Page images
PDF
EPUB

fils, ils sont nobles de droit. On y lit que la femme n'ennoblit pas son mari, ni ses enfans, mais que le mari ennoblit sa femme. On voit que les femmes possédaient des fiefs, et devaient faire marcher leur contingent à l'Ost du Roi. C'était l'aîné qui succédait seul, et de droit, au fief de son père, dans le cas où celui-ci ne l'avait point partagé par testament. La majorité était fixée à vingt-un ans. Le crime de rébellion, comme celui de viol, était puni de la confiscation du fief. On voit enfin que les hommes coutumiers devaient le service de guerre, qui était de soixante jours, sous peine de soixante sous d'amende. Les possesseurs de fiefs étaient sujets aux mêmes obligations.

C'est ici le lieu de noter comment l'usage des troupes permanentes et soldées sortit de ce système de milices. Lorsque la durée de la guerre dépassait la durée du service féodal, il était reçu que ceux qui voulaient encore rester à l'armée, et continuer leur service militaire, étaient, dès cet instant, à la solde du Roi. Ainsi, sur chaque ban appelé, il restait un certain nombre d'hommes qui s'attachaient plus particulièrement au drapeau. Il arrivait de là qu'après les longues guerres, les hommes coutumiers, sans bénéfices, ou qui avaient vécu particulièrement de la paie, et qui, aussi avaient soutenu la continuité de la lutte, et méritaient, à ces deux titres, le nom de soldats, se trouvaient sans place dans la société, obligés de recourir, pour vivre, au brigandage. Ils donnaient origine à ces bandes de pillards, dont l'histoire de cette époque nous entretient souvent, et qui étaient alors comme la conséquence obligée des longues guerres. On ne pensa d'abord qu'aux moyens de détruire par le fer cette matière à armées permanentes; mais c'était toujours une chose difficile et ruineuse. On dut donc croire que le meilleur moyen était de les maintenir sous la discipline de la solde. C'est ce que Philippe-Auguste fit le premier. Ses enfans marchèrent dans la même voie, et nous verrons bientôt un de ses successeurs essayer de substituer entièrement le système des armées permanentes, à celui des milices levées par ban.

Les Rois, d'ailleurs, avaient toujours eu un certain nombre de

chevaliers qui formaient autour d'eux une véritable garde. Cet usage existait sous les deux premières races, et il nous paraît certain qu'il dût être conservé sous la troisième.

Quelques autres lois de saint Louis contiennent des dispositions qui nous offrent le complément de l'institution des communes. Elles ordonnent, année 1256, que les Maires seront élus en France tous les ans à la Saint-Simon Saint-Jude; que le Maire, ou celui qui tiendra sa place (c'étaient, à Paris, les Échevins), viendra en la Cour du Roi, à Paris, dans l'Octave de la SaintMartin d'hiver (1). Les représentans des communes étaient donc admis annuellement au plaid du Roi, ainsi que les Barons, les abbés et les Évêques, et, certainement, au même titre. Ne doiton pas considérer cet usage comme un premier essai des Étatsgénéraux?

Les actions militaires de saint Louis ternissent, aux yeux de notre siècle, sa gloire comme Législateur. Il n'eut que deux guerres sérieuses, et ce furent deux Croisades qui n'ont eu, peut-être, d'autre utilité que de dépenser l'énergie guerrière des Français, et de conserver la paix dans le sein de leur patrie. Elles nc furent pas, au reste, les seules expéditions de ce règne. Il faut y ajouter l'invasion de l'Italie, conduite par Charles d'Anjou, avec le titre de Lieutenant-Général de l'Empire, et qui débarrassa le Pape d'un des plus cruels ennemis du Saint Siége, en soumettant le royaume de Naples.

Saint Louis mourut, en 1270, sous les remparts de Tunis. Il laissa le royaume, augmenté de quelques seigneuries, à son fils Philippe III, qui fut surnommé le Hardi: celui-ci, après quinze ans d'un règne pacifique, laissa, en 1286, le trône à Philippele-Bel, quatrième du nom. A ce dernier succéda Louis X, dit le Hutin, son fils, qui régna à peine vingt mois, et mourut en 1316, laissant le trône à son frère Philippe-le-Long: ce fut le premier prince des Capets qui n'eut point d'enfans mâles pour lui succéder. Les deux règnes de Philippe-le-Bel et de Louis-le

(1) Collect, des Ordonn. citées, t. 1, p. 82 et 83,

Hutin furent aussi agités que celui de leur prédécesseur avait été paisible. D'abord ce fut une querelle de vasselage qui amena une guerre avec l'Angleterre: un vaisseau de la Grande-Bretagne avait été pillé sur les côtes de Normandie, et les marins des deux nations avaient armé, les uns pour se venger, les autres pour se défendre. Le Roi d'Angleterre réclama pour ses sujets, et en appela à la Cour du roi de France: il ne s'agissait que d'un conflit assez ordinaire dans ce temps; mais le Prince anglais, cité pour comparaître, selon l'usage, fit défaut. On se crut sans doute insulté, ou on en fit le semblant, et l'on ordonna que les terres de l'insolent vassal fussent mises sous le séquestre. En conséquence, une armée royale s'empara de la Guyenne. Le prince dépossédé, trop faible pour résister alors à son puissant seigneur suzerain, souleva contre son ambition le Comte et les communes de Flandre, et l'Empereur d'Allemagne. Le dernier se borna à faire des menaces; mais les Flamands prirent les armes, et commencèrent une lutte qui n'était pas encore terminée à la mort de Philippe IV. La guerre avec le Roi anglais fut moins longue: elle ne tarda pas à se terminer par une trève; mais aussi le vassal conserva son droit sur les terres des rives de la Gironde.

Ce ne sont point les guerres de Philippe-le-Bel et de Louis X, son fils, qui doivent nous occuper : ce sont leurs établissemens civils, et leurs tentatives sur les priviléges de la noblesse et sur ceux du clergé.

A leur mort, il se trouva que le servage avait été définitivement et légalement aboli, et que les parlemens étaient établis comme Cours permanentes de justice. Il importe peu, dans le but de cette introduction, de savoir si ces grands bienfaits furent opérés par une pure volonté du bien, ou par un calcul intéressé : il est certain au moins qu'ils annoncent dans le pouvoir une profoude intelligence de la tendence qui poussait le siècle, et une parfaite indépendance de ses préjugés.

Nous avons raconté déjà comment le peuple des communes avait fait irruption dans l'État, et s'y était fait une place. Avant

cette époque, on ne tenait compte que de deux ordres dans la nation, le clergé, et les feudataires ou les nobles. Eux seuls étaient appelés aux conseils de la Nation dans les plaids royaux. Nous avons vu que saint Louis commença à y introduire les Maires, les Prévôts et les Échevins des cités et des communes : ce dernier usage fut continué sous ses successeurs. Ainsi un troisième ordre, le tiers-état, se trouvait créé. Mais le servage subsistait non-seulement dans les manoirs qui relevaient des habitans des cités, mais dans ceux du Roi, dans ceux de ses feudataires, dans ceux même de l'Église. Depuis long-temps cependant on réclamait contre cette inégalité. Nous possédons un poème latin qui fut adressé par un moine au roi Robert, et qui la présente comme une contradiction à la loi de Dieu. Les écrits, les romans de l'époque sont remplis de réflexions qui expriment une pensée semblable ou analogue.

le

Cependant l'Église, lorsqu'il s'agit des serfs, ne comprit pas mieux que l'Évangile était une loi d'affranchissement, qu'elle ne ne l'avait compris quand il s'agissait des communes; elle s'était immobilisée dans les doctrines juives de l'ancien Testament : elle voyait donc dans le servage une nécessité sociale, qu'elle justifiait en le considérant comme une conséquence du péché originel. Telle est la théorie qui est exposée dans saint Thomas, le docteur et l'encyclopédiste de cette époque. On a dit cependant qu'en 1167, pape Alexandre III avait décrété en Concile que l'esclavage était anti-chrétien. Or nous avons recherché dans les Actes des Conciles, dans la Collection d'Harduin, dans celle de Labbeus, dans les Annales ecclésiastiques de Baronius (1), et dans son critique, dans Fleury, etc., et il est resté prouvé pour nous que cette assertion était inexacte. Non-seulement rien de semblable n'a été décrété par Alexandre III, mais encore par les papes ses successeurs, jusqu'au moment où l'affranchissement des serfs fut un fait réalisé dans presque toute l'Europe catholique. On ne trouve sur les serfs d'autres prescriptions que celles déjà contenues dans

(1) Harduini collectio Conciliorum. Annales ecclesiastica Baronii,

Concilia generalia Labbei.

[ocr errors]

le Code théodosien de 435; savoir, que les Juifs ne peuvent avoir d'esclave chrétien. Reconnaissons donc que l'Église n'avait plus l'intelligence entière de l'Évangile. Il le faut bien, puisque depuis plusieurs siècles on la trouve toujours rangée en masse dans le parti qui s'oppose à la réalisation des conséquences de la doctrine de Jésus.

Nous avons vu que les colons qui étaient attachés au territoire des cités, étaient successivement affranchis. Une ordonnance de Louis X, du 3 juillet 1315, décréta l'affranchissement de tous ceux qui étaient échus en liens de servitude, et de diverses conditions, attendu, dit-il dans les considérans, que chacun, selon le droit de nature, doit naître Franc, et que notre Royaume est dit et nommé le Royaume des Francs, etc. Cette ordonnance fut confirmée par Philippe-le-Long, en 1518, dans son grand conseil. Il est vrai qu'on en avait fait un moyen forcé de finance, et qu'on exigeait en échange une suffisante composition. Cette loi ne pouvait s'appliquer aux possessions des seigneurs qui ne tenaient pas leurs fiefs du Roi; mais on espérait qu'ils prendraient exemple de leur suzerain, et, en effet, cela fut. Cet affranchissement cependant dut s'étendre sur tous les domaines qui relevaient de la couronne. Or, à cette époque, les provinces du Roi que nous avons énumérées page 101, étaient augmentées du Lyonnais, du comté d'Angoulême, de la Marche, de la Guyenne, d'une portion du Languedoc, du duché de Toulouse, du Quercy, etc.

En même temps que cette révolution s'opérait, l'administration de la justice subissait une transformation correspondante. L'ancien plaid se changeait en un Parlement moderne. L'exposition des diverses périodes de cette modification ne nous paraît rien moins qu'oiseuse, car elle seule peut expliquer le caractère de ces Parlemens du dix-septième et du dix-huitième siècle, que l'on voit figurer dans l'histoire, tantôt comme des Cours purement judiciaires, tantôt comme des corps politiques, puis comme Chambres des Pairs.

Nous avons vu que, sous la première race, le plaid était une

« PreviousContinue »