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HISTOIRE DE L'ETABLISSEMENT DE LA NATIONALITE

FRANÇAISE.

CHAPITRE PREMIER.

IDÉE GÉNÉRALE DE LA NATIONALITÉ FRANÇAISE.

TOUTES les fois qu'un nom national nouveau vient à paraître dans l'histoire, il est certain que c'est une fonction nouvelle qui commence. Dans la grande société des peuples, chacun est, à son tour et à sa place, ouvrier de l'œuvre de perfectionnement qui s'accomplit au profit de tous; chacun poursuit, dans la succession des temps, une part de ce travail de civilisation, dont le bénéfice est toujours pour les enfans.

Dans l'humanité, ce sont les idées qui créent et gouvernent les faits aussi peut-on suivre également bien l'histoire des hommes, soit en étudiant la succession des idées, soit en observant la succession des faits. Or, chaque nation est une idée qui s'est faite chair; et de même que les idées succèdent aux idées, de même les nations succèdent aux nations; et de même encor que toutes les idées tendent à un résultat unique, de même toutes les nations travaillent à conquérir un but unique. L'œuvre est commune, les fonctions seules diffèrent.

Parce que jamais ouvrier jusqu'à ce jour n'a manqué à la tâche, parce que l'œuvre progressive s'est poursuivie sans interruption, qu'on ne pense pas cependant que les hommes ne soient pas maîtres d'accepter ou de refuser une part d'efforts. Non. Les nations ont la liberté du choix. Elles jouissent de la faculté du libre arbitre aussi bien que les individus. L'histoire nous montre, en effet, qu'à ces époques de crise, qui commandent une

fonction, et par suite une nationalité nouvelle, il y a beaucoup d'appelés, et peu qui veuillent être élus. Aussi voyez-vous alors paraître une multitude de noms de peuples différens. Parmi tous ces noms, un seul reste, et vient se faire une histoire; les autres ou s'éteignent à jamais, ou descendent au titre de quelque province obscure. Ce n'est pas parce que cette multitude est dévorée par un plus fort; loin de là, car c'est, au contraire, bien souvent le plus obscur et le plus faible qui surnage à tous les autres; mais aussi, c'est qu'il s'agit de choisir entre le dévouement et l'égoïsme. L'œuvre progressive est une œuvre difficile et rude qui exige de longs et obstinés sacrifices. Or, qui veut vivre seulement pour soi, n'y prendra jamais part.

L'histoire de la nationalité française est la vérification complète de tous les principes précédens. Elle vint tenir la place de l'empire romain d'Occident qui était infidèle à sa fonction. Seule au milieu de plusieurs nations, elle comprit et saisit l'œuvre à faire, l'œuvre de civilisation'; elle se dévoua au Catholicisme; et il se trouva même un moment où elle fut la seule nation catholique. Pendant cinq siècles, le nom de Francs fut celui d'une armée qui servait de bras au christianisme. Dans les Gaules, en Italie, en Espagne, en Angleterre, en Allemagne, on ne connut pas sous un autre nom que sous celui de Français, ces hommes courageux qui luttèrent partout contre cette barbarie nomade qui allait au pillage comme à une chasse, contre ces doctrines ariennes, impies, qui menaçaient le progrès de mort, contre le mahométisme, leur enfant; qui partout travaillèrent à construire une unité européenne par le seul moyen qui puisse l'établir et la faire durer parmi les hommes, par l'unité des doctrines. Que sont devenus aujoud'hui ces Goths, ces Alains, ces Suèves, ces Vandales, ces Huns, ces Hérules, ces Lombards, ces Bourguignons, etc., si nombreux et si terribles? Leurs noms ont disparu, ou ne sont plus que des noms de provinces.

L'existence d'une nationalité, comme celle d'un individu, se

compose de deux vies: l'une tout extérieure, toute de relation, qui manifeste une fonction parmi les peuples; l'autre intérieure, organique, par laquelle elle se met en état d'accomplir sa tâche humanitaire; et c'est aussi ce qu'il faut remarquer dans l'histoire des Français. Car, tout le passé de l'Europe peut être compris sous deux mots : la France et l'Église. Les Français firent, dans le christianisme, l'œuvre temporelle tout entière, comme l'Église fit l'œuvre spirituelle.

L'organisation intérieure de la France correspondait exactement aux exigences de la fonction extérieure. Pendant les cinq siècles consacrés à l'œuvre purement militaire, l'organisation nationale fut celle d'une armée toujours sur le pied de guerre. La hiérarchie sociale fut celle d'une armée. Le travail industriel', qui nourrissait ce grand corps, fut isolé. Il eut ses lois et son système à part, bien que maintenu dans une position subordonnée. Quant aux individus, ils purent pendant long-temps se placer presque à leur volonté, dans l'une ou l'autre de ces deux grandes divisions. Le courage saisit la première; la faiblesse prit la seconde. Aussi, dans les premiers siècles de notre monarchie, voit-on des hommes libres devenir bourgeois, ouvriers et colons, et un grand nombre de ceux-ci devenir hommes libres. Dans ces temps, la liberté n'était point comprise comme aujourd'hui elle ne signifiait pas indépendance des individus, car tout le monde alors était lié à une fonction; tout le monde travaillait, et l'on appelait hommes libres ceux seulement qui ne payaient d'autre impôt que celui de leur sang et de leurs bras; et le mot Franc, qui signifie, en langue celtique, liberté ou courage, servit à désigner dans toute l'Europe les chrétiens hommes de guerre. Plus tard, les enfans héritèrent des fruits de l'option de leurs pères.

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Au onzième siècle, la France modifia son organisation intérieure. Elle commença simultanément deux nouvelles œuvres temporelles, sans cesser cependant de prendre une part et d'être encore en tête, dans les grands dévouemens catholiques. Elle commença l'œuvre scientifique, et, en même temps, l'œuvre d'ho

10 HISTOIRE DE L'ÉTABLISSEM. DE LA NATIONALITÉ FRANÇ. mogénéisation de toutes les classes de citoyens entre elles. Elle fut donc, dans la direction des sciences, le premier pays d'université, et dans la direction d'égalisation, elle fut le premier pays où il n'y eut plus de serf ni de nobles. Elle opéra cette dernière révolution par l'unité monarchique, et par l'unité de capitale. En sorte que, lorsque la France eut achevé l'évolution, qui se termina en 89, il se trouva qu'elle avait fait de Paris sa commune, la capitale intellectuelle de l'Europe, et qu'elle-même était un corps, ayant une ville pour tête et pour roi. Ainsi, la France, après avoir été pendant cinq siècles le monarque militaire de l'Europe, se trouva plus tard son monarque intellectuel.

Telles sont les généralités de l'histoire de France que nous nous proposons, non de développer, car l'espace nous manque, mais de prouver par l'esquisse historique qui va suivre. Il en résultera, comme conclusion évidente, que la révolution française est la fin d'une période de notre œuvre temporelle et chrétienne, et en même temps, comme toute chose humaine, le commencement d'une autre.

Nous avons été obligés, pour achever cette esquisse, de consulter particulièrement les écrits originaux et les commentaires historiques auxquels ils ont donné lieu. Le lecteur ne s'étonnera donc pas d'y rencontrer des choses qui lui seront peut-être encore inconnues. Presque toutes les histoires de France ont été écrites d'un point de vue autre que celui où nous nous sommes placés. Nous étions obligés de nous appliquer particulièrement aux faits qu'elles ont négligés. Nous avons donc été forcés de recourir aux sources. Afin de ne point alonger notre narration par des annotations sans fin, nous citerons les ouvrages que nous avons principalement consultés : c'est la Collection des Bénédictins de Saint-Maur; le Code de Théodose; les Capitulaires des rois de France; la Collection des Ordonnances des rois de la troisième race; les Origines, par le comte du Buat; l'Histoire critique de l'établissement de la monarchie française, par l'abbé Dubos; l'État de la Gaule au cinquième siècle; le Traité de la police de Delamare; les Institutes de Littleton ; l'Usage des fiefs, par Brussel; le Mémoire pour

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HISTOIRE DES GAULES DANS LE CINQUIÈME SIÈCLE.

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les pairs de France; les Parlemens de France, par Bernard de la Roche-Flavin; les Variations de la monarchie française, par Gautier de Sibert ; l'Histoire de l'Église, par l'abbé Fleury; la Théorie des lois des Français, par mademoiselle Lalézardière, etc.

CHAPITRE II.

HISTOIRE DES GAULES DANS LE CINQUIÈME SIÈCLE.

POUR connaitre le véritable esprit des révolutions qui occupèrent le cinquième siècle, il faut les étudier à leur point de départ dans le siècle précédent. C'est surtout par leur but moral, que les révolutions des Gaules se rattachent à l'histoire de l'humanité.

Dès le commencement du quatrième siècle, le Christianisme était devenu le centre de toute l'activité politique de la société romaine. Constantin l'avait fait asseoir avec lui sur le trône, où plutôt, le parti chrétien avait conquis l'empire.

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Ce grand empereur n'adopta pas seulement la doctrine nouvelle, parce qu'elle lui donnait une nombreuse population pour appui. Il voulut plus, et tout le prouve: il voulut rendre l'unité de croyance et de volonté à cette grande société qui tombait en ruine depuis trois siècles, et qui en était arrivée à ce point de dissolution, qu'elle ne pouvait plus fournir un soldat pour la défendre, ni un empereur pour la gouverner. Aussi, en même temps qu'il fondait une capitale nouvelle, et qu'il organisait un nouveau système d'administration, il s'occupa de créer un centre de doctrines, de fonder un catholicisme. C'est dans ce but que fut assemblé en 325, le concile de Nicée. Ce fut la première fois que l'on vit des députés de toutes les nations réunis sans distinction de naissance ni de race, pour représenter seulement l'intelligence. C'est aussi le premier exemple d'une assemblée représentative telle à peu près que nous la concevons aujourd'hui. Après quatre mois de délibération, ils mirent au jour ces actes fa

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