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bres dits députés, nommés pour trois ans par les sections provinciales et rééligibles. Elle est administrée par un conseil central de quarante membres nommés dans les mêmes conditions, par l'assemblée générale de la ligue et qui choisit à son tour un président, un vice-président par province, deux secrétaires. Le budget de la ligue est alimenté par les cotisations des membres et par des dons volontaires. >>

En mai 1907, les journaux de Paris ont reproduit un télégramme de Calcutta ainsi conçu :

« Au déjeuner de la ligue musulmane pan-indienne, Syed Ameer Ali a proclamé, dans une vibrante allocution, le loyalisme enthousiaste des 70 millions de musulmans de l'Inde envers le Roi-empereur (1). »

Les Sikhs ont de leur côté très nettement affirmé leurs sentiments d'attachement envers l'Angleterre.

A cet égard, il convient de citer par exemple l'information suivante publiée par le Temps dans son numéro du 20 mai 1907 : « La communauté sikh a lancé un manifeste daté du temple d'Amritsar, adjurant tous les Sikhs de rester fidèles au gouvernement anglais. >>

Il faut se souvenir enfin que cette expression « l'Inde » ne désigne pas un peuple, mais un amas de peuples. Pendant longtemps encore la main britannique sera nécessaire pour tenir la balance égale entre les races, les groupes religieux, les intérêts si divers qui se partagent la Péninsule.

Un simple fait entre mille peut servir à montrer combien les conflits de la nature en apparence les plus ordinaires prennent facilement aux Indes le caractère de lutte de races et quel est à cet égard le rôle de l'Angleterre.

« Calcutta, 18 novembre 1908.

« Une émeute a éclaté à Calcutta ce matin. Un marchand de fruits ayant poignardé mortellement un Afghan au cours d'une discussion d'affaires, deux cents Afghans ont attaqué les fruiteries et les boutiques dans Harrison-road. Ils ont saccagé les boutiques et se sont enfuis à l'arrivée de la police.» (Temps, 19 novembre.)

(1) Cf. Temps, 18 mai 1907; Revue du Monde musulman, août 1908, etc.

Un autre exemple est fourni par le télégramme suivant, daté de Calcutta, 3 janvier 1909:

« Dans la banlieue de la ville a éclaté une grave émeute provoquée par l'interdiction du sacrifice des vaches par les musulmans, faite par la police par égard pour les convictions des Hindous.

<«< Les mahométans ont attaqué la police, qui a dû faire appel à la troupe. Tandis que celle-ci arrivait, les Hindous et les mahométans s'entre-attaquaient. Il y a eu soixante blessés. Puis les émeutiers défièrent les soldats, qui durent tirer sur eux. Il y a eu de nombreux blessés et plusieurs tués. Deux cents arrestations ont été opérées. » D'ailleurs, le gouvernement britannique aux Indes n'a nullement soumis les populations placées sous son contrôle à un régime d'absolutisme et de tyrannie. Il a au contraire délivré ces populations du despotisme séculaire des conquérants mogols, ou des militaires aventuriers qui tour à tour se sont emparés des principautés grandes ou petites du Dekkan pour les piller et les rançonner sans merci.

La Grande-Bretagne s'est donné pour tâche de faire cesser les guerres continuellement renaissantes qui ensanglantaient le pays, d'établir l'ordre, une administration équitable et réglée, là où régnaient la confusion et les abus de toute sorte. Or, depuis un demisiècle la paix n'a pas été troublée à l'intérieur des limites de la Péninsule, et dans sa proclamation à l'occasion du cinquantenaire (1) de l'incorporation du pays au domaine de la Couronne britannique, l'Empereur-roi n'a pas manqué de faire ressortir ce bienfait.

Le gouvernement britannique travaille à préparer graduellement l'avènement d'institutions plus libérales que celles actuellement existantes (2).

« Pour la première fois, dit encore la proclamation du roi Édouard VII, le principe d'institutions représentatives a commencé

(1) 1er novembre 1908.

(2) Parmi les indications dénotant les dispositions du gouvernement britannique à cet égard, peut être citée à titre d'exemple assez curieux l'information suivante publiée dans le Mémorial diplomatique du 11 août 1907:

"

« On nous écrit de Calcutta « La nomination de Sultan Mahomed Shah Aga Khan, au conseil du secrétariat d'État de l'Inde britannique a produit ici un excellent effet. Sultan Mahomed Shah, Persan d'origine et apparenté à la fa<< mille régnante de Perse, s'intéresse vivement au développement des institutions constitutionnelles de ce dernier pays, et en même temps se préoccupe de donner satisfaction aux aspirations des populations indigènes de l'Inde et de faire disparaître les différends politiques qui divisent les Hindous et les musul

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à être graduellement introduit et le temps est venu où ce principe... peut être étendu avec prudence. >>

Dès maintenant, cependant, les habitants de l'Inde jouissent de franchises réelles au point de vue du régime municipal, ainsi qu'en ce qui concerne le droit d'association.

Une des conditions indispensables pour que l'ordre nouveau puisse s'établir et durer tient évidemment au développement de l'instruction, au progrès des connaissances parmi les habitants de l'Inde. En dépit de l'énormité de l'effort et des obstacles de toute nature qu'elle rencontre inévitablement, la tâche d'enseignement a été entreprise et elle sera poursuivie avec énergie. Déjà les résultats dès à présent obtenus sont une garantie pour l'avenir.

En définitive, il est permis de penser que l'œuvre de l'Angleterre aux Indes, plus complexe et plus difficile que celle que Rome a accomplie dans son Empire, sera aussi plus durable (1).

D'ailleurs, en pareille matière, une affirmation absolue ne serait pas de mise, évidemment. Seeley, malgré le ton d'optimisme caractérisé qui règne au cours de son livre, n'en a pas moins reconnu le risque éventuel que pourrait courir la domination britannique aux Indes. Voici comment il s'exprime à cet égard : « ... Du jour où nous serions menacés par une rébellion qui ne serait plus une simple

(1) L'opinion exprimée au cours de ces lignes, écrites en novembre 1908, a reçu une haute confirmation, inattendue et d'autant plus précieuse, par ces paroles prononcées à New-York, par le président Roosevelt, le 18 janvier 1909, lors de la célébration du jubilé de diamant de l'établissement de la Methodist Episcopal Church of Africa : « L'administration anglaise de l'Inde est une ceuvre (feat) plus grande qu'aucune de celles qui ont été accomplies sous l'empire romain. Il est assez facile de signaler ce qui peut lui manquer, mais il reste qu'elle a été l'une des plus notables et admirables tâches qui aient été exécutées par la race blanche depuis deux siècles.

« Il est indubitable, continua-t-il, que l'Inde est une contrée beaucoup moins agréable qu'elle ne l'était jadis, pour les chefs des États tyranniques. Il n'y a plus, dans ce pays, que peu ou pas de place pour d'heureux pirates (freebooters), capitaines et despotes qui vivaient dans le luxe et la splendeur, tandis que l'immense masse de leurs compatriotes était plongée dans une affreuse misère... En fait, si le contrôle anglais était maintenant supprimé dans l'Inde, la péninsule entière deviendrait un chaos de violences et de conflits sanglants. Les seuls bénéficiaires, parmi les indigènes, seraient ceux qui ne reconnaissent aucune loi, les violents et les sanguinaires. »

« Tout véritable ami de l'humanité, dit encore M. Roosevelt, doit se rendre compte que le rôle que l'Angleterre a joué dans l'Inde a été à l'immense avantage du pays et à l'honneur et au profit de la civilisation, et il doit éprouver une satis. faction profonde en présence de la stabilité et de la permanence du régime anglais.» (Reuter.)

(New-York Herald, 19 janvier 1909.)

rébellion militaire, mais l'expression d'un sentiment universel de nationalité, de ce jour même toute espérance de conserver notre empire serait anéantie, comme devrait l'être aussi tout désir de le maintenir. >>

En définitive, la question se ramène à celle-ci : une unité morale suffisante pour constituer une nationalité doit-elle se produire un jour entre les divers éléments de la population aux Indes? La réponse reste nécessairement, dans une certaine mesure, le secret de l'avenir; par conséquent, en attendant, l'affirmative aussi bien que la négative peuvent l'une et l'autre être soutenues avec plus ou moins de vraisemblance. Toutefois, dans les faits actuellement constatés, rien n'établit ni ne tend à établir qu'une telle unité, non seulement soit près de se réaliser, mais soit seulement en voie de préparation entre les populations variées qui se partagent les territoires de l'Inde. Il paraît même probable que les facteurs de différenciation, de division, pour ne pas dire d'opposition mutuelle (race, religion, langues, intérêts matériels même, qui ne sont nullement semblables d'un bout de la Péninsule à l'autre) continueront, pendant une période indéfinie, de prévaloir sur ceux qui sont susceptibles d'agir dans le sens de l'unité. Comme pouvant opérer dans cette dernière direction ont été signalées surtout l'instruction occidentale et la presse mais il n'y a aucune raison pour que leur influence, comme principe d'unification, soit plus forte aux Indes qu'elle ne l'est en Europe, par exemple, ou ailleurs. Nous avons vu du reste qu'il n'existe pas à proprement parler de presse hindoue. Ce n'est là qu'une expression générale, abstraite, servant à désigner un ensemble varié, comprenant, en dehors des journaux en langue anglaise, les multiples séries de quotidiens ou de périodiques en bengali, en ourclou, en marathi, en goudjerathi, en tamoul, etc., etc.

En droit, il n'existe aucune raison en vertu de laquelle unité géographique et unité politique devraient partout et toujours coïncider. En fait, une telle concordance ne se rencontre pas plus dans l'Amérique du Sud (pratiquement une cependant, de Panama au cap Horn, au point de vue religieux, et où l'on ne rencontre guère que deux langues principales, d'ailleurs proches parentes l'une de l'autre) que dans la péninsule indo-chinoise, par exemple. De même, il y a des frontières à l'intérieur des péninsules scandinave et ibérique; or, cette dernière ne représente en superficie

qu'une faible fraction (moins d'un huitième) de la péninsule subhimalayenne. Quant à la péninsule balkanique, l'expression qui la désigne n'est-elle pas, dans le monde entier, synonyme de diversité, de multiplicité ethnique et politique?

Maintenir l'ordre public, faire régner la justice et la paix entre les populations variées qui se partagent les multiples régions comprises sous le nom général de l'Inde, tel est l'objectif que se sont proposé et que se proposent avant tout les représentants passés et actuels du régime britannique dans cette terre de merveilles, tant de fois envahie. La tâche est d'autant plus complexe que les différentes populations sont souvent étroitement entremêlées et entrelacées dans une même province, ou partie de province, parfois sur un espace fort peu étendu, comme dans les villes par exemple. Les moyens employés sont connus; les plus essentiels sont l'organisation et l'entretien de la police, l'apport de capitaux, la collaboration dans les entreprises industrielles et agricoles d'hommes doués de savoir et d'expérience techniques, enfin, l'institution d'écoles et la diffusion graduelle des connaissances occidentales. Ils ont incontestablement réussi, quels que soient les développements et les améliorations qu'ils comportent encore. Mais ce régime ne tend pas et ne saurait tendre à constituer en un véritable tout politique ces éléments si divers, si hétérogènes qui coexistent dans l'Inde. En présence de l'ensemble des conditions matérielles et morales qui se rencontrent dans cette immense Macédoine de l'« Orient moyen », la possibilité d'arriver à l'unité constitutionnelle paraît destinée à n'être jamais qu'un mirage. D'ailleurs, qu'importe, ou plutôt, devrait importer aux fils de la philosophie vedanta qui, depuis quinze ou vingt siècles, enseigne l'unité de l'être et le néant des phénomènes, la vanité des contingences du monde extérieur, celui-ci n'étant que le produit de Maya, l'illusion, autrement appelée Avidya, l'ignorance! Or « la doctrine vedanta est la première et la plus marquante construction de philosophie indienne, la croyance (creed) des Hindous intellectuels et la base des religions populaires hindoues. Les premiers germes de ce système se trouvent dans la partie Mantra des Védas (1) ».

(1) Encyclopædia britannica. 1880, vol. 24, p. 119. Cf. Grande Encyclopédie, art. de MM. Sylvain (Inde) et Mauss (Vedanta).

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