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dans l'attitude la plus noble et la plus imposante. Alors Grouvelle, secrétaire du Conseil, déploya le décret et le lut d'une voix faible et tremblante.

Hébert, cet homme féroce, connu par une feuille qu'il rédigeait, sous le titre du Père Duchesne. Hébert, dont le récit n'est pas suspect en pareil cas, rapporte que Louis écouta avec un sang froid rare les décrets de la Convention, prononcés contre lui. Et lorsque le Secrétaire eut achevé de les lire, il remit à Garat un papier qui contenait une demande sur laquelle il réclamait une réponse prompte et précise. La noblesse et la dignité qui régnaient dans son maintien et dans ses paroles, arrachèrent des pleurs de rage, qui vinrent mouiller les paupières du farouche folliculaire, l'un des ennemis les plus acharnés de Louis. Un de ses collègues n'annonçait pas plus de fermeté que lui. Hébert lui dit : << Mon « » ami, les prêtres, membres de la Conven» tion, en votant pour la mort, quoique la » sainteté de leur ministère le leur défendît, » ont formé la majorité qui nous délivre du >> tyran. Eh bien! que les prêtres constitu» tionnels, membres du Conseil général de » la Commune, le conduisent à l'échafaud.»

Il fit en effet décider que deux prêtres municipaux, Jacques Roux et Pierre Bernard accompagneraient Louis à la mort, et ces deux hommes, indignes du caractère sacré dont ils étaient revêtus, et qu'ils avaient profané, s'acquittèrent de cette fonction funèbre avec la plus grande insensibilité.

Pendant la lecture du funeste décret, aucune altération ne parut sur le visage du Roi. On s'aperçut seulement qu'au premier article, lorsqu'on prononça le mot conspiration, un sourire d'indignation parut sur le bord de ses lèvres; mais aux mots subira la peine de mort, un regard céleste qu'il porta sur tous ceux qui l'environnaient, leur annonça que la mort était sans terreur pour l'innocence. Le Roi fit un pas vers Grouvelle, secrétaire du Conseil, prit le décret de ses mains, le plia, tira de sa poche son porte-feuille et l'y plaça. Puis tirant un papier du même porte-feuille, il dit au ministre Garat:

« Monsieur le Ministre de la Justice, » vous prie de remettre sur-le-champ cette » lettre à la Convention nationale. » Le Ministre paraissait hésiter; le Roi ajouta : « Je » vais vous en faire lecture » et il lut sans aucune altération ce qui suit:

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« Je demande un délai de trois jours, pour pouvoir me préparer à paraître devant Dieu, je demande pour cela de pouvoir voir librement la personne que j'indiquerai aux Commissaires de la Commune, et que cette personne soit à l'abri de toute crainte et de toute inquiétude pour cet acte de charité qu'elle remplira auprès de moi.

» Je demande d'être délivré de la surveillance perpétuelle que le Conseil général a établie depuis quelques jours.

» Je demande, dans cet intervalle, à pouvoir voir ma famille quand je la demanderai, et sans témoins; je désirerais bien que la Convention s'occupât tout de suite du sort de ma famille, et qu'elle lui permit de se retirer librement où elle le jugerait à propos.

» Je recommande à la bienfaisance de la nation toutes les personnes qui m'étaient attachées ; il y en a beaucoup qui avaient mis toute leur fortune dans leurs charges, et qui n'ayant plus d'appointemens, doivent être dans le besoin, et même celles qui ne vivaient. que de leurs appointemens. Dans les pensionnaires, il y a beaucoup de vieillards, de femmes et d'enfans qui n'avaient que cela pour vivre.

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» Fait à la tour du Temple, le vingt janvier mil sept cent quatre-ving-treize.

Signé LOUIS. »

Garat prit la lettre du Roi, et assura qu'il allait la porter à la Convention. Comme il sortait, Sa Majesté fouille de nouveau dans sá poche, en retira son porte-feuille, et lui dit: Monsieur, si la Convention accorde ma ,, demande, pour la personne que je désire,

voici son adresse » : elle la remit à un municipal. C'était celle du respectable ministre que le Roi avait choisi pour remplir l'auguste et douloureuse fonction de le préparer et conduire au supplice.

Les municipaux avaient fait un arrêté que Louis ne se servirait point de coûteau ni de fourchette à ses repas. On en fit part au Roi: "Me croit-on assez lâche, répondit-il, pour » que j'attente à ma vie? On m'impute des

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crimes, mais j'en suis innocent et mourrai " sans crainte. Je voudrais que ma mort fit le » bonheur des Français, et pût écarter les » malheurs que je prévois. » Alors il coupa du bœuf avec sa cuiller, rompit son pain et mangea fort peu.

Garat revint à la tour annoncer à Louis » qu'il était libre d'appeler tel ministre du

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" culte qu'il jugerait à propos, et de voir sa » famille librement et sans témoin. Que la » nation, toujours grande et toujours juste,

s'occuperait du sort de sa famille; qu'il » serait accordé aux créanciers de sa maison » de justes indemnités; que la Convention, » avait passé à l'ordre du jour sur le sursis » de trois jours. »

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Lorsque les défenseurs s'avancèrent la pâleur sur le front et fondant en larmes, pour lui apprendre qu'il n'y avait plus d'espoir. « Tant » mieux, tant mieux, s'écria-t-il, cela me » tire d'inquiétude; si vous m'aimez, mon » cher Malesherbes, loin de vous attrister,: » ne m'enviez pas le seul asile qui me reste..... » Au nom de Dieu ne pleurez pas, nous nous » reverrons dans un monde plus heureux. »

Comme M. de Malesherbes était toujours plongé dans la tristesse la plus profonde, Louis s'oubliant lui-même, chercha à amuser la douleur de son ami par le trait suivant: « M. de Malesherbes, on m'a dit, dans mon » enfance, que lorsqu'il devait mourir un Roi » de la maison de Bourbon, on voyait à » minuit une grande femme vêtue de blanc » se promener dans la galerie de Versailles. >> Comme vous vencz souvent ici, n'auriez

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