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troupe de ligne qu'on projetoit de la désarmer. Toutefois il n'y eut aucun signe de défiance, le meilleur accord sembla régner entre les citoyens et la garnison (1). MADAME, après avoir parcouru les rangs, parla aux troupes qui passèrent successivement devant elle aux cris répétés de vive le Roi! vive MADAME! Tout-àcoup les officiers de la garde nationale se précipitèrent dans les bras des officiers de la ligne, et se mêlant dans les rangs avec eux, ils les invitèrent à un banquet pour le jeudi sui

vant.

Mais de nouveaux détails parvenoient chaque jour sur les progrès de Napoléon, et sur la défection successive de l'armée. On apprit bientôt son entrée à Paris. Cette nouvelle ne refroidit pas le zèle des bordelais; mais elle parut décourager les généraux et les fonctionnaires chargés de le diriger. L'occupation de la capitale leur montra la France entière sub

(1) Elle étoit composée du 8. régiment de ligne tout entier, ét d'un bataillon du 62.*; les denx autres bataillons de ce régiment occupoient la citadelle de Blaye. Bordeaux renfermoit en outre un grand nombre d'officiers à la demi-solde, qui s'y étoient réunis pour former un corps de volontaires royaux.

juguée ou soumise, et dès-lors ils ne virent plus dans la défense de Bordeaux qu'une tentative dangereuse et inutile. Dans ces circonstances, M. le baron de Vitrolles, commissaire du Roi, arriva à Bordeaux. Ce ministre d'état, après avoir eu avec MADAME un entretien particulier, réunit les députés de toutes les administrations et de la chambre du commerce, et leur annonça que le siége du gouvernement général, dont M. le duc d'Angoulême étoit investi, alloit être établi à Toulouse; il leur fit connoître que tous les pouvoirs civils et militaires étoient confiés à Bordeaux au gouverneur comte Decaen.

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MADAME parut à la fin de l'assemblée; elle parla avec force, et en même temps avec cette bonté angélique qui la caractérise. Le général Decaen exprima des sentimens de fidélité et de dévouement dont tous les députés furent ravis le maire lui-même, quoique défiant et prévenu contre cet officier-général, fut persuadé que le commissaire du Roi s'étoit assuré de sa loyauté.

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Le gouverneur parut en effet vouloir régu

lariser

lariser les opérations, et songer aux moyens de conserver au Roi la citadelle de Blaye, dont on lui faisoit sentir depuis si long-temps l'importance. Alors seulement il avoua qu'on pouvoit douter de la fidélité de la garnison. MADAME prit aussitôt la résolution de la remplacer par un détachement de la garde nationale; mais le gouverneur, au lieu de retirer toute la garnison, se contenta de faire partir dans une barque cinquante à soixante bordelais, sans autre ordre que celui de se rendre à Blaye. Ce détachement étoit si foible, si mal commandé, il se conduisit avec une telle indiscrétion, que le commandant de la citadelle refusa de le recevoir, sous prétexte d'un prétendu défaut de formes. Comment le gouverneur de Bordeaux ne fut-il pas convaincu dèslors de l'insubordination des soldats? Il en eut bientôt une preuve bien plus convaincante; lorsqu'ayant ordonné à un bataillon du 62.e de partir de Blaye pour Libourne, ce bataillon refusa d'obéir.

Cependant l'orage grossissoit de plus en plus au nord, et s'étendoit avec rapidité de ville en

ville. On apprit que le général Clauzel, nommé par Napoléon gouverneur de la onzième division militaire, étoit arrivé sans obstacle à Angoulême, où flottoit déjà l'étendard tricolore, et qu'il conduisoit à sa suite les brigades de gendarmerie qu'il rencontroit sur sa route, pour venir prendre possession de Bordeaux. Cette nouvelle alarmante, loin d'abattre le courage des bordelais, ne fit que ranimer leur zèle. On étoit prêt à tout entreprendre, et la crainte sembloit bannie de tous les esprits. La présence de MADAME électrisoit tous les cœurs; sous ses yeux on bravoit tous les dangers; on étoit sûr d'être victorieux si MADAME restoit dans la ville. On la supplioit en grâce de ne pas abandonner sa bonne ville de Bordeaux. Tous les coeurs sentoient le besoin de voir MADAME; c'étoit pour elle qu'on vouloit se dévouer. Ce jour-là même, MADAME se montra dans sa calêche, comme les jours précédens; sa contenance calme et ferme, inspira une confiante sécurité. On se pressoit sur son passage; les ouvriers, les marchands quittoient leurs ateliers et leurs trávaúx; ils accouroient pour voir MADAME; ils for

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moient mille vœux pour sa conservation; même empressement, mêmes transports dans les villages que traversoit S. A. R. Des groupes de jeunes filles venoient lui offrir des couronnes, après avoir jonché de fleurs la route sur son passage; plus le péril augmentoit et plus on redoubloit d'amour, de respect et de dévouement pour l'auguste fille de Louis XVI.

Sensible à tant de témoignages de fidélité, MADAME se montra résolue de ne pas quitter Bordeaux, et de faire tous ses efforts pour conserver au Roi, jusqu'à la dernière extrémité, cette ville fidèle. On redoubloit d'activité pour organiser différens corps de troupes choisies dans l'élite de la garde nationale; on les équipoit à la hâte. Les bordelais étoient décidés à ne pas laisser approcher les troupes de Buonaparte. On savoit d'ailleurs que le général Clauzel n'étoit suivi que d'une poignée de soldats, et qu'il avoit à passer trois rivières aisées à défendre. Le gouverneur avoit donné l'ordre d'éloigner tous les bateaux et les ponts flottans. Il étoit sûr, disoit-il, de la garnison: ce jour

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