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mot et nous n'en trouvons pas moins de six, en droit administratif seulement. Il désigne en effet :

1° L'institution ou l'ensemble des services organisés qui veillent au maintien ou au rétablissement d'une partie de l'ordre public. C'est ainsi qu'on dit : « La police est une branche de l'administration »>;

2o L'autorité investie de la puissance publique, dans l'intérêt de l'ordre public. On dira, par exemple, avec cette signification : « La police s'occupe des mœurs » ;

3o Le droit dont est investie cette autorité. C'est dans ce sens qu'on emploie le mot en énonçant par exemple, que : « la police comprend le droit de réquisition civile »;

4° Les dispositions législatives, réglementaires ou individuelles, qui autorisent ou constituent l'exercice du droit de police. Ainsi, on distinguera la police municipale, la police de la voirie, etc.;

5o Les agents d'exécution. C'est un emploi très fréquent du mot, parce que ces agents matérialisent, incarnent en quelque sorte la police. Exemple: « La police disperse les rassemblements >> ;

6o Enfin, le résultat même de l'action des autorités. On dira, par exemple, en ce sens que « telle ville jouit d'une bonne police ».

C'est dans le premier de ces sens que nous entendons employer le mot, et avant d'entrer dans les détails, spécifions encore que nous ne viserons jamais que la police administrative, par opposition à la police judiciaire. La différence entre leurs rôles est nettement formulée par le Code de brumaire an IV, articles 16 à 20: « La police est instituée pour maintenir l'ordre public, la liberté, la propriété, la sûreté individuelles. Elle se divise en police administrative et en police judiciaire. La police administrative a pour objet le maintien habituel de l'ordre public dans chaque lieu et dans chaque partie de l'administration générale. Elle tend principalement à prévenir les délits. La police judiciaire recherche les délits que la police administrative n'a pas pu empêcher de commettre, en rassemble les preuves et en livre les auteurs aux tribunaux chargés par la loi de les punir. » En pratique, les deux polices se trouvent souvent réunies dans les mêmes mains; mais la distinction conserve toute sa raison d'être en théorie et nous l'observerons rigoureusement.

Nous avons déjà une idée de ce qu'est la police. Mais elle manque de précision. Pour l'éclaircir, il convient maintenant d'exa

miner quelle est exactement la place de la police dans l'activité étatique. On sait qu'il y a dans l'État trois fonctions à remplir la fonction législative, la fonction judiciaire et la fonction administrative, fonctions qu'on a pris l'habitude de faire cadrer avec les trois pouvoirs. L'idée vient tout naturellement de faire rentrer la police dans l'administration. Mais le domaine de la police est si large et touche de si près, par certains côtés, à celui du législateur et à celui du juge qu'il est expédient de bien fixer tout d'abord leur rôle, leur champ d'action et certains de leurs caractères avant d'étudier ceux de la police, pour bien montrer en quoi elle se rapproche et en quoi elle s'écarte d'eux.

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Pour son existence et pour son développement, la société a besoin d'utiliser toutes les forces sociales, par suite, de jouir d'un état de choses qui permette aux activités utiles de s'exercer harmonieusement. Cet état de choses est ce que nous appellerons l'ordre public. Tout trouble de l'ordre public entraîne une déperdition d'énergie qu'il convient d'éviter. C'est à quoi s'attachent aussi bien le législateur et le juge que l'administrateur. Mais ils accomplissent leur œuvre avec des vues profondément différentes que nous allons essayer d'analyser brièvement.

La sociologie et l'histoire enseignent que les sociétés, même les plus reculées, ont toujours admis un chef chargé de pourvoir en général à tous les besoins de la communauté et d'y maintenir la discipline. L'ensemble des actes de ce chef constitue l'administration en général : comprise dans ce sens très large, elle est bien l'activité même du gouvernant et c'est ce qu'exprime étymologiquement le terme allemand: Verwaltung (de walten, agir). On n'a pas tardé, pour diverses causes, et notamment pour se protéger contre l'arbitraire du gouvernant, d'exiger de lui qu'il agisse » envers tous de la même façon, suivant une règle qu'il dicterait lui-même et qu'il s'engagerait à observer. Cette règle générale, c'est la loi et on la trouve avec ce caractère en Grèce et dans la République romaine. Mais cette notion s'obscurcit dans les premiers siècles de l'Empire, où la loi n'est plus que l'expression de la volonté de l'Empereur : « Quidquid principi placuit legis habet vigorem. » Lorsque, vers la fin du Moyen Age, les légistes français

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reprirent les conceptions romaines, ils firent revivre la théorie formaliste du Bas-Empire, sous cette forme que toute volition royale est loi dans la mesure même où le Roi a voulu qu'elle le soit; c'est ce qui se dégage des deux maximes combinées « Si veut le Roi, si veut la loi » et « Princeps legibus solutus ». Cependant le Roi, qui pouvait se soustraire à l'application des « lois du Roi », devait respecter les « lois du royaume », qui s'imposaient à lui comme des principes consacrés par la vieille coutume et par les États généraux. Cette théorie des lois supérieures au Roi s'est éclipsée pendant un siècle avant la Révolution, mais elle a reparu sous une autre forme dans les constitutions rigides (1). Aujourd'hui, de nombreux auteurs, tant français qu'étrangers, soutiennent que la loi moderne est tout acte émané de l'organe législatif. Mais il nous semble plus rationnel d'admettre qu'un acte, pour être loi, doit avoir une essence particulière.

Il s'agit maintenant de dégager le principe caché derrière l'institution de ces règles générales qu'on appelle « lois », et de caracté riser l'aspiration qui pousse la collectivité à exiger de ses gouvernants un précepte qui s'impose à tous. M. Duguit, dans son beau livre de L'Etat, croit que le législateur s'efforce de réaliser la solidarité. Nous pensons avec M. Esmein (2) que les idées de charité, de fraternité, de solidarité humaine, sont déjà le produit d'une réflexion philosophique trop profonde pour que le commun des hommes les conçoive facilement, à l'origine. Au contraire, les idées. de justice, de liberté, de responsabilité sont les premières qui viennent à l'esprit des moins éclairés. Nous irons jusqu'à dire même que celle de justice est la première qui ait dù apparaître comme norme directrice, et si l'on songe à la notion de la liberté antique, on se ralliera facilement à cette façon de voir. En effet, à Rome, sous la République, la liberté individuelle était inconnue il n'y avait ni liberté de conscience, ni liberté de la vie privée. La liberté se réduit, d'après Cicéron (3), à l'exercice des droits politiques. Sous la royauté, elle consiste dans l'équilibre des « gentes ». L'égalité (æquabilitas, æquale jus), voilà l'idéal des cités antiques. L'égale

(1) Cf. Duguit, L'Etat, I. chap. IV, § 7.

(2) ESMEIN, Droit constitutionnel, 3e éd. Introduction.

(3) CICERON, De Republica, I, 31 et 32; II, 23.

répression de tout acte contraire au droit, voilà le fondement sur lequel repose la cité (1). Or, l'égalité n'est que la traduction, simpliste si l'on veut, de la primitive justice. Selon nous, le but du législateur est donc de recueillir les principes de morale et de justice dont la collectivité a pris assez conscience pour qu'ils soient consignés dans un texte obligatoire à l'égard de tous. D'ailleurs, à une époque où la pensée a pris son libre essor, la justice, qui implique l'égalité de tous, du moins sous certains rapports, aboutit rapidement à la liberté et à la fraternité, comme le montre M. Hauriou (2). Ce principe de justice est donc fécond et se rapproche pour partie de celui de solidarité. Ainsi, le législateur se place à un point de vue très élevé il domine les nécessités sociales, il réfléchit, il pèse, il prend son temps et s'efforce d'orienter les institutions vers la justice et vers la liberté toujours plus grande. Son domaine est très vaste : c'est celui même de l'activité humaine. Il prévoit de très loin les difficultés multiples que rencontrera la collectivité : il cherche, il discute, il élabore la solution qu'il pense se rapprocher le plus de l'idéal; la gestation est longue, le fruit devrait être mûr et achevé lorsqu'il voit le jour.

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On s'explique ainsi que l'intervention du législateur soit intermittente, que les lois, lentes à venir et à disparaître, ne tardent pas à vieillir avec la prompte évolution des sociétés modernes, et à constituer un appareil rigide qui s'adapte mal à des situations constamment nouvelles.

Il faut donc un organe dont la fonction admette le contact perpétuel avec l'individu, s'exerce en tous temps et en tous lieux, avec autant d'assiduité et de promptitude que de souplesse, pour tenir compte de toutes les circonstances, des usages, de la mentalité spéciale de chaque région, etc. Cet organe, c'est l'administration actuelle, bien différente de la primitive, au moins par son champ d'action. L'objet de sa vigilance est le maintien de l'ordre public en tant qu'il résulte de l'organisation et du fonctionnement de services publics, chargés, d'une part, de faire cesser les conséquences des accidents et des phénomènes naturels ainsi que les actes ou faits individuels dont les mauvais effets se font sentir de façon directe

(1) Cf. Cuq, Institutions juridiques des Romains. L'ancien droit, t. I, (3) HAURIOU, Précis, 6o éd., p. 326.

p. 39.

sur la collectivité; et, d'autre part, de pourvoir sans cesse à la satisfaction des besoins matériels et intellectuels et à l'amélioration du bien-être de cette collectivité. Cette définition un peu longue ne nous semble ni trop étroite, ni trop large, à la condition qu'on veuille bien prendre garde à tous ses éléments.

Insistons d'ailleurs sur un point capital lorsque le législateur s'occupe des mêmes objets que l'administration, deux traits caractérisent son action: il s'inspire avant tout des idées de justice, de liberté et de haute prévoyance sociale, et, d'autre part, il intervient une fois pour toutes dans une certaine période. Bien différents sont les caractères de l'action administrative: d'un côté, l'administration agit sans viser à l'idéal, uniquement pour parer à des situations qui sont sur le point ou viennent de devenir fâcheuses; elle emploie les voies les plus efficaces, les plus radicales, sans se soucier de savoir si ce sont les meilleures, au point de vue moral; en un mot, elle ne fait pas d'appréciation normative; et, d'autre part, elle intervient à tous instants, sans relâche : elle est tout près de l'individu, et à peine souffre-t-il, que déjà elle avise aux moyens de remédier à l'inconvénient; aussi son action est-elle très variée, très souple, appropriée aux circonstances, au temps, au lieu et aux mœurs.

Il résulte aussi de notre définition que l'administration ne s'occupe pas de l'ordre public en tant qu'il résulte des relations privées des individus entre eux; si le législateur peut et doit même s'immiscer dans ce domaine, au profit de la justice et de la liberté, l'administration ne le peut pas, à moins que ces relations privées n'aient une répercussion directe sur l'intégrité physique ou morale de la collectivité; c'est le cas, notamment, lorsque des exhibitions obscènes, à l'intérieur d'une maison, viennent surprendre les regards des passants.

Une troisième fonction de l'État correspond à la juridiction. Le juge a pour mission de dire le droit dans chaque cas particulier, où il est violé ou contesté, afin d'en assurer le respect. Cette formule se rapproche de celle qu'a donnée M. Artur (1). Nous y avons ajouté les mots dans chaque cas particulier », pour tenir compte de la judicieuse remarque faite par M. Duguit (2) que le législateur dit

(1) Artur, « Séparation des pouvoirs et séparation des fonctions », dans la Revue de Droit public, 1900, t. I, p. 226.

(2) DUGUIT, op. cit., p. 421 et 422.

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