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lariser les opérations, et songer aux moyens de conserver au Roi la citadelle de Blaye, dont on lui faisoit sentir depuis si long-temps l'importance. Alors seulement il avoua qu'on pouvoit douter de la fidélité de la garnison. MADAME prit aussitôt la résolution de la remplacer par un détachement de la garde nationale; mais le gouverneur, au lieu de retirer toute. la garnison, se contenta de faire partir dans une barque cinquante à soixante bordelais, sans autre ordre que celui de se rendre à Blaye. Ce détachement étoit si foible, si mal commandé, il se conduisit avec une telle indiscrétion, que le commandant de la citadelle refusa de le recevoir, sous prétexte d'un prétendu défaut de formes. Comment le gouverneur de Bordeaux ne fut-il pas convaincu dèslors de l'insubordination des soldats? Il en eut bientôt une preuve bien plus convaincante; lorsqu'ayant ordonné à un bataillon du 62.e de partir de Blaye pour Libourne, ce bataillon refusa d'obéir.

Cependant l'orage grossissoit de plus en plus au nord, et s'étendoit avec rapidité de ville en

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ville. On apprit que le général Clauzel, nommé par Napoléon gouverneur de la onzième division militaire, étoit arrivé sans obstacle à Angoulême, où flottoit déjà l'étendard tricolore et qu'il conduisoit à sa suite les brigades de gendarmerie qu'il rencontroit sur sa route, pour venir prendre possession de Bordeaux. Cette nouvelle alarmante, loin d'abattre le courage des bordelais, ne fit que ranimer leur zèle. On étoit prêt à tout entreprendre, et la crainte sembloit bannie de tous les esprits. La présence de MADAME électrisoit tous les cœurs; sous ses yeux on bravoit tous les dangers; on étoit sûr d'être victorieux si MADAME restoit dans la ville. On la supplioit en grâce de ne pas abandonner sa bonne ville de Bordeaux. Tous les cœurs sentoient le besoin de voir MADAME ; c'étoit pour elle qu'on vouloit se dévouer. Ce jour-là même, MADAME se montra dans sa calèche, comme les jours précédens; sa contenance calme et ferme, inspira une confiante sécurité. On se pressoit sur son passage; les ouvriers, les marchands quittoient leurs ateliers et leurs travaux ; ils accouroient pour voir MADAME; ils for

moient mille vœux pour sa conservation; même empressement, mêmes transports dans les villages que traversoit S. A. R. Des groupes de jeunes filles venoient lui offrir des couronnes, après avoir jonché de fleurs la route sur son passage; plus le péril augmentoit et plus on redoubloit d'amour, de respect et de dévouement pour l'auguste fille de Louis XVI.

Sensible à tant de témoignages de fidélité, MADAME se montra résolue de ne pas quitter Bordeaux, et de faire tous ses efforts pour conserver au Roi, jusqu'à la dernière extrémité, cette ville fidèle. On redoubloit d'activité pour organiser différens corps de troupes choisies dans l'élite de la garde nationale; on les équipoit à la hâte. Les bordelais étoient décidés à laisser approcher les troupes de Buonaparte. On savoit d'ailleurs que le général Clauzel n'étoit suivi que d'une poignée de soldats, et qu'il avoit à passer trois rivières aisées à défendre. Le gouverneur avoit donné l'ordre d'éloigner tous les bateaux et les ponts flottans. Il étoit sûr, disoit-il, de la garnison : ce jour

ne pas

même elle fraternisa dans un repas en plein air avec la garde nationale, et l'on vit éclater des marques de fidélité et de confiance mutuelle du plus favorable augure. Les officiers et les autorités montrèrent le même accord. Les sentimens les plus loyaux furent exprimés et reçus au milieu des plus vives acclamations; ce qu'il y eut de plus remarquable dans ce banquet militaire, ce fut le toast porté par le gouverneur lui-même : « Au nom du Roi, ses droits » sont sacrés; jurons tous de les défendre jus» qu'à la dernière goutte de notre sang ».

Immédiatement après, le général Donadieu porta le toast suivant : « Au dévouement de la » ville de Bordeaux; puisse le grand exem» ple qu'elle donne faire rougir et trembler les >> traîtres qui pensent en ce moment à violer >>> leur serment, et à abandonner la plus sainte >> des causes »>! La santé du Roi, celle de MADAME, celle des généraux et des armées restées fidèles à Louis XVIII, furent portées et accueillies avec transport.

Au milieu de toutes ces illusions on apprit

l'approche du général Clauzel, avec environ deux cents hommes d'infanterie et quatre-vingts chevaux.

Nul doute que la garde nationale ne pût seule arrêter les progrès d'un si foible détachement, si elle eût été armée et organisée; mais que pouvoit-elle, laissant sur ses derrières des troupes disposées à la placer entre deux feux?

Cependant le gouverneur avoit parlé avec énergie aux deux chefs de la garde nationale; et il leur avoit donné l'ordre d'envoyer dès le lendemain deux détachemens pour disputer les passages des deux rivières aux troupes du général Clauzel. Il prescrivit également, pour réunir les hommes dispersés, qu'on fìt battre un rappel, et à l'instant même on put reconnoître le zèle de la garde nationale, et les dispositions favorables des bordelais ; en un clin-d'œil ils furent tous à leur poste, entourés d'une foule immensé qui excitoit leur dévouement.

Cinq cents volontaires se mirent aussitôt en marche aux cris mille fois répétés de vive le Roi! vive Madame! Le colonel de Pontac qui les commandoit, se porta sur la rive

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