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passer leurs couronnes sur la tête de quelque famille étrangère, n'ont pas fait difficulté de répudier leurs femmes, que l'âge ou quelque autre cause rendaient stériles. Est-il rien d'ailleurs qui doive coûter, quand il s'agit du bonheur de tout un peuple? Et quel gage plus assuré de la félicité future des Français, que la naissance d'un prince, héritier des grandes qualités de Bonaparte? Le divorce est décidé. C'est au Sénat qu'est réservé le soin de porter cette nouvelle à l'Impératrice; Joséphine s'évanouit à ce triste récit; elle ne peut croire à tant d'ingratitude; elle s'emporte en invectives contre cet homme qu'elle daigna tirer de l'obscurité où il languissait, et qui, pour prix d'un si haut bienfait, l'a délaissée honteusement. Bonaparte arrive sur ces entrefaites: « Il faut vous résigner, Madame; deux millions de rente et Malmaison pour retraite, votre sort n'est point à plaindre. » En vain Joséphine se jette aux genoux de Bonaparte; il la repousse, et ne lui répond que par ces mots, il faut vous résigner.

Nous ne manquâmes pas le lendemain de donner à cette scène scandaleuse une couleur dramatique ; nous représentâmes dans les journaux l'Impératrice se jetant au cou de Bonaparte, et s'écriant les larmes aux yeux: Vous avez embelli pendant dix ans mon existence, il n'est point de sacrifice dont je ne me croie capable, même celui de la vie, pour assurer le bonheur des Français. Bonaparte avait des amis jusqu'à l'autel. Des Cardinaux Sénateurs (1) trouvèrent

(1) Maury, Caselly et Fesch. Ce dernier est maintenant à Rome qui marchande son archevêché. Il ferait mieux sans doute

dans cette circonstance le moyen d'accorder leurs 50,000 fr. de rente avec leurs devoirs religieux; et sans avoir besoin de recourir à Rome, ils prononcèrent le divorce. Le mariage de Marie-Louise fut célébré avec une pompe, une magnificence vraiment orientale. Louis XV en pareille occasion avait employé 500,000 fr.; Bonaparte dépensa cinq millions. Il est vrai qu'il les rattrapa bientôt en doublant les impôts sur le

coton.

Il était à craindre que le souverain Pontife, qui, avant de sacrer l'Impératrice avait demandé à Bonaparte s'il reconnaissait Joséphine pour son épouse, et qui sur la réponse affirmative de céder avait posé sur la tête de Joséphine la couronne impériale, n'élevât la voix et de son autorité n'annullât un mariage si irrégulier (1). Tout était prévu; et lorsque Bonaparte combattait à Wagram, l'ordre était donné de charger de chaînes le vieillard vénérable qui régnait à Rome, et de planter l'aigle sur le Capitole. Il faut l'avouer, c'est nous qui les premiers inspirèrent à Bonaparte cette noire perfidie. Nous étions bien aises d'humilier une religion dont nous nous étions toujours moqués.

de

payer les trois cent mille écus qu'il doit à son diocèse. On dit qu'il jouissait d'un million de revenu. Où donc a passé une fortune si immense?

(1) On a prétendu que le mariage de Bonaparte n'avait jamais été qu'un mariage civil: cela est vrai. On en conclut qu'il pouvait, sans être accusé de bigamie, épouser une seconde femme. Oui: si le Pape, en sacrant l'Empereur, n'avait point légitimé son premier mariage. Il ne faut pas être grand théologien pour sentir la vérité de ce principe.

D'ailleurs quel triomphe pour la philosophie de faire mentir l'écriture sainte et les prophètes. Cette première victoire anima notre courage. Déjà on agitait en plein Sénat le mariage des prêtres, l'abolition d'une coutume superstitieuse; on discutait les moyens qu'il y avait à prendre pour faire nommer Bonaparte chef suprême de l'Eglise. (1) L'ambition de Bonaparte ruina nos espérances!

Depuis long-temps il convoitait le trône d'Espagne; il fallait pour l'envahir, un prétexte au moins spécieux. Des agens secrets sont envoyés à Madrid pour travailler la populace : des bruits absurdes sont habilement semés; on ne parle plus que de conspirations. Le peuple murmure, se soulève; et lorsque l'Espagne est livrée à tous les désordres d'une révolution naissante, Bonaparte paraît, s'empare du malheureux Charles IV, le charge de chaînes, et l'envoie esclave à Marseille. S'il faut en croire à ses promesses, il vient pour le bonheur et la paix des Espagnols: aussi n'at-il rien de plus pressé que d'abolir l'inquisition et de faire couper la tête à quelques milliers de moines: pouvait-il donner de meilleures preuves de ses intentions pacifiques? Je peindrai difficilement les transports que fit éclater le Sénat à cette heureuse nouvelle. Ce

(1) Il est certain que plus d'une fois Bonaparte déclama en plein Sénat, contre le célibat des prêtres et contre la confession qu'il appelait une momerie de singe: il disait souvent qu'il n'y avait au monde qu'un seul homme d'heureux, le roi d'Angleterre, parce qu'il réunissait ensemble le pouvoir civil et le pouvoir religieux. Il faudra bien, ajoutait-il avec un rire sardonique, qu'un jour j'en vienne là.

tribunal de sang qui depuis plusieurs siècles insultait à la raison et aux lumières, est donc enfin aboli! Le monstre inquisitorial n'est plus! Quel jour de fête pour la philosopie! Par malheur les Espagnols de Madrid ne pensaient pas tout-à-fait comme les Sénateurs de Paris : endormis un moment, ils se réveillent tout-à-coup, se rallient et marchent pour nous combattre, les moines à leur tête. Nous rions de pitié : tous les moines du monde ne nous eussent pas fait douter un instant de nos prochains triomphes. Bonaparte en quittant la capitale avait juré d'arborer dans trois mois ses aigles victorieuses sur les clochers de Lisbonne. Il avait dit en plaisantant que l'Espagne n'était pour lui qu'un déjeuner. Quel déjeûner, grand Dieu ! De compte fait, il a coûté à la France quinze cents millions, et plus de huit cent mille' hommes! Il est vrai qu'il a duré sept ans. »

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(Ici Pagniodès se tait sa voix paraît s'éteindre ; sa tête penchée tombe sur son chevet. Après quelques minutes de repos, il se lève de nouveau sur son séant, et termine ainsi son triste récit. )

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« Trompé pour la première fois dans ses calculs ambitieux, Bonaparte cherche à se venger sur une autre puissance de l'affront que ses armes viennent d'essuyer en Espagne. La Russie lui paraît une proie facile à dévorer mais comment déclarer la guerre à cette nation?.... N'a-t-elle pas rompu le fameux traité de Tilsitt? Alexandre n'a-t-il pas manqué à sa parole? II avait promis de ruiner son empire, plutôt que de recevoir dans ses ports une seule frégate Anglaise.... La guerre ! la guerre! c'est le cri du Sénat. La nation entière est appelée aux armes : le succès ne peut être douteux.

Les destins de la Russie vont s'accomplir; la fatalité l'entraîne, sa perte est inévitable. Bonaparte l'a dit solennellement en faisant ses adieux au Sénat pour aller se mettre à la tête de ses troupes. Jamais depuis des siècles on n'avait vu une plus belle armée; presque tous les soldats qui la composaient étaient de vieux guerriers de Marengo, d'Austerlitz, d'léna, de Wagram: hélas ! un moment a suffi pour anéantir l'élite des braves; le souffle du Nord a consumé dans un clein-d'œil cette génération de héros!.... Heureusement pour nous, Bonaparte n'a jamais joui d'une meilleure santé. Il arrive à Paris, comme fût arrivé un vainqueur. Le Sénat va lui présenter les hommages, et ne pouvant célébrer şes triomphes, il lui rend grâces, comme autrefois le peuple Romain à Varron, de ce qu'il n'a pas désespéré du salut de l'empire; il va jusqu'à lui faire un sujet de gloire d'avoir, en même temps qu'il ébranlait le trône des Czars, réglé le sort des comédiens, et fixé la paye des auteurs dramatiques. Quelle profondeur de génie !!

Ainsi donc cette armée si brillante, si formidable, qui faisait l'admiration de l'Europe, a disparu dans moins de six mois, Comment remplacer ces vieilles phalanges qui comptaient autant de trophées que de batailles, et dont l'aspect décidait de la victoire ? Une moisson d'hommes restait encore: la faux de la conscription l'avait jusqu'ici épargnée. C'étaient des enfans de veuves ou de pères infirmes accablés sous le poids des ans on les arrache sans pitié à leurs malheureux parens! Six cent mille hommes s'avancent pour laver l'outrage fait à leurs compagnons d'armes dans la dernière campagne. Ils triomphent d'abord; mais les plaines

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