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On ne peut donc concevoir qu'une seule fin de non-recevoir contre l'exception proposée, ce serait l'acquiescement du plaideur à un règlement qu'il aurait librement exécuté, le sachant illégal (1). L'exception reçue, le juge examine au fond l'illégalité invoquée. II. Admission au fond. Je ne vois que trois cas d'illégalité qui se peuvent présenter l'incompétence, la violation des formes et la violation de la loi.

10 Il y a incompétence, quand le règlement d'administration publique a été pris par une autorité qui ne possède pas le pouvoir de faire de semblables actes généraux. Le cas pour être rare est cependant possible, car le législateur n'invite pas seulement le président à faire des règlements, mais il charge parfois de ce soin des maires et des préfets (2).

L'incompétence peut également résulter du dépassement par l'autorité compétente des pouvoirs limités par la loi qui a prescrit le règlement d'administration publique (3). C'est l'hypothèse la plus fréquente. Ainsi le Conseil d'État a déclaré illégal le décret du 10 août 1853 qui modifiait des règles de compétence et donnait à de nouvelles mesures de défense le caractère de faits de guerre, alors que la loi du 19 juillet 1851 avait seulement invité le pouvoir réglementaire à coordonner les dispositions antérieures (4). La Cour de cassation prononce la nullité de l'article 11 du règlement d'administration publique du 13 août 1889 donnant aux représentants légaux du mineur le droit de remplir les formalités nécessaires pour décliner la qualité de Français, alors que la loi du 26 juin 1889, en vertu de laquelle il est rendu, n'a pas prévu la renonciation à la qualité de Français pendant la minorité (5).

20 Violation des formes.

La violation des formes est plus rare.

(1) Cass. 4 déc. 1839, SIR. 40, 1, 50.

(2) Ex.: L. 24 juill. 1891, art. 7. Le Conseil d'État a cependant décidé que les règlements pris par le maire pour l'assainissement de Marseille bien que rendus sur l'invitation du législateur, ne changeaient pas de caractère et ne devenaient pas des règlements d'administration publique. C. d'Ét. 13 mai 1898, Gay, LEBON, p. 375.

(3) Voyez cependant d'anciens arrêts: C. d'Ét. 23 déc. 1845 et Cass. 10 juin 1844, SIR. 44, 1, 608. Mais la jurisprudence est aujourd'hui fixée en faveur de l'admis sion de ce cas d'incompétence : C. d'Ét. 13 mai et 20 déc. 1872, LEBON, p. 299 et 745; C. d'Ét. 8 juill. 1872, LEBON, p. 607, et 1er avril 1892, LEBON, p. 328.

(4) C. d'Ét. 13 janv. 1872, Brac, LEBON, p. 299, et Trib. confl. 11 janv. 1873, Coignet, suppl. p. 12.

(5) Cass. 26 juillet 1905, l'alz, I. c.

Les formalités dont les vices ou l'absence provoquent la nullité des règlements d'administration publique sont : 1o la consultation du Conseil d'État (1) en assemblée générale et non pas seulement en section; 2o la mention dans le visa « le Conseil d'État entendu »; 3o la publication, l'affichage ou la signification administrative du règlement vis-à-vis de ceux à qui il doit être appliqué.

Il faut remarquer que les formes que doit revêtir le règlement ne sont pas celles que postule son titre et que le visa déclare avoir été réalisées : ce sont celles que prescrit la loi et que le Conseil d'État s'arroge le pouvoir de vérifier.

Ainsi, il ne suffirait pas que le chef de l'État donnât à un acte le titre de règlement, sans y ajouter l'épithète : « d'administration publique », pour qu'il pût se passer de l'avis du Conseil d'État qu'a exigé le législateur en prescrivant un règlement d'administration publique. Par contre, si le Parlement a réclamé un règlement simple et que le président donne à son décret le titre de règlement d'administration publique sans avoir passé par le Conseil d'État, il n'y aura pas de nullité.

Le tribunal peut même vérifier si, en fait, les formes relatées comme accomplies dans le visa ont été effectivement remplies. On a dénié ce pouvoir au juge: il doit, a-t-on dit, s'arrêter à la forme extérieure et tenir pour vraie l'affirmation de l'auteur du règlement (2). Le Conseil d'État ne l'a pas pensé (3). Et en effet, le pouvoir réglementaire aurait par là un moyen d'éluder le contrôle auquel on le veut astreindre.

3o La violation de la loi enfin vicie le règlement d'administration. publique comme tout acte administratif. On entend par là l'atteinte portée non seulement à la loi qu'il complète, mais encore aux autres lois auxquelles, en tant qu'acte administratif, le règlement est subordonné.

Mais, à la différence du recours direct, la voie d'exception ne saurait se fonder sur le détournement de pouvoir, au moins quand elle est invoquée devant un tribunal judiciaire. Cette ouverture, en effet, dépasse le point de vue de la légalité stricte et il serait difficile à un tribunal judiciaire d'apprécier les motifs d'un acte administratif

(1) C. d'Ét. 14 juin 1844, SIR. 44, 1, 608.

(2) DEJAMME, Revue générale d'administration, 1893, I, (3) C. d'Ét. 6 janv. 1888, Salle, LEBON, p. 1.

p. 417.

sans porter atteinte à la séparation des autorités. A plus forte raison, l'exception d'illégalité ne saurait-elle se fonder sur l'inopportunité du règlement (1), dont l'appréciation doit être laissée à l'administration active.

III. Effets. - C'est également en fonction de l'indépendance respective des deux autorités que sont déterminés les effets de l'exception d'illégalité.

L'illégalité déclarée est essentiellement relative à l'affaire en cause et aux parties litigantes. Et, comme elle peut être invoquée cumulativement ou successivement devant des juridictions d'ordre différent et indépendantes, il en résulte des combinaisons diverses." Le tribunal judiciaire a reçu l'exception et déclaré le règlement attaqué illégal; un tribunal administratif peut rejeter l'exception et admettre la légalité du règlement. Le tribunal judiciaire, rejetant l'exception, a déclaré le règlement légal; le juge administratif peut en prononcer l'illégalité. Le tribunal administratif statuant le premier sur l'exception a affirmé la régularité du règlement, le tribunal judiciaire le peut proclamer irrégulier (2). Enfin, si le tribunal administratif a sur l'exception proposée déclaré le règlement illégal, le tribunal judiciaire peut juger qu'il est légal et l'appliquer. Nous verrons qu'il n'en serait pas de même en cas de décision du Conseil d'État prononcée sur recours pour excès de pouvoir, celle-ci ayant un effet général et absolu.

La relativité des effets de l'exception d'illégalité fait de celle-ci un moyen de contrôle inférieur aux recours. Déjà l'exception ne peut être proposée que dans un procès au fond, que l'administré doit intenter ou subir à ses frais. De plus, elle constitue une voie dangereuse elle l'est pour le contrevénant ou le plaideur qui a violé sciemment le règlement contre lequel il veut obtenir un arrêt, une jurisprudence affirmative d'illégalité, car le juge peut ne pas par

(1) Cass. 26 nov. 1886, Bull. crim., no 398; Cass. 10 mars 1877; Bull. crim., n° 95; Cass. 29 mai 1891, D. 93, 1, 135.

(2) M. Moreau adopte la solution contraire en déclarant que la décision du Conseil d'État a une portée universelle, op. cit., p. 266. Je n'aperçois pas de raison pour déroger ici à la règle de l'effet relatif de l'exception. M. Moreau invoque à l'appui de son affirmation un arrêt du Conseil d'État du 18 avril 1833, SIR. 33, 1, 372. Mais nous avons vu qu'à cette époque les tribunaux administratifs n'admettaient pas eux-mêmes le contrôle de la légalité des règlements et, d'autre part, l'espèce en cause était essentiellement politique, il s'agissait de biens nationalisés pendant la Révolution et revendiqués par le légataire universel d'un exproprié. REVUE D'ADM. TOME XCVI. — DEC. 1909

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tager son opinion et le condamner. Elle est dangereuse également pour les autres citoyens qui, forts d'une première décision d'illégalité, escomptent une décision identique de la part des autres juges et à plus forte raison des mêmes juges. Mais l'effet de la chose jugée relatif à l'espèce et aux parties en cause laisse toujours la porte ouverte à des jugements différents de la part d'autres juges ou même du premier tribunal qui a statué, vis-à-vis d'autres parties ou même des premières parties en cause.

Au contraire, le recours direct en annulation, étant donnés les dispenses d'avocat et de frais et l'enregistrement en débet dont il bénéficie, est à la portée de tous les citoyens. Il n'offre aucun danger pour le requérant, qui n'expose que des frais d'enregistrement. Il aboutit à une décision qui produit un effet absolu erga omnes, mettant à néant à l'égard de tous les juges et de toutes les parties, le règlement attaqué. C'est ce recours qu'il nous faut maintenant. étudier dans la mesure où il s'applique aux règlements d'administration publique.

(A suivre.)

Henry NÉZARD,

Professeur agrégé de droit public

à l'Université de Caen.

LA VILLE ET L'ÉTAT

Dans une précédente étude, La France d'aujourd'hui et la France de demain (1), j'ai montré les dangers que fait courir à notre pays son excessive centralisation. Il me paraît utile de revenir sur ce sujet, de le développer, de montrer que je n'ai rien exagéré, que le mal est grand, et que la France, qui en souffre, ne peut invoquer aucun exemple pour justifier un régime qui tend à détruire toutes les énergies d'un peuple. Si donc j'étudie aujourd'hui La Ville et l'État, il sera entendu que je parle d'une seule ville et que je prends ce mot dans ce sens que les Romains donnaient à leur mot Urbs, la ville par excellence, Rome. Je me propose d'étudier de quel poids l'Urbs française pèse sur la nation dans les diverses fonctions de l'activité politique et sociale, et comment se trouve ainsi, pour notre plus grand malheur, paralysée cette activité.

CHAPITRE I

Administration générale

Il existe deux moyens principaux d'administrer un grand État : ou bien les provinces sont soumises à des gouverneurs, vice-rois, satrapes, proconsuls investis de pouvoirs étendus et qui, la plupart du temps, agissent sans en référer au gouvernement central; ou bien les diverses parties de la nation jouissent d'une autonomie plus ou moins grande, s'administrent à peu près elles-mêmes. Le premier système est celui de la Perse, de la Turquie, de l'ancienne Rome, de l'Espagne lorsque le soleil ne se couchait par sur les États espagnols; il est encore pratiqué de nos jours en Russie. Le second régime est celui de la Grande-Bretagne et de ses colonies, de la Suisse, des États-Unis et de la plupart des républiques américaines. Dans le premier cas, l'État est uni et réellement centralisé; mais, le prince ou le chef ne pouvant être présent partout à la fois,

(1) Nouvelle édition, Berger-Levrault et Cie, 1908.

ses

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