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gné de tant d'impostures et de duplicité. Je réitère ma question : quelle est donc la cause de votre enthousiasme pour cet écrivain? Je ne vous ferai point l'injure de croire qu'il soit fondé sur des libelles atroces, dont le mensonge et la plus noire, la plus grossière méchanceté font tout le sel, ni sur des écrits d'une exécrable impiété et d'un cynisme affreux, aussi dégoûtant qu'effronté; j'aime mieux trouver votre exclusive et véhémente admiration, incompréhensible, que d'y découvrir des motifs odieux qui déshonoreroient également votre goût, vos sentimens et vos principes.

Cet ouvrage, malgré sa médiocrité, est à l'abri de toutes réfutations, parce qu'il est entièrement fondé sur des faits incontestables et sur des citations de la plus parfaite exactitude; il faudra donc se borner à dire vaguement que l'ouvrage est détestable, et vraisemblablement certains journalistes ne manqueront pas d'ajouter que j'y soutiens nettement que M. de Voltaire est inepte......, et que j'ai découvert qu'au fond il n'est qu'un sot; si j'avois fait une telle découverte, elle vaudroit la peine d'être publiée, car elle se

roit très-étonnante; mais je ne puis m'attribuer cette gloire. M. de la Harpe, qu'on n'accusera pas (même dans son Cours de littérature) d'avoir cherché à rabaisser les vrais talens de M. de Voltaire, dit que l'esprit supérieur de cet écrivain ne l'a pas préservé du ridicule d'écrire beaucoup d'inepties et de bétises, assertion qui est prouvée par un grand nombre de citations; et voilà ce que j'ai rapporté dans ce livre. Ainsi, non-seulement je n'ai pas dit que M. de Voltaire fût inepte, mais ce n'est pas moi qui me suis servie du mot ineptie, en citant des passages auxquels cette épithète convenoit si bien; je n'ai fait en cela que copier M. de la Harpe.

Comme j'ai, depuis 46 ans, le mérite d'avoir bravé dans tous mes ouvrages, et même les plus frivoles, les ressentimens si redoutés des philosophes modernes et de leurs partisans, je ne fais nullement un acte de courage en publiant les Diners du baron d'Holbach; d'ailleurs, je suis persuadée qu'il existe de belles âmes dans tous les partis, et celles-là seront sûrement frappées de la masse d'erreurs, de sophismes monstrueux, d'inconséquences, de noirceurs, de grossière

tés, de mensonges calomnieux et de basses méchancetés, que, dans un seul volume, j'offre à leur méditation; je ne risque point de m'attirer la haine des cœurs nobles et généreux; il est facile de mépriser l'animosité des

autres.

J'ai vu de bien près la mort, il y a neuf mois; mais, à mon âge, quand la tombe se referme, elle reste toujours entr'ouverte!...... C'est dans les langueurs d'une pénible convalescence que j'ai fait plus des trois-quarts de cet ouvrage : j'ai cru souvent que je succomberois à ce travail prodigieux, et cette idée, loin de le ralentir, me donnoit de nouvelles forces pour le continuer. J'aurois vivement regretté, en mourant, de n'avoir pu payer cette dernière dette à mon pays et à la jeunesse que j'ai tant aimée!.... J'aurois eu néanmoins une puissante consolation, en pensant que je laissois en France d'illustres défenseurs de la bonne cause, dont les talens sont mille fois supérieurs aux miens.

Comme auteur, je tiens si peu de place dans ce livre, que je n'y puis mettre un grand intérêt d'amour-propre je n'y suis qu'un éditeur laborieux, infatigable. Ce n'est pas

dans l'abattement naturel de la vieillesse, et quand toutes les illusions de la vie s'évanouissent, que l'on peut, malgré des souffrances habituelles, composer un livre pour briller et pour obtenir des éloges; je n'ai été guidée, soutenue et fortifiée que par le desir et l'espoir d'être utile ; si ce vœu est exaucé, je serai, en dépit des nouveaux libelles, pleinement satisfaite.

LES DINERS

DU

BARON D'HOLBACH.

CHAPITRE PREMIER.

Introduction et Plan de l'ouvrage.

On a donné successivement au public, les histoires de la Jacquerie, de la Ligue, de la Fronde, etc., mais on n'a point encore donné une histoire suivie et complète de la plus grande conjuration qu'on ait jamais formée en France et même en Europe, celle dont les philosophes modernes ont été les chefs. Elle commença sous la régence; l'hypocrite Fontenelle, en fut le premier instigateur (a), et M. de Voltaire le premier chef. Les

(a) Ce fut Fontenelle qui, sur la fin du règne de Louis XIV, fit imprimer son pieux discours sur la Patience, qui est terminé par une prière au verbe incarné; et ce fut lui qui, sous la régence, fit paroître son Histoire des Oracles, dans laquelle la Religion est continuellement outragée!

Ι

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