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gens de la Cour que j'ai placés dans cet ouvrage, dont les uns alloient en effet quelquefois chez le baron d'Holbach et les autres chez mesdames Necker et du Deffant : comme ma mémoire est fidèle, et que j'ai toujours eu d'ailleurs l'habitude d'écrire tout ce que j'ai entendu dire de remarquable, je puis assurer que j'ai conservé à tous ceux qui n'ont laissé ni mémoires, ni livres, leur caractère, leur ton, leurs sentimens, et jusqu'au genre de leur esprit; quant aux encyclopédistes, je ne place dans leur bouche que ce qu'ils ont écrit dans leurs lettres, leurs mémoires, leurs ouvrages, et toujours avec les citations du volume, de la page, etc; ainsi, tout est vrai dans ce livre; je ne place qu'un seul personnage anonyme (le marquis de **), mais auquel je ne donne que des sentimens que j'ai entendu mille fois exprimer à des gens de sa classe: je pour rois citer entre autres MM. de Vaudreui, d'Escars, de Thiars, de Damas, de Serent, d'Osmond; les ducs de Nivernois, de Villequier, de Gontaut et ses neveux, de Broglie, de Coigni et ses frères; les maréchaux de Balincour, d'Estrée, de Castries; les mar

quis de Puisieux, de Durfort, de Donissan, etc., etc, (a).

Non-seulement je n'ai fait dire aux philosophes que ce qu'ils ont écrit; mais je n'ai point cité les impiétés, les blasphèmes et les obscénités que la main d'une femme chrétienne (quel que soit son âge) ne pourroit copier; je ne me suis pas même permis de

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faire mention des anecdotes scandaleuses et très-authentiques qui se trouvent dans la vie de M. de Voltaire; je n'ai parlé ni de ses procès avec des libraires, ni de la ruine du malheureux Jore, ni de celle du juif de Berlin, qui eut tant d'éclat et de publicité, etc.; et cependant, malgré ces suppressions et tant de retenue, les principes philosophiques du dernier siècle, rassemblés dans un seul volume, offriront à tous les lecteurs une doctrine hideuse et révoltante. Que seroitce donc, si j'avois tout dit ?...

Maintenant, je demanderai aux partisans passionnés de M. de Voltaire, d'où peut venir cette adoration exclusive qu'ils ont pour lui? Est-ce parce que vous le regardez comme

(a) On en trouvera encore quelques autres sous leurs noms, au dernier chapitre.

un génie universel ? c'est une phrase qu'on a beaucoup répétée, mais qui ne persuadera personne aujourd'hui. Est-ce comme historien que vous admirez M. de Voltaire?

Tout ouvrage qui n'a pas le ton qu'il doit avoir, manque de goût, et ce seul défaut empêcheroit M. de Voltaire d'être placé au rang des bons historiens. Outre le ton épigrammatique qu'on s'accorde à lui reprocher, il manque sans cesse, en écrivant l'histoire, aux convenances les plus connues et les plus généralement suivies; par exemple, dans l'histoire de Charles XII, il se cite lui-même, non en note, mais dans le cours de l'ouvrage et de la narration, qu'il interrompt pour raconter ce qu'il a vu et ce qu'il a entendu dire dans sa première jeunesse. Mais, quand son style seroit aussi parfait à cet égard qu'il l'est d'ailleurs par le naturel et la clarté, il n'en mériteroit pas moins d'être exclu de la liste des historiens estimables; car nul autre n'a fait des bévues historiques plus étranges, et des mensonges aussi audacieux et aussi multipliés; écoutons le lui-même sur ce point: en envoyant à son ami Damilaville un morceau d'histoire manuscrit, il lui dit:

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« Nous étions convenus, malgré la loi de » l'histoire, de supprimer des vérités; par>> courez ce manuscrit, et si vous y trouvez quelque vérité qu'il faillé encore immoler, » ayez la bonté de m'en avertir. »( Lettres de Voltaire.)

Ici toute réflexion seroit inutile; nous n'en ferons point.

Ce n'est assurément pas sur ses opéras, ses poésies lyriques, ses odes et ses comédies que votre admiration est fondée; ses poésies fugitives, fort au-dessous de la réputation que vous leur avez donnée, sont trèsinférieures à celles de Gresset : ce n'est pas non plus ce poème si froid, la Henriade, qui peut causer de l'enthousiasme; il a fait sans doute de belles tragédies, mais outre les plagiats sans nombre qu'elles contiennent, vous conviendrez, que, sous ce rapport, le génie du grand Corneille et celui dù grand Racine sont bien supérieurs au sien. Comme vous nous assurez, que vous êtes tous éminemment français, vous devriez tous détester l'écrivain qui fut éminemment antifrançais; l'écrivain qui élevoit sans cesse la nation anglaise au-dessus de la nôtre; l'écri

vain qui appeloit ses compatriotes des Velches, et la France, le pays des singes et des tigres; l'écrivain qui s'est moqué mille fois ouvertement de l'amour de la patrie, et qui dit, dans son Dictionnaire (mot patrie), qu'on ne doit pas être plus attaché à son pays, que le joueur ne peut l'être à une table de jeu à laquelle il reste tant qu'il gagne, et qu'il quitte sans regret dès qu'il perd.

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Ce n'est pas, quoi que vous en disiez, son ardent amour pour l'humanité, qui vous attache si fortement à lui. Un philantrope pourroit-il former le projet d'anéantir, dans son pays et dans l'Europe entière, la Religion chrétienne, les gouvernemens établis, et de corrompre les mœurs? (a) Vous n'ignorez pas que M. de Voltaire fut le plus intolérant de tous les hommes; qu'il sollicitoit sans cesse des lettres de cachet pour faire enfermer ses adversaires; qu'il fut un persécuteur implacable; qu'il méprisoit le peuple qu'il appeloit de la canaille (et ce qui pourra vous paroître plus criminel encore), qu'il

(a) Tous ces faits sont prouvés dans le cours de l'ouvrage par des citations irrécusables.

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