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» et l'ouvrage tombera dans l'oubli (a)... Enfin, >> une dernière sorte de renvois, qui peut être » ou de mots ou de choses, ce sont ceux que j'ap>>> pellerois volontiers satiriques ou épigrammati>> ques: tel est, par exemple, celui qui se trouve » dans un de nos articles, où, à la suite d'un éloge » pompeux, on lit: voyez Capuchon. Le mot burlesque Capuchon, et ce qu'on trouve à l'arti»cle Capuchon, pourroient faire soupçonner, » que l'éloge pompeux n'est qu'une ironie, et qu'il faut lire l'article avec précaution, et en >> peser exactement tous les termes. Je ne vou

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(a) Voilà le grand secret de la secte et de toute secte;il s'agit de faire du bruit, de bouleverser, d'opérer une révolution; c'est ainsi qu'on se rend célèbre à peu de frais, c'està-dire sans talens. Le caractère d'un bon dictionnaire est de changer la façon commune de penser. Eh! si cette façon de penser est utile et raisonnable? Il n'est pas question de cela; il faut faire un ouvrage assez hardi pour qu'il ne puisse jamais tomber dans l'oubli. Le dictionnaire qui ne sera que savant et sage, sera mauvais on le consultera toujours : mais qu'importe! On n'en parlera point, ce n'est pas là le compte des philosophes. Si les éditeurs de l'Encyclopédie n'avoient pas les talens de Bayle, du moins ils avoient le même but et les mêmes idées sur la manière qu'on doit employer pour composer un bon dictionnaire. Bayle auroit bien pu nous donner lui-même cette définition; mais il avoit trop d'art et trop d'esprit pour se démasquer avec cette surprenante maladresse.

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» drois pas supprimer entièrement ces renvois >> parce qu'ils ont quelquefois leur utilité. On >> peut les diriger secrètement contre certains ri» dicules, comme les renvois philosophiques » contre certains préjugés. C'est quelquefois un » moyen délicat et léger, de repousser une injure sans presque se mettre sur la défensive, » et d'arracher le masque à de grands person» nages.» Voyez dans l'Encyclopédie, le mot Encyclopédie (a). Conçoit-on que des auteurs puissent ouvertement montrer de telles intentions, et se dévoiler avec autant d'imprudence? Ce qui rend cet article aussi ridicule qu'il est révoltant, c'est que l'auteur s'y vante de son adresse, de ses ménagemens, et s'y glorifie de n'employer que des moyens délicats et légers. A quoi servent toutes ces précautions, toutes ces finesses si bien conçues, si subtilement imaginées, lorsqu'on en donne une si positive et si longue explication (b).

Les premières livraisons de l'Encyclopédie con

(a) Voyez surtout les Lettres de Voltaire à d'Alembert, et voyez aussi les Mémoires de M. Grimm.

(b) Les lettres d'un ami des philosophistes, celles de M. Grimm ne laissent plus le moindre doute sur les intentions perverses des encyclopédistes. Qu'on lise dans ce mauvais ouvrage la lettre de Diderot, écrite à l'imprimeur de l'Encyclopédie. Nous en donnerons par la suite un frag

ment.

tenoient en tous genres une infinité de choses extrêmement repréhensibles, mais néanmoins les éditeurs employèrent des ménagemens et une sorte de décence dont ils s'affranchirent entièrement par la suite. D'ailleurs on n'étoit pas encore dans le secret des renvois, l'R ne pouvant se trouver dans le premier volume : on fut assez content du mot Ame qui, lu sans renvoi, n'offre rien de condamnable, et grâce à l'hypocrisie, le premier volume ne parut pas révoltant aux yeux des gens irréfléchis, qui forment toujours le plus grand nombre. Tous les frères se réunirent pour élever aux nues le Discours préliminaire de d'Alembert; on répéta, on écrivit dans mille brochures, que ce discours, aussi profond que brillant, étoit un chef-d'oeuvre d'éloquence, et qu'on y trouvoit des pensées sublimes et un style toujours parfait. On ne pouvoit nier que le plan sur l'enchaînement des connoissances humaines ne fût tout entier de Bâcon, l'auteur du discours en convient lui-même; on pourroit très-justement critiquer plusieurs parties de ce plan, quoiqu'en général il soit bon; mais enfin cette partie essentielle de tout ouvrage n'appartient point à d'Alembert, qui ne peut revendiquer que le style, toujours glacial, souvent incorrect, et rempli d'affectation; cependant les nombreuses voix des encyclopédistes retentissant dans toute

la France, eurent pour échos tous les lecteurs superficiels et tous les gens qui ne jugent que sur parole; l'ennui même que cause la lecture de ce discours contribua à sa réputation; les personnes ignorantes et timides qui avoient quelques prétentions à l'esprit, et qui n'avoient pas eu le courage de le lire, se joignirent à ses admirateurs, uniquement pour se donner un bon air : ainsi cette renommée s'étendit; l'intrigue l'avoit formée, le préjugé la conserva : l'abbé Cérutti, dans son langage ridicule, écrivit : qu'il n'y avoit dans le monde que deux belles façades, celle du Louvre et celle de l'Encyclopédie, et cette belle pensée fut presque généralement applaudie. Voici quelques passages de ce fameux discours; « A la tête des connoissances, qui consis>> tent dans l'imitation, doivent être placées la peinture et la sculpture. On peut y joindre cet » art, né de la nécessité et perfectionné par le » luxe, l'architecture, qui s'étant élevée par de>>grés des chaumières aux palais, n'est aux yeux. >> du philosophe, si on peut parler ainsi, que le » masque embelli d'un de nos plus grands be» soins. L'imitation de la belle nature y est moins frappante et plus resserrée que dans les deux » autres arts dont nous venons de parler ».

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Le masque embelli d'un besoin!.... Quel langage et quel galimathias baroque! D'ailleurs,

comment l'architecture est-elle une imitation de la belle nature, et comment un palais imite-t-il un paysage, ou une belle créature humaine? Il est impossible de déraisonner d'une manière plus ridicule avec un ton plus doctoral; l'auteur dit ensuite que la musique tient le dernier rang dans l'ordre de l'imitation: ainsi, suivant l'auteur, l'architecture imite mieux la belle nature que la musique, ce qui est tout aussi faux que le reste, car l'architecture n'imite rien, et la musique (d'une manière abstraite) peut imiter les accens de la mélancolie, de la douleur, de la joie. L'auteur ajoute que la musique dans son origine n'étoit peut-être destinée à représenter que du bruit; on n'est point étonné que l'auteur ne reconnoisse pas, d'après les saintes écritures, que l'origine de la musique est céleste (a); mais il auroit dû savoir qu'elle est dans la nature, et c'est une des découvertes de notre célèbre Rameau, qui a su trouver dans la base fondamentale, le principe de l'harmonie et de la mélodie, mérite immense dans ce bel art, et que les Italiens ne lui contestent pas. Dans ses heureuses

(a) Aussi, comme le dit ingénieusement dans ses Pensées, un écrivain suédois, le chancelier Oxenstiern, la musique est le seul des plaisirs terrestres que l'on ait osé mettre dans le Ciel.

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