Page images
PDF
EPUB
[blocks in formation]

L'INDIVIDU CONTRE LA POLICE

PREMIÈRE PARTIE

La police. Sa place dans l'organisation étatique. Son rôle. Son champ d'action

En temps de paix, la police apparaît certainement comme la manifestation la plus vigoureuse de la puissance publique, c'est-à-dire de cette faculté juridique que détiennent les gouvernants et leurs délégués d'imposer leur volonté à leurs semblables, au besoin par la force. C'est qu'en entendant ce mot de police, le profane se représente aussitôt l'agent qui oblige l'individu à exécuter un ordre. sur-le-champ. C'est là une conception qui, pour être simpliste, n'en a pas moins un fonds de vérité. Cette action énergique de la police sur l'individu, quelque forme qu'elle revête, peut lui sembler particulièrement irritante dans certains cas, et l'on s'explique qu'il veuille s'y opposer. Le peut-il? Quels moyens a-t-il à sa disposition? Que valent ces moyens et quelle garantie procurent-ils? Voilà le problème.

Mais, avant de le résoudre, il faut éclaircir bien des points, et non des moindres. Pour combattre un adversaire, il importe d'abord de le connaître. Qu'est-ce donc au juste que la police?

On a coutume de se servir du mot « police » dans bien des sens qu'il convient de distinguer au seuil même de cette étude. Jusqu'à la Révolution, on comprenait par là tout ce qui a trait au droit administratif. Voici, en effet, ce qu'écrivait Delamarre à ce sujet, en 1734(1): « On le prend quelquefois pour le gouvernement géné

(1) DELAMARRE, Traité de la police, 2o éd. 1732, t. I, liv. I, tit. I, « Idée générale de la police », p. 1 à 4.

207747

ral de tous les États, sous quelque forme qu'ils soient établis et, dans ce sens, il se divise en monarchie, aristocratie, démocratie, et en quelques autres parties moins parfaites, formées des différents mélanges qui se peuvent faire de ces trois premières. D'autre fois, il signifie le gouvernement de chaque État en particulier, et alors il se divise en police ecclésiastique, police civile et police militaire; mais ordinairement et dans un sens plus limité, il se prend pour l'ordre public de chaque ville et l'usage l'a tellement attaché à cette signification que toutes les fois qu'il est prononcé absolument et sans suite, il n'est entendu que dans ce dernier sens. Il semble même que c'est uniquement celui-ci que les philosophes et les jurisconsultes ont eu en vue dans tous ces grands éloges qu'ils ont donnés à la police et que nous lisons dans leurs écrits. >>

A l'appui Delamarre cite notamment Le Bret (1) et Loiseau (2), et conclut en énumérant les divers objets de la police, telle qu'il l'entend: « La police, selon nous, est donc toute renfermée dans ces onze parties que l'on vient de parcourir la religion, la discipline des mœurs, la santé, les vivres, la sûreté et la tranquillité publique, la voirie, les sciences et les arts libéraux, le commerce, les manufactures et les arts mécaniques, les serviteurs domestiques, les manouvriers et les pauvres. »

Le titre même des intendants chargés de toute l'administration provinciale dans l'ancien régime : « intendants de justice, police et finances » montre qu'on entendait par « police » toute l'administration interne, sauf la justice, les finances et l'armée.

Aujourd'hui, la généralité des auteurs se fait une idée moins large de la police. Cependant, en Allemagne surtout, il en est de très appréciés qui continuent à englober dans le concept de police, non seulement les services organisés en vue de maintenir le bon ordre, mais encore ceux qui fonctionnent en vue d'assurer le bienêtre des citoyens et le développement de la civilisation (3). Mais nous ne voulons parler ici que des sens tout à fait modernes du

(1) LE BRET, De la souveraineté du Roy, liv. IV, chap. xv et xvпi. (*) LOISEAU, Traité des seigneuries, chap. 1x.

(3) Von GAREIS, Handbuch des öff. Rechts. Marquardsen. Erster Band. Erster Halbband, p. 131; G. MEYER, Verwaltungsrecht, I, p. 72; - Pözi, Grundris zu Vorlesungen über Polizei, § 1.

« PreviousContinue »