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Monarque, pour le reconduire au château. On resta plus d'une heure dans ce court trajet, et le Roi, après son arrivée, parut sur le balcon de son appartement, pour y recueillir les témoignages réitérés de l'affection publique. Ce fut pour lui le dernier instant du bonheur. Les Gardes-du-Corps ayant donné un repas, suivant l'usage, au régiment de Flandres, qui était venu à Versailles, aussitôt la malveillance répandit que dans ce festin, on avait foulé aux pieds la cocarde arborée par la Nation, et que des airs et des chansons anticiviques y avaient été chantés. Un tel bruit se répandit bientôt à Paris, et une troupe de femmes, séduites par des brigands et des scélérats, se mit en marche pour Versailles. Arrivés au château, plusieurs hommes, soldés par les ennemis du trône, forcèrent les sentinelles, enfoncèrent les portes et massacrèrent les gardes. Ils poussèrent l'audace jusqu'à frapper à coups de sabre le lit de la Reine, pour sacrifier à leur furie cette auguste Prine cesse, qui heureusement venait de s'échapper,

Le Roi, entouré de ses enfans en pleurs, de son épouse, de ses serviteurs remplis d'ef→ froi, conserva toute sa sérénité. Il répondit à ceux qui le conjuraient de fuir: «Il est dou

> teux que mon évasion puisse me mettre > en sûreté, mais il est très-certain qu'elle > deviendrait le signal d'une guerre qui ferait » couler des flots de sang. J'aime mieux périr >> ici que d'exposer, pour ma querelle tant de » milliers de citoyens, et d'entrainer peut-être » le royaume entier dans ma chute. Quoiqu'il › puisse arriver, je ne partirai pas. » Prié de venir à Paris, en vain lui conseilla-t-on de ne pas se fier à une multitude qui s'était portée à tant d'excès, mais bien de s'y soustraire par une retraite qui serait puissamment protégée. Après avoir entendu ce conseil, Louis porta sa main droite sur le front, réfléchit quelques minutes, et dit à ceux qui le pressaient : « Non, » il ne faut pas exposer la vie de plusieurs » pour en sauver un seul. J'irai à Paris. » Il s'y rendit avec toute sa famille, et vint de meurer au château des Tuileries. Depuis plus d'un siècle, les Rois n'y avaient pas fait de résidence habituelle; rien n'était préparé pour le recevoir : cependant malgré les incommodités de ce nouveau domicile, et dès le lendemain de son arrivée, il crut devoir informer les provinces sur son sort, les inviter à la tranquillité, et prier l'Assemblée de venir à Paris pour y continuer ses travaux près de sa pere

sonne. Suivant avec acharnement l'affreux

système que l'on s'était proposé, on exigea de Louis sacrifices sur sacrifices; rien ne lui coûta lorsqu'il crut que le bonheur du peuple y était attaché, et il accepta, le 14 février, la nouvelle constitution. Son discours, dans cette occasion, fut rempli de sensibilité, et montra bien toute la bonté de son cœur. « Vous qui > pouvez, dit-il aux Députés, influer par tant » de moyens sur les véritables intérêts de ce » peuple qu'on égare, de ce peuple qui m'est > si cher, dont on m'assure que je suis aimé, >> quand on veut me consoler de mes peines: » dites-lui que s'il savait à quel point je suis » malheureux à la nouvelle d'un attentat » contre les personnes ou les propriétés, sans » doute on m'épargnerait cette douloureuse » amertume..... Je préparerai de bonne heure » mon fils au nouvel ordre de choses que > circonstances ont amené ; je l'accoutumerai >> à reconnaître, malgré le langage des flat»teurs, qu'une sage constitution le préser» vera des dangers de l'inexpérience, et que » la liberté doit ajouter un nouveau prix aux » sentimens d'amour et de fidélité dont la » France, depuis tant de siècles, a toujours > donné à ses Rois des preuves touchantes. >

les

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Ces vœux furent promptement déçus. On lui fit un crime de ne pas donner son adhésion à la constitution civile du clergé. Ses tantes partirent pour l'Italie : sous le prétexte d'une invasion de sa part, on le priva d'aller à SaintCloud, et sa bonté souscrivit sans murmure à une telle privation. A travers tant d'amertume la religion soutenait son courage, et il inspira pour elle à ses enfans le respect et l'amour de cette religion divine, qui seule pouvait les rendre vertueux et heureux.

Le 6 avril 1790, veille de sa première communion, Madame, sa fille, se jeta à ses pieds pour recevoir sa bénédiction, Louis, en relevant cette Princesse, lui dit : «Ma fille, vous » me demandez ma bénédiction; je vous la > donne de tout mon cœur. Vous connaissez >> l'importance de l'acte que vous allez faire; » n'oubliez jamais ce que vous devez à Dieu. » Mon enfant, les grands principes de la reli>gion doivent être la règle de notre conduite; >> nous sommes plus étroitement obligés, » pour l'exemple, de les mettre en pratique. » Cette religion sainte est la seule consolation » qui nous soit donnée dans nos malheurs : » vous êtes en âge, ma fille, de sentir nos » peines, je ne vous en ai jamais parlé; mais

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» dans ce moment, je crois pouvoir m'épan» cher avec vous. Nos peines sont cruelles, » mais elles m'affligent moins que celles du » Royaume. Les prières de l'innocence doivent > trouver grace auprès du Ciel; adressez-lui les vôtres avec la ferveur dont vous êtes » capable, pour obtenir la fin de nos mal

heurs, et sur-tout pour mon peuple dont > la situation, je vous le répète, déchire mon » cœur.» Les larmes du père et du Monarque coulaient pendant ce discours; la jeune Prineesse sa fille y joignait les siennes, et la Reine l'interrompait par ses soupirs et par ses sanglots. Louis n'aimait pas moins les jeunes Princes ses enfans que Madame, sa fille; mais il eut le malheur de perdre le Dauphin la première année de la révolution, et c'est pendant qu'il pleurait sa mort, que des Députés de l'Assemblée nationale vinrent lui demander de sanctionner les décrets qu'elle avait rendus. En vain leur représenta-t-il que, dans la triste circonstance où il se trouvait, il ne pouvait s'occuper que de la juste et vive douleur dont son cœur était pénétré; les membres du TiersEtat qui formaient la majorité dans l'Assemblée, voulurent qu'on lui envoyât une seconde et une troisième députation pour lui faire de

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