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session de la Champagne, de l'Orléanais, de la Touraine, du Poitou, du Berri, et de quelques provinces du Midi. Il semblait que la France allait être réunie à l'Angleterre sous un même Prince. En effet, en 1422, à la mort de Charles VI, les deux Régens furent proclamés Rois: Charles VII à Poitiers; Henri d'Angleterre à Paris.

Henri avait la supériorité des forces, mais Charles VII avait la supériorité des souvenirs. En effet, il était toujours resté séparé et ennemi de cette cour infâme, qui était morte en quelque sorte avec le dernier Roi; il était resté fidèle à la cause nationale, et si le sentiment public ne se tourna point vers lui, au moins dut-il cesser de lui être hostile. Enfin, un événement qui, dans ce siècle, dut être regardé comme miraculeux, parce qu'il était inexplicable, lui rendit la ferveur populaire. Une femme, Jeanne d'Arc, mue par la religion de la patrie; imbue, avec une foi profonde, de cet enseignement qui apprenait au peuple à regarder la France, et la race de ses Rois comme les fils aînés de l'Église entraîna les masses, en fit une armée. Ce fut une guerre sainte, une nouvelle croisade 'qu'elle conduisit : tout céda devant cette fureur religieuse. Jeanne d'Arc fut prise, et périt par la main des Anglais, martyr de sa foi patriotique. Mais le fanatisme de la nationalité était rentré dans le cœur des Français, et, en 1451, il ne restait plus aux Anglais, sur le sol de l'ancienne France, que la ville de Calais. Une telle suite de succès, après tant de revers, parut aussi miraculeuse que l'avait été leur origine.

Le Roi ordonna que l'on revît le procès de Jeanne d'Arc et l'on cassa le jugement inique qui l'avait condamnée : en sorte que le nom de la vierge française ouvrit et ferma cette époque glorieuse.

Le nom de cette vierge est le seul qui soit sorti pur des troubles dont nous venons de parler. Une effroyable démoralisation avait avili les hautes classes de la société. Le principe du mal, l'égoïsme avec son sale vêtement de vanités, de profusions et de débauches, et avec ses affreux serviteurs, le vol, l'assassinat, l'empoisonnement, l'adultère, régnait au sommet, Comment l'être social n'eût

il pas souffert, et ne se fût-il pas agité au contact de tant d'agens destructeurs qui le menaçaient de mort? Tout ce qui ne fut pas victime fut souillé.

Ce mal fut pour la France une souffrance sans fruit, fatal pour tout le monde. Ainsi, depuis saint Louis, les plaids annuels ten-* daient à se changer en assemblées parlementaires semblables à celles d'Angleterre. Cette tendance fut rompue par le règne de Charles VI. Les réunions en cour plénière cessèrent d'avoir lieu d'une manière régulière, et on ne convoqua plus les États-généraux qu'à titre d'assemblée exceptionnelle, pour résoudre une difficulté exceptionnelle. Ils se réunirent pour la dernière fois, selon leur coutume régulière, dans l'année même qui vit monter Charles VI, mineur, sur le trône. Voyant un Roi enfant, possédé par une cour de seigneurs pillards, ils ordonnèrent la suppression des aides, et voulurent réduire la liste civile au revenu des biens de la couronne. Leur résolution fut accueillie, publiée; mais lorsqu'ils se furent séparés, leurs ordonnances furent mises à néant, et leur intervention fut pour toujours écartée : ce fut même une des causes des émeutes populaires qui affaiblirent les premières années de la minorité de Charles VI, et dont il triompha si insolemment avec l'aide de sa noblesse.

Toutes les fois que l'histoire nous montre une grande et générale démoralisation, on trouve toujours que son caractère est la subalternisation du devoir social à l'intérêt privé. Tel fut aussi le cachet de l'époque dont nous venons de nous occuper. Mais si l'on voulait en indiquer la cause première, il faudrait recourir à l'histoire même de l'Église. En effet, cette période de décadence de la France correspond à une période semblable dans l'Église de Rome. Ce fut elle qui donna, la première, l'exemple de l'égoïsme, La papauté avait cessé d'être un devoir, une fonction catholique; elle était devenue une fortune que les familles ambitionnaient comme un emploi fructueux. Il arriva de là que les papes ne furent plus choisis que parmi des nobles de sang, et qu'ils portèrent sur le trône apostolique les passions des familles et des races dont ils sortaient. Bientôt on vit plusieurs Papes se disputer

la couronne, ainsi qu'on avait vu des successeurs de rois. Ce schisme était en pleine vigueur sous Charles V. Ainsi il arriva que ces prétendus successeurs des Apôtres devinrent serviteurs non-seulement des rois, dont ils se disputaient la protection, mais même des Évêques, dont ils sollicitaient l'approbation: ceux-ci à leur tour dépendirent des Seigneurs, etc. La discipline de l'Église fut renversée, le pouvoir de l'excommunication fut éteint, et comme parmi ces Papes nul n'avait le droit pour lui, les uns et les autres ne comptèrent que sur leur complaisance pour trouver des appuis. L'Université de Paris, quelques ordres de moines mendians et le clergé inférieur résistèrent seuls à la démoralisation qui résulta du schisme; l'Université, entre autres, se distingua par son énergie à demander un concile général pour la réformation de l'Église et du Clergé.

CHAPITRE III.

HISTOIRE DE FRANCE DU QUINZIÈME AU DIX-SEPTIÈME SIÈCLE.

L'HISTOIRE des deux siècles suivans est celle d'une bataille entre le fédéralisme aristocratique et l'unité monarchique. Aussi, quant à l'organisation sociale, toutes choses restèrent dans le provisoire, et, à la fin de cette époque, sous Louis XIV, nous trouverons que l'unité en France n'est que morale, n'ayant d'autre représentant que l'absolu pouvoir du monarque, mais d'ailleurs embarrassée des mille obstacles que lui opposait la variété des coutumes qui tenaient lieu de Codes, divisée en provinces, et par systèmes d'impôts et de priviléges, coupée par des lignes de douanes, et présentant sur le sol qui lui appartenait, sous la domination du même esprit et de la même langue, toutes les différences qu'offre aujourd'hui l'Europe.

T. I.

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Louis XI ouvre cette suite de rois qui travaillèrent à la ruine de la noblesse et de ses priviléges féodaux. A la mort de Charles VII son père, en 1461, on avait conspiré de donner la couronne à son jeune frère, au mépris de son droit d'aînesse. Il escamota le trône, et dès ce jour il commença cette guerre acharnée, mêlée de succès et de revers, semée d'intrigues et de violences, qui ne se termina qu'à sa mort, en 1483. Nous n'entrerions dans aucun détail sur les accidens de ce règne, quand même nous ne devrions pas saisir toutes les occasions d'abréger notre narration. En effet, il n'cut qu'une seule signification, et toujours la même à travers tous les événemens; il n'eut qu'un seul but, la destruction de la noblesse féodale.

Les États-généraux ne furent assemblés qu'une seule fois au commencement de ce règne, en 1468, et pour répondre à une difficulté que leur assentiment seul pouvait résoudre, difficulté exceptionnelle, ainsi que nous l'avons annoncé dans le chapitre précédent : c'était pour résister aux exigences de la ligue que la noblesse avait organisée contre le Roi, et pour empêcher le démembrement du royaume, que celle-ci était alors assez puissante pour exiger. Le vote des États conserva l'intégrité de la France.

Louis XI laissa à Charles VIII, son fils, le royaume accru de la Bourgogne et de la Provence, riche, paisible et obéissant.

Le jeune roi était mineur, âgé de moins de quatorze ans. Pour assurer la régence dans les mains auxquelles Louis XI l'avait confiée, il fallut encore recourir aux États-généraux. L'histoire de cette assemblée nous a été conservée. Les États votèrent non-seulement par ordres, mais par nations. Il y avait six nations, celles de Paris, de Normandie, de Bourgogne, d'Aquitaine, de Languedoil et de Languedoc. Parmi les réclamations faites par cette assemblée, nous remarquerons les suivantes : on demanda l'abolition de la vénalité des charges, l'inamovibilité des offices, sauf le cas de forfaiture, et la suppression des douanes inté rieures. On insista d'ailleurs sur les sujets habituels des réclama

tions de toutes les assemblées, sur la diminution des impôts, la suppression des tailles et des gabelles; enfin les États confirmèrent le testament de Louis XI.

Le vote de cette assemblée fut souverain. On avait pris toutes les précautions pour que leur décision ne pût être un acte de complaisance pour aucun parti. On avait adressé aux baillifs et aux sénéchaux la commission de réunir les députés de leur ressort. En conséquence, ils avaient convoqué des réunions de tous les possesseurs de bénéfices ecclésiastiques et seigneuriaux; enfin des députés des villes, bourgs et villages. Cette réunion avait rédigé son cahier, et en avait chargé des députés qu'elle avait élus pour représenter chacun des ordres dont elle était composée ellemême. A Paris, on avait procédé ainsi : on convoqua le prévôt des marchands, les échevins de la ville, tous ses officiers, les notables bourgeois de chaque quartier, tous les principaux maîtres fourreurs, drapiers, orfèvres, etc., deux membres de chaque communauté religieuse, enfin l'Archevêque, en qualité de bourgeois de Paris. On invita chacun, dans les églises et au prône, à transmettre à cette assemblée ses projets et ses plaintes, et, sur ces matériaux, on rédigea le cahier de Paris, que quinze députés furent chargés de porter aux États.

Alors la France, qui depuis plus d'un siècle n'était occupée qu'à user ses forces sur elle-même, vint prendre sa part dans la politique européenne. Il ne sera pas inutile d'examiner quel fut le caractère général de celle-ci, jusqu'au moment où les guerres de la réforme vinrent en changer le but.

La révolution qui avait eu lieu en France au profit de la puissance monarchique, s'était opérée également sous d'autres formes dans les autres parties du royaume de Charlemagne. En Allemagne, l'Empire était devenu héréditaire; en Espagne, les Chrétiens avaient conquis tout le sol, et un seul Roi, gouvernait ce vaste et riche territoire. Tous ces grands centres avaient été formés par la guerre. Lorsqu'elle fut terminée, l'esprit d'agran

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