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cesse monte en voiture, au milieu de quelques zélés serviteurs qui la bénissent à voix basse, évitant de hautes acclamations qui, entendues par les troupes, auroient pu les exci

ter à des cris séditieux. La voiture de MADAME roule bientôt, escortée par cette même garde fidèle, et encore à cheval pour veiller sur ses jours, et protéger sa retraite; c'étoit la première fois, depuis trente-six jours, que les rues au travers desquelles passoit l'auguste Princesse n'étoient pas illuminées. Un triste et profond silence, une solitude effrayante régnoient dans la ville. Tous les habitans venoient de se réfugier dans leurs maisons comme en un jour de deuil et de calamité, formant sur eux hermétiquement leurs portes et leurs fenêtres. Mais au moment où passèrent la voiture et l'escorte de MADAME, on entendit du fond de ces maisons, malgré les portes et les fenêtres closes, on entendit comme un écho qui répétoit Five MADAME! Vive MADAME! A peine MADAME fut-elle sortie de la ville que le ciel devint orageux; la pluie tomba et la nuit devint obscure et froide. L'escorte,

composée d'un détachement de volontaires et de cavalerie de la garde nationale, avoit de la peine à se reconnoître dans le chemin sablonneux qui conduit à Pouillac. MADAME témoignoit son intérêt et sa sollicitude à ces fidèles serviteurs; mais ils n'étoient plus tourmentés que du désir de voir MADAME en sûreté. A huit heures du matin, dimanche 2 avril, S. A. R. arriva à Pouillac. Sa première pensée, en descendant de voiture, fut d'entendre la messe, pour implorer les secours du ciel. Que de tristes souvenirs ! que d'inquiétudes ! que d'épreuves douloureuses à supporter ! Tout fut placé sous les yeux de Dieu, et la Providence a répandu ses bénédictions sur d'aussi ferventes prières.

Tout étant prêt pour l'embarquement, MADAME monta avec sa suite dans la chaloupe du capitaine anglais, qui se dirigea aussitôt vers le sloop de guerre le Wenderer. Qui pourroit peindre le désespoir de la garde fidèle qui avoit escorté MADAME, quand il fallut enfin se séparer de sa personne. A peine avec sa chaloupe s'éloigne-t-elle du rivage, qu'ils se jettent dans de petites embarcations et la sui

vent; à peine est-elle montée à bord, que ne pouvant se déterminer à la perdre de vue, ils flottent avec leurs barques autour du Wenderer, en demandant encore avec instance de revoir MADAME; elle paroît aussitôt sur le pont, et un cri de douleur se fait entendre. Chacun, pour adoucir l'amertume de ses regrets, sollicite pour dernière faveur la moindre chose qui ait appartenu à MADAME, le plus petit objet, de quelque peu de valeur qu'il puisse être. Profondément émue de tant de témoignages de respect et d'amour, Marie-Thérèse détache à l'instant même et ses rubans, et le panache blanc qui orne sa coiffure; elle les jette de sa main, au milieu de ses gardes, en s'écriant, pour les rappeler à la vie par l'espérance : « Adieu, quand je reviendrai, je vous >> reconnottrai tous; oui, soyez sûrs que je » vous reconnoîtrai tous ». Un mouvement involontaire et spontané fit tomber à genoux tous les témoins de cette scène auguste et déchirante. Avec quels transports de reconnoissance ces fidèles serviteurs reçurent les précieux dons de MADAME, et quel espoir consolant ils

emportérent en songeant que le panache blanc de l'héroïne de Bordeaux les rallieroit tous encore au chemin de l'honneur. Frappé d'une scène si touchante, le capitaine anglais regretta sincèrement quele sloop n'eût pas assez d'espace pour contenir tant de français fidèles. Le sloop mit à la voile, ct porta MADAME à Saint-Sébastien, sur la côte de Guipuscoa en Espagne.

Replacés sous le joug de fer de Buonaparte, les habitans de Bordeaux, pendant quatre mois, n'eurent plus d'autre consolation que de s'entretenir de ce départ si touchant; de cette foule de jeunes bordelais qui avoient suivi la Princesse auguste, objet de tant d'amour et de douleur ; de cette population entière qui se pressoit autour d'elle, qui sembloit chercher à la retenir par ses sanglots et par ses pleurs; de cette expression de désespoir, de cette consternation profonde qui se peignoient sur toutes les figures; et de la Princesse ellemême qui, exhortant au courage et à la résignation ceux qu'elle étoit forcée de fuir, répondoit à tant de larmes par ses larmes, aux sermens de fidélité par des promesses de sou

venir; mais surtout ils adoucissoient l'amertume de leurs regrets par la lecture des adieux touchans que leur avoit adressés à tous l'auguste MARIE-THÉRÈSE au moment de son départ. Ils étoient conçus en ces termes :

« Braves bordelais! votre fidélité m'est con» nue; votre dévouement sans bornes ne vous >> permet pas de prévoir le danger, mais mon >> attachement pour vous m'ordonne de le » prévenir. Mon séjour dans votre ville, s'il » étoit prolongé, pourroit aggraver les cir>> constances où vous vous trouvez, et attirer >> sur vous le poids des vengeances. Je n'ai » pas le courage de voir des Français malheu»reux, et d'être la cause de leur infortune. » Je vous laisse, braves bordelais, profondé»ment pénétrée des sentimens que vous m'a» vez exprimés, et je puis vous assurer qu'ils >> seront fidèlement transmis au Roi. Bientôt, » avec le secours de l'Être Suprême, sous de >> plus heureux auspices, vous serez témoins >> de ma reconnoissance et de celle du Prince » que vous aimez.

» Signé MARIE-THÉRÈSE ».

Bordeaux, 1. avril 1815.

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