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s'associèrent d'avance à ses victoires, soit en aidant, soit en adoptänt les faits analogues qui se passaient au nouveau-monde.

Calonne avait reçu le portefeuille deux mois après que le traité d'indépendance des treize Etats-Unis de l'Amérique eût fermé, le 3 septembre 1785, les conférences ouvertes à Paris depuis le mois d'octobre 1782. Le mouvement moral que nous avons essayé d'esquisser, menaçait déjà de tout entraîner au moment où les notables furent convoqués. L'ordonnance de convocation est du 29 décembre 1786, et l'ouverture de l'assemblée à Versailles, du 22 février 1787.

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La royauté, son ministre et les conseillers extraordinaires qu'elle appelait, rivalisèrent d'inintelligence et d'infériorité, en présence des fatalités incessantes, qui bientôt ne pardonneraient plus. Ils n'allaient examiner que la surface des choses, que des accessoires jugés, et cependant ils ajoutèrent à la pauvreté des motifs qui les rassemblaient, celle de les subordonner à de vaines cérémonies, à des disputes de préséance. Nous donnerons le plan de la salle, à la séance présidée par le Roi, parce qu'il n'est pas indifférent de connaître combien y prévalurent les traditions monarchiques. Le procès-verbal parle ainsi : « Après le discours du Roi, monseigneur le garde-des-sceaux s'est approché du trône, en faisant trois profondes inclinations; la première avant de quitter sa place; la seconde après avoir fait quelques pas, et la troisième lorsqu'il a été sur le premier degré du trône; puis il a pris à genoux les ordres de sa Majesté (P. 52 et 53). » Voici la seule dérogation à l'idolâtrie, mentionnée dans un N. B. de la page 52. Les Huissiers-Massiers, le Roi-d'Armes et les Hérauts-d'Armes auraient dû être à genoux pendant toute la séance, mais sa Majesté a trouvé bon qu'ils se levassent quand elle a eu fini de parler. » Nous trouvons également dans la séance de clôture: N. B. Le Roi a permis que les Huissiers de la Chancellerie, qui auraient dû être à genoux pendant toute la séance, derrière monseigneur le Garde-des-sceaux, se tinssent debout, quand il a eu fini de parler. » (p. 319.)

L'archevêque de Narbonne protesta, au nom de son ordre,

T. I.

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contre la priorité de parole que le premier président du parlement de Paris avait usurpée. D'autres susceptibilités éclatèrent dans les bureaux, malgré les précautions oratoires de la déclaration du roi, consacrée presque tout entière à les prévenir: .... .... Ils ont satisfait à notre volonté, et pris la place que nous leur avons expressément choisie et que nous avons commandé à nos officiers des cérémonies de leur donner de notre part, comme honorable et avantageuse, et parce que quelques-uns pourraient n'être pas satisfaits à cause de leur dignité personnelle, ces places n'étant pas celles qu'ils ont accoutumé de tenir aux États-généraux, lits de justice...........; nous leur avons voulu déclarer, comme nous faisons par ces présentes, mus de la bonne volonté que nous avons toujours eue pour les prélats et la noblesse de notre royaume, et autres nos sujets, que notre intention n'a point été de tenir une assemblée d'États....., et que nous leur avons ordonné cette séance, proche de notre personne...., comme trèshonorable, avantageuse et convenable à l'action, tant de l'ouverture de ladite assemblée que de la continuation d'icelle, sans qu'elle puisse préjudicier ni rien diminuer des honneurs et prérogatives qui leur sont ordinairement attribués, et que nous entendons et voulons leur être conservés.....» (Procès-verbal, p. 92 et 93.)

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On a dû remarquer la phrase hiérarchique : les prélats et la noblesse de notre royaume, et autres nos sujets. L'initiative royale préjugea toutefois dans le sens libéral une question agitée plus tard avec violence; elle décida que les notables voteraient par tête et non par ordre, et elle annonça les mêmes intentions pour les assemblées provinciales, dont elle leur présentait le projet. Au reste, les plans du gouvernement adoptés, exagérés même dans leur partie critique, furent rejetés ou renvoyés à un plus ample informé, dans tout ce qu'ils proposaient pour remédier aux abus. Il ne faut en excepter que l'établissement des assemblées provinciales, lequel eut l'assentiment général, parce qu'il ne compromettait que des intérêts absens, ceux des financiers. Le déficit scandalisa. Calonne ayant avancé que le trésor n'avait

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pas été laissé par Necker, aussi riche que ce dernier l'avait prétendu, le roi désira sur ce point le témoignage de Joly de Fleury. Sa réponse, peu favorable sans doute aux assertions du ministre, fut supprimée par lui; mais le garde-des-sceaux, Miromesnil, en avait reçu une copie, et il la communiqua à Louis XVI. Le contrôleur-général sortit vainqueur de cette querelle: il fit remplacer Miromesnil par Chrétien-François de Lamoignon président à mortier au parlement de Paris, et lui-même, après un échec définitif devant les notables, céda la place, six jours après, à Bouvard de Fourqueux, conseiller d'État ordinaire. Ces changemens survinrent entre la séance du 29 mars et celle du 23 avril. Le 3 mai, Loménie de Brienne, archevêque de Toulouse, l'un des notables convoqués, fut nommé chef du conseil royal des finances. Il prononça, le 25 du même mois, à la séance de clôture, un discours qui promettait une incapacité de premier ordre à la tête des affaires. Ses conclusions, noyées çà et là dans des fadeurs courtisanesques, portaient en substance que rien n'était décidé; qu'on avait reçu d'excellens conseils ; que le gouvernement élaborerait de nouveau ses réformes, et ne les appliquerait qu'avec la plus scrupuleuse circonspection. Quant au déficit, qu'il estimait à cent quarante millions (1), il le comblait en espérances avec des impositions qu'il affectait de mal définir, les mêmes que la majorité des notables, dont il faisait partie, venaient de refuser à Calonne, avec des rognures qu'il est curieux de citer. Dans une phrase qui trahissait maladroitement le secret de son origine ministérielle, le courtisan disait : « Déjà la reine a recherché elle-même, et fait rechercher encore tous les retranchemens dont sa maison est susceptible; déjà les princes, frères du roi, se proposent de remettre au trésor royal une partie des sommes qu'ils en reçoivent; déjà le roi a ordonné..... de préparer toutes les économies que chaque partie peut supporter. La bouche, la vénerie, les écuries, les postes, les haras, les dons, les grâces...., tout su

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(1) Ce chiffre est inexact, voir le Compte rendu, ci-après,

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birà l'examen, que les circonstances rendent nécessaire. » Il rangeait naïvement dans ce style barbare, selon l'importance qu'ils avaient à ses yeux, et malheureusement aux yeux de tous, le personnel de la famille royale, qui commençait bien en effet par la reine et finissait par le roi.

Nous complétons l'histoire de cette époque par l'insertion des pièces suivantes: 1° du discours d'ouverture du roi à l'assemblée des notables; 2o du premier discours de Calonne : il renferme le peu de bien qu'il a fait, et l'exposé de toutes les matières soumises à la délibération des notables; 3° du compterendu préparé par ses soins, discuté et revu par d'autres. Nous ferons précéder cette dernière pièce de ce que les divers états de finances offrent d'intéressant depuis 1758, notamment des mémoires de Terray et du compte-rendu de Necker. Ceux de nos lecteurs qui désireraient des renseignemens antérieurs, les trouveront dans les recherches de Forbonnais.

MESSIEURS,

Discours du Roi.

« Je vous ai choisis dans les différens ordres de l'État, et je vous ai rassemblés autour de moi pour vous faire part de mes projets.

C'est ainsi qu'en ont usé plusieurs de mes prédécesseurs, et notamment le chef de ma branche, dont le nom est resté cher à tous les Français, et dont je me ferai gloire de suivre toujours les exemples.

Les projets qui vous seront communiqués de ma part sont grands et importans: d'une part, améliorer les revenus de l'État et assurer leur libération entière par une répartition plus égale des impositions; de l'autre, libérer le commerce des différentes entraves qui en gênent la circulation, et soulager, autant que les circonstances me le permettent, la partie la plus indigente de mes sujets. Telles sont, Messieurs, les vues dont je me suis occupé, et auxquelles je me suis fixé après le plus mûr examen. Comme

elles tendent toutes au bien public, et connaissant le zèle pour mon service dont vous êtes tous animés, je n'ai point craint de vous consulter sur leur exécution; j'entendrai et j'examinerai attentivement les observations dont vous les croirez susceptibles. Je compte que vos avis, conspirant tous au même but, s'accorderont facilement; et qu'aucun intérêt particulier ne s'élevera contre l'intérêt général.

Discours de monsieur le contrôleur-général.

MESSIEURS,

Ce qui m'est ordonné en ce moment m'honore d'autant plus, que les vues dont le roi me charge de vous présenter l'ensemble et les motifs, lui sont devenues entièrement personnelles par l'attention très-suivie que S. M. a donnée à chacune d'elles avant de les adopter.

La seule résolution de vous les communiquer, et les paroles toutes paternelles que vous venez d'entendre de sa bouche, suffisent sans doute pour exciter en vous la plus juste confiance; mais ce qui doit y mettre le comble, ce qui doit y ajouter l'émotion de la plus vive sensibilité, c'est d'apprendre avec quelle application, avec quelle assiduité, avec quelle constance le roi s'est livré au travail long et pénible qu'ont exigé d'abord l'examen de tous les états que j'ai mis sous ses yeux pour lui faire connaître, sous tous les points de vue, la véritable situation de ses finances; ensuite la discussion de chacun des moyens que je lui ai proposés pour les améliorer et y rétablir l'ordre.

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Après avoir créé une marine et rendu le pavillon français respectable dans toutes les mers; après avoir protégé et affermi la liberté d'une nouvelle nation, qui, démembrée d'une puissance rivale, est devenue notre alliée; après avoir terminé une guerre honorable par une paix solide, et s'être montré à toute l'Europe digne d'en être le modérateur, le roi ne s'est pas livré à une stérile inaction. S. M. ne s'est point dissimulée combien il lui restait à faire pour le bonheur de ses sujets, premier objet de tous ses soins, et véritable occupation de son cœur,

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