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tout-à-fait philosophe; ses intentions furent, sinon pures, du moins excusables. Comme on ne disoit pas tout à madame Geoffrin, on étoit un peu gêné chez elle. On desira, et on chercha un protecteur en état de donner de grands dîners philosophiques; on trouva cet homme dans le baron d'Holbach, très-entiché de la philosophie moderne, qui s'accordoit parfaitement avec tous ses goûts, ayant d'ailleurs de grandes prétentions à l'esprit, et cet amour-propre, aveugle et véhément, qui rend si sensible aux adulations les plus fades et les plus grossières (a). Un tel per

pu

(a) Voici ce que l'abbé Morellet dit du baron d'Holbach, dans ses Mémoires : « Le baron d'Holbach, ainsi que le >>blic l'a su depuis, étoit l'auteur du Système de la Nature, » et de la Politique naturelle, et du Christianisme dévoilé, » l'éditeur des ouvrages de Boullanger et de la plupart des » écrits imprimés chez Marc-Michel Rey, libraire d'Amster>> dam. Le Système de la Nature, surtout, est un Cathé>> chisme d'athéisme complet, où, chemin faisant, les gou>> vernemens et les rois sont fort mal traités. >>

On trouve un fait très - curieux dans un livre fort bien écrit qui a pour titre : Particularités sur la Vie et la Mort de Voltaire, p. 28. Le voici : « Il y avoit chez le baron de petits comités secrets entre les principaux chefs, et dans lesquels on préparoit les manœuvres contre la religion et le gouvernement. Ils appeloient entre eux ces réunions clandestines le club d'Holbach. M. Leroi en étoit secrétaire, chose qu'il a avouée depuis dans l'émigration, avec beaucoup de remords, à M. le comte de Vaudreuil. »

sonnage étoit un trésor pour les philosophes, d'autant plus que le baron avoit de la fortune et un excellent cuisinier; il fut décidé qu'il rassembleroit régulièrement à dîner chez lui, les philosophes, deux ou trois fois par semaine. Ce qui s'exécuta ponctuellement. Ce fut à ces dîners que l'on parla, sans feinte et sans déguisement, de tous les secrets de la secte, lorsque toutefois des étrangers suspects ou des gens de la cour, toujours très-timorés sur certains points, ne s'y trouvoient pas.

Voici les hommes du grand monde qui alloient quelquefois chez le baron d'Holbach : le chevalier, de Jaucour (a), qui passoit pour un homme très-instruit, mais qui avoit lu sans choix, sans discernement et surtout sans réflexion, se laissant toujours séduire par le titre des livres, et beaucoup plus frappé des mots que des choses; il a fait dans l'Encyclopédie plusieurs articles qui ne sont ni remarquables, ni répréhensibles; incapable d'enthousiasme, sa froideur, qui

(a) Oncle d'un autre chevalier de Jaucour, qui fut également brillant par sa figure, son habileté, son courage à la guerre et ses succès dans la société, qu'il sut allier à de bonnes mœurs et à une pureté de principes en tout genre, qui ne s'est jamais démentie. Il a porté depuis le titre de marquis de Jaucour. Ce fut lui que, durant sa jeunesse, on appeloit dans le monde le Clair de lune.

ressembloit à la sagesse, donnoit du poids à son approbation; captivé par les mots de philosophe et de philosophie, il estima l'entreprise, qui devoit, lui disoit-on, illustrer à jamais la patrie; il contribua à lui donner de la considération, par des éloges faits avec laconisme et d'un ton calme; il persuada tous les gens auxquels la véhémence et l'emphase sont suspectes. Les comtes de Tressan et de Schomberg furent aussi de grands partisans de l'Encyclopédie; le premier qui joignoit à des connoissances fort étendues dans les sciences, des talens littéraires fort agréables, vouloit être des deux grandes académies; d'ailleurs la morale de Voltaire et de ses amis convenoit à ses mœurs, il devint philosophe; son commerce étoit rempli d'une douceur qui avoit toujours de la grâce, parce qu'elle étoit naturellement inspirée par le desir de plaire ; il avoit néanmoins beaucoup de malignité dans l'esprit, mais il ne l'a montrée que dans ses vers satiriques; il ne la portoit jamais dans la société, il n'étoit caustique et dangereux que dans son cabinet; il ne faisoit point d'épigrammes en prose, ni par conséquent dans la conversation; il disoit de lui-même, que le grand monde lui paroissoit si aimable, qu'il s'y trou voit toujours séduit et désarmé, et que ses souvenirs seuls étoient malins.

Le comte de Schomberg, qui, né avec la plus belle âme, et célèbre par sa conduite militaire, et de grands traits de bravoure et de générosité, avoit laissé pervertir sa raison par sa passion démesurée pour les poésies de M. de Voltaire, et par les flatteries de cet écrivain avec lequel il entretenoit un commerce de lettres très-régulier. On parlera des autres dans la suite (a).

Il manquoit à la société un homme de la cour, très-important, par sa famille, ses liaisons, son esprit, et son instruction en tous genres.

(a) L'abbé Morellet, dans ses Mémoires, fait, avec une inconcevable naïveté, ce singulier éloge de la société philosophique du baron d'Holbach.

« C'étoit là que Diderot, le docteur Roux, et le baron >> lui-même, établissoient dogmatiquement l'athéisme absolu, » celui du Système de la Nature, avec une persuasion, une >> bonne foi, une probité édifiantes, même pour ceux d'entre »> nous qui, comme moi, ne croyoient pas à leur enseigne

>> ment.

>>

>> Car il ne faut pas croire que, dans cette société, toute >> philosophique qu'elle étcit, au sens défavorable qu'on donne quelquefois à ce mot, ces opinions libres outre mesure >> fussent celles de tous. Nous étions là bon nombre de > théistes, et point honteux, qui nous défendions vigoureu>> sement, mais en aimant toujours des athées de si bonne >> compagnie. >>

La probité édifiante de l'athéisme est assurément une phrase curieuse ! Il est impossible de pousser plus loin et à la fois, la niaiserie et l'impudence philosophiques.

C'étoit le marquis de ***** et dont le baron d'Holbach, son ami intime, avoit promis la conquête. Le marquis, voyageoit depuis six ans; plus jeune que le baron d'Holbach, il avoit un caractère beaucoup plus solide et tout-à-fait différent; le marquis inaccessible aux séductions de l'orgueil, avoit une droiture incorruptible, un cœur sensible et un esprit parfaitement juste; il aimoit la vérité, et l'ayant cherchée de bonne foi, il l'avoit trouvée tout entière dans la religion, à laquelle il étoit attaché, avec toute la sensibilité de son âme et toute la puissance d'une raison supérieure. Il avoit fait un long voyage de six années, par un motif beaucoup plus intéressant que le desir de s'instruire son ami le plus cher, le vicomte de ***, atteint d'un mal que les médecins ne pouvoient ni connoître, ni guérir (mais dont le marquis n'ignoroit pas la cause secrète), fut envoyé aux eauxde Pise, en Italie : le marquis le suivit; des raisons extraordinaires les forcèrent de se séparer au bout de quatre ans. Le marquis voyagea seul ensuite, pour se distraire du chagrin d'une séparation qui laissoit pour le présent et pour l'avenir un vide immense dans sa vie. Sa liaison avec le baron d'Holbach étoit surtout fondée sur des services mutuels qui ne s'oublient point; d'ailleurs, lorsque le marquis partit pour l'Italie, le baron n'avoit aucune opinion

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