Page images
PDF
EPUB

c'est-à-dire le projet formel de mettre toutes les passions à l'aise, et d'ouvrir un vaste champ aux ambitions les plus désordonnées, en anéantissant la religion, la morale, et en renversant le gouvernement. Ce secret n'étoit bien connu que de huit ou dix personnes qui furent les véritables conjurés. Voltaire, d'Alembert, Helvétius, Diderot, Condorcet, Raynal, Damilaville, l'abbé Morellet, ces fameux conspirateurs, dans de petits comités particuliers, arrêtèrent le plan le plus détaillé de la grande conjuration; ils convinrent unanimement qu'il falloit pour préliminaire à l'Encyclopédie, et pendant la durée de l'entreprise, répandre successivement dans le public un nombre prodigieux de satires contre les prêtres, contre les gens religieux et contre toutes les autorités, et en outre, multiplier les brochures impies et licencieuses. Dans ces petites assemblées ténébreuses, furent conçus et arrêtés les plans du livre de l'Esprit, de Candide, d'une infinité de contes de ce genre; de Zadig, de l'Histoire philosophique des Indes, du Dictionnaire philosophique, de l'Essai sur les Mœurs des Nations, du poème sur la Loi naturelle, etc. Ce fut encore là que l'on inventa les titres des pamphlets intitulés : les Si, les Quand, les Pourquoi, dont on confia l'exécution à des auteurs subalternes : qu'on ne

manqua pas d'ériger par la suite en beaux-esprits, qui furent loués à outrance par toute la cabale, car dès-lors il fut unanimement décidé que l'on feroit une réputation d'hommes de génie, à tous les écrivains, quelque dépourvus de talens qu'ils fussent, qui entreroient dans le parti philosophique, et que par les mêmes motifs on déclareroit que tous ceux qui combattroient la légion d'esprits forts, n'étoient que des hypocrites et des sots. Ce qui rappelle des vers ingénieux de Pavillon (neveu de l'évêque d'Alet) auquel l'abbé de Francheville avoit demandé ce que c'étoit que le bel esprit.

Voici la réponse que lui fit Pavillon :

De l'air dont on vit aujourd'hui,

Il importe fort peu de l'être,

Mais si vous voulez le paroître,

Faites des partisans et cherchez de l'appui.

Tâchez donc à former une petite brigue,

Joignez quelques bourgeois, à force gens de cour;
Que tous ceux qui seront entrés dans votre intrigue
Avec empressement vous prônent tour à tour,
Et que sur l'hôtel de la ligue
En grosses lettres soit écrit:

Hors la cabale point d'esprit.

Ne désespérez point, allez, je vous en quitte,
Tâchez de ne point croire en Dieu,

Et cela vous tiendra lieu
De toute sorte de mérite.

Enfin, en s'engageant à saper tous les fondemens des trônes, on se promit, quand l'intérêt de la bonne cause l'exigeroit, de flatter sans mesure les souverains, leurs maîtresses, les ministres et tous les gens en place, en un mot, on fit le serment (le seul qui ait été respecté dans cette société), de mentir, non-seulement souvent, mais toujours, pour le bien général (a). N'oublions pas d'ajouter qu'il fut expressément recommandé à tous les frères de faire distribuer gratis les pamphlets et les brochures dans les petites villes, les gros bourgs, surtout aux foires, et d'en faire circuler à Paris un grand nombre parmi les jeunes gens et les jeunes femmes (b). Les encyclopédistes sentirent aussi qu'il falloit, pour le succès de leur dessein, ôter toute influence à la religion

(a) C'est ce que M. de Voltaire répète sans cesse dans ses lettres à ses amis, auxquels il dit, mentez, mentez, mentons, mes amis: quelles flatteries n'a-t-il pas prodiguées à Louis XV, qu'il a comparé à Trajan, à madame de Pompadour (2), et depuis à madame Dubarri, au maréchal de Richelieu, qu'il appelle toujours dans les lettres qu'il lui adresse, son héros, et qu'il désigne dans d'autres lettres de la même date, écrites à ses confidens, le tyran du tripot ou le tripotier.

(b) Voyez les Lettres de Voltaire.

[ocr errors]

sur l'éducation publique; de là, leur acharnement contre les jésuites, dont les utiles succès en ce genre ne pouvoient être contestés. M. de Voltaire a écrit, qu'il faut être un monstre pour ne pas aimer ceux auxquels nous devons notre éducation; il fut élevé aux jésuites, ce qui ne l'a pas empêché de calomnier et de persécuter ces religieux avec la plus odieuse persévérance.

[ocr errors]

Ce fut Diderot qui, pour l'Encyclopédie, créa l'art ingénieux des renvois. Écoutons - le luimême nous dévoiler toutes ces petites ruses philosophiques sur cet objet; il parle de l'ordre et de la manière qu'on a suivis, en composant ce Dictionnaire : « Je distingue, dit-il, deux sortes » de renvois, les uns de choses et les autres de >> mots. Les renvois de choses éclaircissent l'objet, indiquent ses liaisons éloignées avec d'au» tres qu'on en croiroit isolées, etc.... Mais quand >> il le faudra, ils produiront aussi (ces renvois) » un effet tout contraire, ils opposeront les no» tions, ils feront contraster les principes; ils >> attaqueront, ébranleront, renverseront secrè>>tement quelques opinions ridicules qu'on n'o» seroit insulter ouvertement; si l'auteur est im» partial, ils auront toujours la double fonction » de confirmer et de réfuter, de troubler et de » concilier.

[ocr errors]

Il y auroit un grand art et un avantage in

>>

[ocr errors]

>> fini dans ces derniers renvois. L'ouvrage en>> tier en recevroit une force interne, et une uti» lité secrète dont les effets sourds seroient né>> cessairement sensibles avec le temps. Toutes » les fois, par exemple, qu'un préjugé national » mériteroit du respect, il faudroit, à son article particulier, l'exposer respectueusement, et avec » tout son cortége de vraisemblance et de sé» duction, mais renverser l'édifice de fange, dissiper un vain amas de poussière, en ren>> voyant aux articles où des principes solides >> servent de base aux vérités opposées. Cette » manière de détromper les hommes opère très» promptement sur les bons esprits, et elle opère » infailliblement, et sans aucune fâcheuse con» séquence, secrètement et sans éclat sur tous » les esprits. C'est l'art de déduire tacitement » les conséquences les plus fortes. Si ces renvois » de confirmation et de réfutation sont prévus » avec adresse, ils donneront à une Encyclopédie, le caractère que doit avoir un bon dic» tionnaire, ce caractère est de changer la façon » commune de penser. L'ouvrage qui produira » ce grand effet général, aura des défauts d'exé>>cution, j'y consens; mais le plan et le fond » en seront excellens. L'ouvrage qui n'opérera » rien de pareil, sera mauvais, quelque bien » qu'on en puisse dire d'ailleurs, l'éloge passera

[ocr errors]
« PreviousContinue »