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» vous pas rencontré cette ombre sur votre » route?» Les sanglots de M. de Malesherbes redoublèrent, et Louis touché de ses larmes, lui dit : « Combien je me repens de vous avoir » affligé! je voulais seulement vous prouver, » par cette plaisanterie, que je suis tranquille."

Passons à l'époque la plus douloureuse des derniers momens de Louis, à l'entrevue qu'il eut avec sa famille, ce dernier coup était fait pour abattre son courage, s'il n'eût été soutenu par la résignation qu'inspire la véritable religion.

Le Commissaire qui était allé chercher cette infortunée famille resta un quart-d'heure, et pendant cet intervalle le Roi rentra dans son cabinet, venant de temps en temps à la porte d'entrée avec les marques de la plus vive émotion. A huit heures et demie la porte s'ouvrit, la Reine parut la première tenant son fils par la main, ensuite Madame royale, et Madame Elisabeth, tous se précipitèrent dans les bras du Roi. Un morne silence régna pendant quelques minutes, et ne fut interrompu que par des sanglots. La Reine fit un mouvement pourentrainer Sa Majesté vers sa chambre. «Non, dit le Roi, passons dans cette salle,

je ne puis vous voir que là. » Le décret de

la

la Convention lui permettait de voir sa famille sans témoins, mais au mépris de toute bienséance, au mépris même du décret, les municipaux avaient arrêté que cette réunion se ferait dans la salle à manger. Sur les observations de Louis, ils lui dirent : « Vous serez » en particulier, on fermera la porte; mais » par le vitrage nous aurons les yeux sur » vous », et l'infortuné Monarque y souscrivit sans murmure, et se contenta de dire : « Faites » descendre ma famille. » Peut-on pousser plus loin la férocité! Ils avaient peur de voir échapper leur victime. Ils voulaient la rassasier d'amertume.... les scélérats!....

A peine entrés dans la salle, le Roi s'assied, la Reine à sa gauche, Madame Elisabeth à sa droite, Madame royale presqu'en face, et le jeune prince resta debout entre les jambes du Roi: tous étaient penchés vers lui et le tenaient souvent embrassé. Cette scène de douleurs dura sept quart d'heures, pendant lesquels il fut impossible de rien entendre; on voyait seulement qu'après chaque phrase du Roi, les sanglots des Princesses redoublaient, duraient quelques minutes, et qu'ensuite le Roi recommençait à parler; il fut aisé de juger à leurs mouvemens, que lui-même leur avait appris sa condamnation,

D

A dix heures un quart le Roi se leva le premier et tous le suivirent. La Reine le tenait par le bras droit ; leurs Majesté donnaient ehacune une main à Mgr. le Dauphin, Madame royale à la gauche tenait le Roi embrassé par le milieu du corps; Madame Elisabeth du même côté, mais un peu plus en arrière, avait saisi le bras gauche de son auguste frère : ils firent quelques pas vers la porte d'entrée en poussant des gémissemens les plus douloureux. « Je vous assure, leur dit le Roi, que je vous » verrai demain matin à huit heures. Vous » nous le promettez, lui répétèrent-ils tous ❞ ensemble. Oui, je vous le promets.

Pourquoi pas à sept heures, dit la Reine. "Eh bien, oui, à sept heures, répondit le » Roi; adieu.... » Il prononça cet adieu d'une manière si expressive, que les sanglots redoublèrent; Madame royale tomba évanouie aux pieds du Roi qu'elle tenait embrassé. Le jeune Dauphin chercha alors à sortir pour aller, disait-il, supplier le peuple de ne pas laisser mourir son père. Le Roi voulant mette fin à cette scène déchirante, leur donna les plus tendres embrassemens, et eut la force de s'arracher de leurs bras. « Adieu.... adieu.... », dit-il, et il rentra dans sa chambre.

Le Roi rejoignit son confesseur dans le cabinet de la tournelle, et resta avec lui une demi-heure. On servit le souper, il mangea peu, mais avec appétit. M. de Firmont s'était rendu dans la chambre du conseil pour obtenir les ornemens nécessaires afin de célébrer les saints mystères de la messe, il n'obtint qu'avec peine que cette demande fût accordée. Revenu de la chambre du conseil, il rentra chez le Roi. Tous deux passèrent dans la tourelle, et y restèrent jusqu'à minuit et demi. Le Roi étant rentré fut se coucher. A peine fut-il dans son lit qu'il dormit d'un sommeil paisible, jusqu'à cinq heures, qu'il s'éveilla, en disant à son valet-de-chambre : « J'ai bien dormi, » j'en avais besoin, la journée d'hier m'avait fatigué. Qù est M. de Firmont? Sur mon

» lit.

"" Sur cette chaise.

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Et vous, où avez-vous passé la nuit? J'en suis fâché, dit » le Roi. Ah! Sire, puis-je penser à moi » dans ce moment? » Louis touché jusqu'aux larmes, tendit sa main à son valet-de-chambre, et serra la sienne avec affection.

On avait apporté tout ce qu'il fallait pour dire la messe, et elle commença à six heures. Il régna un grand silence. Le Roi, à genoux, entendit la messe avec le plus

messe,

saint recueillement, dans l'attitude la plus noble. Sa Majesté communia. Après la le Roi passa dans son cabinet, et dit à son valet-de-chambre : « Cléry, je suis » content de vos soins! Ah! Sire, lui ré» pondit ce dernier, en se précipitant à ses » pieds, que ne puis-je, par ma mort, dé"sarmer vos bourreaux et conserver une vie » si précieuse aux bons Français; espérez, » Sire, ils n'oseront vous frapper. - La mort » ne m'effraye point, j'y suis tout préparé : » mais, vous, continua-t-il, ne vous exposez » pas je vais demander que vous restiez près » de mon fils; donnez-lui tous vos soins dans » cet affreux séjour, rappelez-lui, dites-lui » bien toutes les peines que j'éprouve des » malheurs qu'il ressent; un jour peut-être » il pourra récompenser votre zèle. — Ah! » mon maître, ah! mon Roi, si le dévouement » le plus absolu, si mon zèle et mes soins ont » pu vous être agréables, la seule récompense » que je désire de Votre Majesté, c'est de » recevoir votre bénédicton. Ne la refusez pas » au dernier français resté près de vous. » En prononçant ces paroles, Cléry était à ses pieds, tenant une de ses mains. Dans cet état, le Roi agréa sa prière, lui donna sa béné

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