, imita son exemple: il ne dirigea ses empiétemens que du côté des provinces germaniques.

A cette époque, le représentant du pouvoir impérial se trouvait encore gouverner directement par ses officiers un grand tiers des Gaules. Les deux autres tiers étaient au pouvoir de diverses bandes militaires ayant chacune leurs chefs propres, lesquelles n'obéissaient aux ordres du lieutenant Romain, en quelque sorte, que comme feudataires. Le plus puissant était le roi des Visigoths. Deux parties détachées de ce territoire étaient en insurrection ou verte : c'étaient celle où s'était établi Clodion, et la Bagaudie.

Nous trouvons une notice exacte de ces divisions, que Jornandès rapporte à l'occasion de la guerre contre les Huns (1). En effet, ce fut le dernier soupir du pouvoir romain; ce fut la dernière fois que son représentant exerça un grand pouvoir dans les Gaules. Aétius réunit alors, un moment, sous son commandement, toutes les forces confédérées de cette grande province; ce fut à leur tête qu'il battit Attila, en 451, dans les plaines de Châlons. Le danger les avait réunis, la victoire les sépara. On trouve dans la notice que les Romains et les Visigoths furent rejoints par les Francs, les Sarmates, les Armoricains, les Lètes, les Bourguignons, les Saxons, les Ripuaires, les Bréons, et quelques autres nations celtes ou germaniques.

Les événemens qui se passèrent dans l'empire, après cette grande victoire, le mirent à jamais hors d'état de menacer aucune des indépendances partielles qui s'étaient constituées. Dans l'espace de dix ans, l'Italie est pillée par Attila; Aétius est assassiné par l'empereur même qu'il servait; et celui-ci, bientôt, périt frappé par ses soldats. Maxime s'empare de la couronne. Un parti (1) Jornandès, De rebus Geticis.

appelle les Vandales d'Afrique en Italie; ils prennent Rome, et la pillent; ils livrent Maxime au peuple, qui le met à mort. Alors les provinces des Gaules restées romaines, unies aux Visigoths, élisent Empereur leur préfet du prétoire. Celui-ci abdique bientôt Majorien lui succède à Ravenne. Ce fut lui qui nomma Ægidius, de la famille lyonnaise de Syagria, maître de la milice dans les Gaules. Ce nom est le dernier chainon par lequel les événemens de notre patrie se rattachent encore à l'histoire de l'empire d'Occident. Le préfet du prétoire vécut plus long-temps que le maître qui l'avait nommé: celui-ci périt assassiné en 461. Nous avons hâte d'abandonner cette histoire, où tout est trouble, désordre, accident; où nul fait n'est intelligible, parce qu'il émane d'une source toujours secrète, la personnalité et l'égoïsme. Qu'on juge par le dégoût qui nous saisit après quatorze siècles, au spectacle de ces horreurs, quelle devait être la répugnance des Gaules pour le pouvoir impérial!

C'est sous l'administration d'Egidius que l'on vit paraître les commencemens de ce but d'activité, qui, trente ans plus tard, réunit tout le nord des Gaules sous un seul nom, celui de terre des Français. Doit-on l'attribuer à l'habileté de ce maître de la milice, ou à l'effet des circonstances? Il importe peu. Lorsqu'il prit le gouvernement, les provinces fidèles aux Romains étaient bien réduites. Leur domaine était une longue bande de territoire qui allait des Alpes aux Bouches-du-Rhône, suivait ce fleuve, et venait, en traversant la Champagne, s'élargir et se terminer en comprenant une partie des deux Belgiques. Le point le plus étroit était placé sur les rives du Rhône : c'était un isthme pressé d'un côté par les Bourguignons, de l'autre par les Visigoths. Les Bourguignons occupaient déjà l'Alsace, une partie de la Suisse, le Doubs, la Haute-Saône, et menaçaient Lyon. Les Goths étaient arrivés sur la Loire, et faisaient effort pour traverser le Rhône. Le Nord, au contraire, était tranquille. Chilpérie avait succédé à Mérovée dans Tournai; les Ripuaires étaient paisibles dans leurs cantonnemens. En conséquence, Ægidius, que nos chroniques appellent Gillon, së transporta dans le Nord et vint solliciter l'alliance des Armori

ques.

Il mit sans doute en avant l'intérêt religieux, et se fit aider des Évêques. En effet, on vit cette confédération qui, jusqu'à ce jour, n'avait pris les armes que pour défendre ses foyers, fournir des soldats pour aller combattre au loin: C'est que les Bourguignons et les Visigoths, contre lesquels on leur demandait secours, étaient des Ariens. Ces derniers étaient particulièrement détestés, parce qu'on les accusait de plusieurs persécutions sanglantes exercées contre les Catholiques. Ægidius n'eut pas seulement le secours des Bagaudes : il fut élu roi par les Francs de Tournai qui chassèrent Chilpéric. Alors, Ægidius alla combattre les Goths à Arles, en Auvergne, sur les bords de la Loire. Ce général, au reste, s'occupa de conserver des provinces, moins pour la cour de Ravenne que pour la foi catholique, dont il était lui-même profondément imbu. On ne le voit pas même, depuis son élection, entretenir le moindre rapport avec les Empereurs. Un fait semblait devoir déranger la bonne harmonie qu'il avait réussi à introduire dans le Nord, ce fut le rappel de Chilpéric par les Francs. Il est probable que nos chroniqueurs ont rapporté inexactement les causes de ce retour, ou que nous les avons mal interprétés. En effet, on voit Chilpéric à la tête d'un corps de troupes dans une armée que commandait Ægidius; bien plus, on dit qu'ils régnèrent ensemble. Chilpéric reçoit un titre dans l'administration de la milice; enfin il reste allié des Armoriques.

Ægidius fut tué dans un combat au bord de la Loire. Après sa mort, son fils Syagrius lui succéda dans le gouvernement dont Soissons était le centre; un comte Paulus resta commandant des troupes qu'on voulait bien encore nommer romaines; la confédération continua d'ailleurs à être très-unie. Ainsi, les chroniques nous montrent Chilpéric allié avec le comte Paul. Le chef franc fut surtout occupé contre les Ripuaires, qui habitaient entre Rhin, Meuse et Moselle. Dès ce moment les rapports d'obéissance furent rompus avec les Italiens. En effet, la cour impériale accorda le titre de chef de la milice à l'aîné des rois des Bourguignons. Ceux-ci en profitèrent pour s'emparer de Lyon et de Vienne; les Visigoths s'emparèrent d'Arles et du

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pied des Alpes, et de là, bientôt ils s'élancèrent en Italie pour y fonder un empire: ainsi le Nord fut séparé de l'Italie par des royaumes ariens.

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Les choses étaient en cet état, lorsque Clovis succéda en 481 à Chilpéric. Ce roi chassa Syagrius, et s'empara de Soissons. Il sounit les Francs du pays de Tongres ou de Thuringe; mais il fut arrêté par les Bagaudes. Il assiégea à diverses reprises Paris, pendant dix ans, dit-on. C'est dans ces luttes que Geneviève de Nanterre se sanctifia par son dévouement religieux à la chose publique. Cette vierge, depuis long-temps consacrée au Seigneur, était déjà aimée et respectée pour les services de même genre rendus au temps de la guerre contre Attila. Son exemple et ses prédications donnèrent aux Parisiens le courage de résister à des attaques moins redoutables en elles-mêmes, que par les ravages qu'elles occasionnaient. Clovis sentit alors la nécessité de lier ses intérêts à ceux du Catholicisme. C'est sans doute dans ce but qu'il fit enlever la jeune Clotilde, laquelle, bien que de Bourgogne, pratiquait cependant la vraie foi, et qu'il s'unit à elle en mariage. D'un autre côté, les Évêques faisaient leurs efforts pour amener Clovis à se convertir. Ce fut un Romain, c'est-à-dire un chrétien, qui lui conseilla son mariage; et ce fut un saint prêtre qui détermina Clotilde à donner sa foi à un payen, dans l'espérance de le changer. Enfin, en 496, le roi franc se fit baptiser à Reims avec trois mille de ses fidèles.

Cet acte, depuis long-temps commandé par les circonstances, ne fut sans doute autant ajourné que par la volonté des Évêques. Ils exigeaient qu'il fût autre chose qu'une vaine cérémonie, et ils refusèrent en conséquence de l'accorder à d'autres sentimens, qu'à ceux d'une foi réelle et éprouvée. L'Église, et tout le monde alors, croyait aux sacremens, et c'eût été un sacrilége que de les prodiguer à des intérêts seulement temporels. En effet, il est inexact de dire que Clovis ne tarda tant que dans la crainte de mécontenter ses Francs. Depuis long-temps beaucoup de Francs s'étaient faits chrétiens; on trouve même à cette époque un saint de cette race. Ils étaient habitués au respect pour les prêtres et

les vierges du Seigneur, et par l'exemple d'Egidius, et par celui de Chilpéric, et enfin par celui de Clovis lui-même, qui très-souvent consultait quelques saints personnages qui suivaient habituellement son armée. Clovis, d'ailleurs, faisait baptiser ses enfans, ce qui était promettre aux Francs des rois chrétiens. Or, rien ne nous apprend que quelqu'un de ses sujets lui ait demandé compte de cet acte. L'histoire du vase sacré réclamé par l'évêque de Reims, nous prouve quelle autorité avait, parmi cette peuplade, le respect pour l'Église. Enfin, l'immunité accordée au territoire de la cité des Rémois; l'indépendance qui lui fut laissée, parce qu'il était sous le gouvernement d'un Archevêque, tandis qu'on conquérait Soissons, parce que cette cité était administrée par un comte; même la conduite de Clovis après son baptême, tout montre qué son accession au Christianisme fut plus encore un acte de foi qu'un acte politique.

En 497, un an après ce baptême, Clovis invita les Armoriques à s'allier avec lui, et, par l'inspiration des Évêques, elles le reconnurent pour administrateur de la chose militaire. Paris devint la capitale du nouveau Royaume. Les troupes romaines qui étaient cantonnées vers la Loire et dans le Berri, ne voulant pas, disent les chroniques, se donner aux Ariens, imitèrent les cités; elles se donnèrent aux Francs et aux Armoriques. Alors LA NATIONALITÉ FRANÇAISE FUT CONSTITUÉE.

que

Nous croyons qu'il résulte de la narration qui vient de ¶nir, l'établissement de la Monarchie Française ne fut pas le résultat d'une conquête ; qu'elle fut appelée par la nécessité toute gauloise de fonder un centre de conservation nationale; enfin, que le principe d'union qui fit une société une de tant d'élémens hétérogènes, fut le principe catholique; en sorte que c'est avec raison que la loi salique déclare que la nationalité française a été instituée par Dieu, et que ce fut exactement vrai de dire que la France avait été construite par les Évêques des Gaules. Il nous reste à savoir maintenant si l'établissement dont il s'agit apporta quelque changement dans l'organisation sociale et dans l'état ci vil des Gaulois.

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