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matériaux de cette histoire contemporaine, sont disséminés dans une multitude d'ouvrages; on les a rassemblés et mis en ordre dans un seul volume. Il est assurément très-curieux de connoître les motifs et de suivre le fil d'une conjuration qui a bouleversé l'Europe entière, et dont les ramifications se sont étendues jusque dans les autres parties du Monde. Cette immense et surprenante influence n'est nullement à la gloire de la fausse philosophie, elle ne prouve que la corruption de la nature humaine qu'il est toujours plus facile de séduire que d'éclairer : le mal se propage avec une effrayante rapidité sur cette terre malheureuse, tandis que le bien n'y jette que des germes profonds, indestructibles à la vérité, mais que presque partout les passions empêchent d'éclore; nulle nation ne communique à une autre l'esprit de paix et la santé, et le démon de la guerre allume sans peine les flambeaux de la discorde, et la peste est contagieuse!...

Ce livre déplaira beaucoup aux infortunés disciples des faux sages du siècle dernier, car les philosophistes n'y seront jugés que par leurs propres écrits et leurs imprudens aveux. Leurs plus grands admirateurs frémiront en voyant leurs maximes fondamentales réunies et formant le code moral et politique qu'ils nous ont laissé; il sera également impossible de justifier ces hor

ribles maximes et la duplicité de leurs auteurs, ou de nier des atrocités, des actions et des cabales qui ne seront que des citations scrupuleusement exactes, tirées de leurs ouvrages et de leurs lettres.

Il y a presque toujours quelque chose de bizarre et d'inexplicable dans la gloire purement humaine : si M. de Voltaire, n'aspirant point au titre d'historien, n'eût pas publié des ouvra ges historiques remplis d'erreurs, de mensonges et dans un style à la fois épigrammatique, incorrect et toujours négligé, s'il n'eût pas fait de mauvaises comédies, de mauvaises odes, des opéras détestables, une multitude innombrable de pamphlets, de satires et de libelles, dont la calomnie, l'impiété la plus révoltante, le cynisme le plus effronté font tout le sel, on ne l'auroit jamais proclamé génie universel (a). Le grand

(a) On ne parle point de la Henriade, parce qu'un poème, fût-il meilleur que la Henriade, ne pourroit être l'un des titres à l'universalité, pour l'auteur de plusieurs belles tragédies. Tout poëte, capable de faire de bonnes tragédies, le seroit aussi de composer un bon poème épique. Si les grands auteurs tragiques ne s'en avisent c'est qu'ils aiment mieux consacrer leurs talens au théâtre, où, suivant l'ingénieuse expression de M. Delille, ils entendent toute leur renommée. Qui pourroit 'douter que Racine, s'il l'eût voulu, n'eût fait un poème épique égal au

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pas,

Racine a fait des tragédies sublimes, des poésies lyriques admirables, une excellente comédie,

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moins à la Henriade, par la versification, et très-supérieur par le plan, l'imagination, les épisodes et la manière de tracer et de soutenir les caractères? «Voltaire, dit M. de La Harpe (dans son excellent Cours de Littérature), Voltaire » est bien loin d'avoir été un génie universel, puisqu'il n'étoit pas même (et il s'en faut de beaucoup) un poëte uni» versel. Il a primé, il est vrai, dans deux genres très-opposés, la tragédie et la poésie légère, mais le lyrique et le comique lui ont manqué absolument; et dans l'épopée, » et dans le poème héroï-comique, il est à peine au second >> rang. Il ne peut soutenir le parallèle, ni avec le Tasse, > ni avec Milton, ni avec l'auteur du Lutrin; que seroit» ce si nous mettions en avant Homère et Virgile? Je ne » parle pas encore des genres de prose; nous y viendrons, et certes il n'y figurera pas comme en poésie. Un homme >> me paroît avoir été plus magnifiquement partagé que per»sonne, puisque seul il s'est élevé au plus haut degré dans

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ce qui est de sciences et dans ce qui est de génie, c'est Bos» suet. Il n'a point d'égal dans l'éloquence; dans celle de >> l'oraison funèbre, dans celle de l'histoire, dans celle des af>>fections religieuses (voy. ses Méditations sur l'Évangile), » dans celle de la controverse (voy. les Variations), et en » même temps personne n'a pas été plus loin dans une science >> immense qui en renferme une foule d'autres, celle de la religion. C'est l'homme qui fait le plus d'honneur à la France >> et à l'Église des derniers siècles; cependant ce n'étoit point » un esprit universel; les sciences exactes, la jurisprudence » et la poésie lui étoient fort étrangères. Écartons ces chi» mères d'universalité, le premier rêve de l'orgueil philo

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des lettres sur Port-Royal que l'on peut comparer aux Provinciales; mais on ne l'a point loué sur son génie universel; il a vu préférer la Phèdre de Pradon à la sienne ; il a vu tomber Athalie, le chef-d'œuvre de la scène française et de tous les théâtres anciens et modernes!... Il ne fut point chef de parti, il ne répondit jamais aux satires dont il fut l'objet, il dédaigna du fond de sa grande âme le vil métier de libelliste, et loin de faire des cabales, il fut la victime de celle que l'envie forma contre lui!...

M. de Voltaire ne pouvoit dominer et régner que sur un siècle corrompu, il le forma! Les doctrines alors étoient encore bonnes, les traditions du grand siècle, la juste admiration pour les grands hommes qui l'illustrèrent, en maintenoient l'influence et la pureté; on avoit de la raison, du goût, un sentiment vrai du beau, on respectoit la religion, l'autorité, les lois; on aimoit ses souverains. Il falloit renverser tout cela; toutes les carrières de la véritable gloire avoient été parcourues, avec un éclat désespérant pour l'orgueil et l'ambition. On voulut donc ouvrir des routes nouvelles, et ne pouvant surpasser

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sophique, qui croyoit relever l'esprit humain par de nou» velles prétentions et qui le rabaissoit en effet par de nou» velles erreurs. »>

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ni même égaler des modèles parfaits, on prit la résolution de contester leurs droits, d'anéan

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tir leur doctrine, de tourner en ridicule leur croyance et leurs maximes, de jeter une extrême confusion dans toutes les idées morales, de tout brouiller, de tout confondre, d'usurper la louange et de braver le mépris, enfin, de corrompre l'esprit public afin de le séduire, et de régner sur une multitude égarée. Un seul homme ne pouvoit suffire à un tel dessein; M. de Voltaire, après avoir obtenu un équitable et grand succès au théâtre, fit paroître l'épître la plus infâme et la plus impie; ensuite il publia plusieurs libelles, c'étoit tout ce qu'il pouvoit faire tout seul; il sentit bientôt le besoin d'une grande association, mais il étoit fort difficile, surtout alors, de la former. Les clubs (si favorables aux conspirateurs) n'étoient pas encore connus en France, notre nation avoit la préséance sur toutes les autres et n'en copioit aucune; elle étoit même le modèle des autres qui croyoient atteindre le plus haut degré de civilisation en adoptant ses modes, ses coutumes et ses usages. Nous nous contentions dans ce temps, de nos brillantes voitures à sept glaces, de nos coursiers à superbe encolure; nous aimions beaucoup mieux dans nos fêtes des carousels et des tournois que ces courses mercenaires où la seule vîtesse tient lieu de noblesse et

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