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cas, pour le département ou la commune, de saisir le conseil de préfecture, par application de l'article 4 de la loi du 28 pluviôse an VIII (1). Toutefois, ce tribunal, compétent pour allouer une indemnité à titre de réparation du préjudice causé, excéderait ses pouvoirs s'il prescrivait l'exécution de travaux pour faire cesser le dommage, ou s'il apportait des modifications à un projet qui a été régulièrement approuvé par le ministre des travaux publics, en ordonnant, par exemple, le rétablissement de la route déviée (2).

Cette jurisprudence, qui refuse au département ou à la commune tout droit à indemnité, à raison d'un allongement de parcours, lorsque la déviation a été régulièrement exécutée par la compagnie de chemin de fer, ne nous paraît pas à l'abri de tout reproche.

<< Il semble, dit avec raison M. Aucoc (3), qu'on n'aurait contredit ni les termes ni l'esprit du cahier des charges, et qu'on se serait conformé davantage à l'équité en décidant que la commune pourrait avoir droit à indemnité, non pas dans tous les cas de déplacement ou de modification d'inclinaison des rampes, mais dans le cas où la longueur du nouveau chemin lui impose, pour l'entretien, une charge plus considérable que celle qu'elle avait à supporter avec l'ancien chemin. »>

Lorsque la charge de l'entretien est aggravée, il est incontestable qu'il en résulte, pour le département ou la commune, un préjudice direct et immédiat qui se traduit par une augmentation de dépense (4). Il serait donc de toute équité qu'une indemnité permît la réparation du dommage causé. Les travaux publics jouissant de privilèges considérables, il est naturel qu'à titre de compensation ils soient soumis à des obligations exceptionnelles. Sans doute, le cahier des charges des compagnies de chemins de fer autorise le ministre des travaux publics à déplacer les voies publiques communales ou départementales traversées par la voie ferrée. Mais il

(1) Voir C. d'Ét., 26 novembre 1880, Compagnie de chemin de fer d'Orléans, Recueil, etc., 1880, p. 944; 16 juin 1882, Compagnie de chemin de fer d'Orléans, Recueil, etc., 1882, p. 591.

(2) Voir C. d'Ét., 30 juillet 1863, commune de Saint-Cyr, Recueil, etc., 1863, p. 607.

(3) Voir Aucoc, Conférences sur l'administration et le droit administratif, 2o éd., III, no 1481. Dans le même sens, voir FÉRAUD-GIRAUD, Voies publiques et privées modifiées par les chemins de fer. p, 368.

(4) Voir CHRISTOPHLE, Traité des travaux publics, 2o éd., II, no 2380.

n'ajoute nullement que ce sera sans indemnité. Et, comme le droit du ministre est exceptionnel, il y a lieu de décider que toutes les questions pour lesquelles le cahier des charges est muet seront tranchées d'après les principes généraux du droit. On prétend, il est vrai, que le droit du ministre résulte de sa qualité de grand voyer et non du cahier des charges qui se borne simplement à la rappeler. Mais, alors même qu'il en serait ainsi, cela ne prouverait pas que le département ni la commune doivent supporter sans indemnité une déviation qui leur est préjudiciable. La qualité de grand voyer peut d'ailleurs être fort justement contestée, car elle ne repose sur aucun texte précis. Elle est même en contradiction avec nos lois actuelles, qui attribuent aux conseils généraux et aux conseils municipaux des pouvoirs très étendus sur les routes départementales et communales.

Quoi qu'il en soit, aux termes de cette jurisprudence, toute demande d'indemnité devrait être rejetée au fond. Mais quel serait, dans ce cas, le tribunal compétent ?

La cour d'appel de Lyon, dans un arrêt du 31 mars 1886 (1), soutient qu'on est en présence d'une dépossession dont la connaissance doit appartenir à l'autorité judiciaire, par application de la loi du 3 mai 1841 sur l'expropriation pour cause d'utilité publique. Mais ce point de vue n'a pas prévalu en jurisprudence, et avec raison. Le tribunal des conflits, saisi de la difficulté, s'est en effet prononcé, par décision du 3 juillet 1886 (2), en faveur de la compétence administrative; car il n'y a pas, à proprement parler, cession ni expropriation, mais déplacement d'une voie publique. En fait, le département ou la commune reçoit, en échange de la partie incorporée, un tronçon nouveau destiné à maintenir la continuité de la route. Il s'agit donc d'un dommage résultant d'un travail de modification. de la voirie, c'est-à-dire d'un travail públic, qu'il y a lieu d'attribuer au conseil de préfecture en vertu de l'article 4 de la loi du 28 pluviôse an VIII.

(1) DALL., 1887, 1, 180.

Albert Roux,

Docteur en droit,

Vice-président du conseil de préfecture du Var,

(2) Recueil, etc., 1886, p. 577.

JURISPRUDENCE

CONSEIL D'ÉTAT AU CONTENTIEUX

PENSIONS CIVILES.

FONDS COMMUNAUX.
PENSION DE L'ÉTAT.

(8 mai 1908)

SUPPLÉMENT DE TRAITEMENT PAYÉ SUR DES
ADMISSION DANS LA LIQUIDATION D'UNE

Pour le calcul du traitement moyen des six dernières années, qui doit servir de base au calcul d'une pension civile, et par voie de conséquence à l'application des maxima déterminés par le tableau no 3 annexé à la loi du 9 juin 1853, on doit faire entrer en compte les allocations payées par une commune à un fonctionnaire de l'État si ces allocations ont pour caractère essentiel d'être la rémunération d'un service réglementaire prévu par les textes organiques.

M. de Colonjon, ancien directeur de l'enregistrement et du timbre du département de la Seine, a demandé au Conseil d'État l'annulation d'un décret en date du 25 juin 1907, qui ne lui avait accordé qu'une pension de 5.000 francs calculée sur son traitement moyen de 12.000 francs pendant ses six dernières années d'exercice. Il exposait qu'il avait touché, au cours des années 1904 et suivantes, certaines allocations supplémentaires provenant de la répartition d'un prélèvement de 75 centimes % sur les taxes additionnelles aux droits d'enregistrement perçus pour le compte de la ville de Paris, en vertu de la loi du 31 décembre 1900, par les agents de l'enregistrement, allocations qui lui avaient été attribuées, suivant les termes mêmes de la dépêche du 12 août 1902, à titre de « supplément de traitement fixe». Ainsi, ces allocations rentraient bien dans la catégorie des allocations prévues à l'article 3 de la loi du 9 juin 1853; elles étaient d'ailleurs passibles de retenue et devaient par‍ suite être comprises dans le calcul du traitement moyen. Or, le traitement du requérant étant ainsi supérieur à 12.000 francs, la liquidation de sa pension ne devait pas être ramenée au maximum de 5.000 francs prévu par le tableau no 3, section III, annexé à

l'article 7 de la loi du 9 juin 1853, qui arrête à ce chiffre la pension des fonctionnaires non compris dans l'énumération des autres tableaux et ayant un traitement inférieur à 12.001 francs.

Le ministre des finances a conclu au rejet du pourvoi en faisant valoir que les allocations touchées par le requérant n'avaient point le caractère d'un supplément de traitement fixe, qu'elles étaient d'ailleurs versées par la ville de Paris et ne pouvaient, en conséquence, être comprises dans le calcul du traitement moyen servant de base à la liquidation d'une pension de l'État.

Le Conseil d'État a accueilli le recours par l'arrêt suivant :

Vu les lois des 9 juin 1853 et 13 décembre 1900;
Vu le décret du 9 novembre 1853;

Considérant qu'il résulte des dispositions combinées des articles 3 et 4 de la loi du 9 juin 1853 et de l'article 21 du décret du 9 novembre 1853 que toutes les sommes qui sont payées aux fonctionnaires à titre de traitement fixe ou éventuel, de préciput, de supplément de traitement, de remises proportionnelles, de salaires, ou qui constituent à tout autre titre un émolument personnel, sont indistinctement passibles de retenue; Sans qu'il y ait lieu de rechercher si ces allocations sont payées sur les fonds de l'État ou sur des fonds autres que ceux de l'État, qu'elles doivent par suite être comptées dans le calcul du traitement moyen, d'après lequel est liquidée la pension du fonctionnaire dès qu'elles ont pour caractère essentiel d'être la rémunération d'un service réglementaire prévu par les textes organiques;

Considérant que la loi du 31 décembre 1900 a autorisé la ville de Paris à percevoir, en remplacement des droits sur les boissons hygiéniques, certaines taxes additionnelles aux droits d'enregistrement; qu'en vertu de l'article 10 de ladite loi la perception de ces taxes est confiée à l'administration de l'enregistrement et que, pour assurer l'application de ces dispositions, le préfet de la Seine a pris, en exécution de la délibération du conseil municipal de Paris du 30 juin 1902, un arrêté en date du 25 juillet 1902, par lequel il fixait à 0,75 % l'ensemble des indemnités à allouer aux agents de l'enregistrement pour le recouvrement de ces taxes, la somme ainsi prélevée devant être répartie entre les différents agents suivant un état dressé par la direction générale de l'enregistrement;

Considérant qu'il a été attribué par l'état de répartition dressé conformément aux instructions du ministre des finances, au sieur de Colonjon, qui jouissait déjà d'un traitement de 12.000 francs, en tant que directeur de l'enregistrement du département de la Seine, une allocation de 100 francs pour les années 1904 et suivantes; que ladite allocation constituait la rémunération d'un service réglementaire prévu par l'article 10 de la loi du 31 décembre 1900; que nonobstant la qualification d'indem

nité qui lui était donnée par l'arrêté préfectoral du 25 juillet 1902, elle avait, suivant les termes mêmes de la dépêche ministérielle du 12 août 1902, le caractère d'un supplément de traitement fixe; que par suite elle était passible de retenues et devait être comptée dans le calcul du traitement moyen, d'après lequel la pension du requérant aurait dû être liquidée; ; que ce traitement dépassant ainsi le chiffre de 12.000 francs, le sieur de Colonjon est fondé à soutenir que le maximum de 5.000 francs prévu par l'article 7, section III de la loi du 9 juin 1853 ne lui était pas applicable;

Décide :

ART. 1. Le décret du 25 juin 1907 est annulé.

ART. 2. Le sieur de Colonjon est envoyé devant le ministre des finances pour être procédé à la liquidation de la pension à laquelle il a droit.

D'après l'article 3 de la loi du 9 juin 1853 sur les pensions civiles de l'État, les fonctionnaires et employés directement rétribués par lui, subissent une retenue de 5% sur les sommes payées à titre de traitement fixe et éventuel, de préciput, de supplément de traitement, de remises proportionnelles, de salaires, ou constituant à tout autre titre un émolument personnel.

D'autre part, aux termes de l'article 4, ont droit à pension et supportent sur leur traitement et leurs différentes rétributions la retenue déterminée par l'article 3, les fonctionnaires et employés qui, sans cesser d'appartenir au cadre permanent d'une administration publique, et en conservant leur droit à un avancement hiérarchique, sont rétribués en tout ou en partie sur les fonds départementaux et communaux, sur les fonds des compagnies concessionnaires et même sur les remises et salaires payés par les particuliers.

Il résulte des dispositions combinées de ces deux articles que, pour avoir droit à une pension de l'État calculée sur l'ensemble de leurs rétributions, les fonctionnaires doivent 1° faire partie du cadre d'une administration de l'État, conserver leurs droits à l'avancement hiérarchique et recevoir des départements, des communes, des compagnies concessionnaires ou même des simples particuliers, soit la totalité de leur traitement, soit une partie seulement, à la condition que la partie payée sur d'autres fonds que ceux de l'État

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