Page images
PDF
EPUB

C'est la seconde de ces deux thèses également favorables à l'admission du recours pour excès de pouvoir qu'a admise la juridiction administrative.

* *

D'après l'arrêt du 6 décembre 1907, les règlements d'administration publique sont rendus en vertu d'une délégation législative, mais ils n'échappent pas au recours en annulation qui, aux termes de l'article 9 de la loi du 24 mai 1872, est ouvert contre les actes des diverses autorités administratives:

« Considérant, dit l'arrêt, qu'aux termes de l'article 9 de la loi du 24 mai 1872, le recours en annulation est ouvert contre les actes des diverses autorités administratives;

<«< Considérant que, si les actes du chef de l'État portant règlement d'administration publique sont accomplis en vertu d'une délégation législative et comportent, en conséquence, l'exercice dans toute leur plénitude des pouvoirs qui ont été conférés par le législateur au gouvernement dans ce cas particulier, ils n'échappent pas néanmoins, et à raison de ce qu'ils émanent d'une autorité administrative, aux recours fixés par l'article 9 précité; que, dès lors, il appartient au Conseil d'État, statuant au contentieux, d'examiner si les dispositions édictées par le règlement d'administration publique. rentrent dans les limites de ces pouvoirs... »

Ainsi, le Conseil d'État, d'une part, persiste dans sa thèse antérieure en attribuant au règlement d'administration publique le caractère d'un acte législatif accompli sur délégation du Parlement et, d'autre part, cependant, se ralliant à la théorie formelle de la recevabilité des recours, il reçoit le recours pour excès de pouvoir contre l'acte réglementaire parce que celui-ci a pour auteur une autorité administrative.

Cette solution est parfaitement logique. Elle évite les contradictions flagrantes dans lesquelles se débattait la jurisprudence antérieure. Le Conseil d'État qui, au même titre que les autres juridictions, se reconnaissait la faculté de déclarer l'illégalité d'un règlement dont on lui demandait d'assurer l'application, ne pouvait plus longtemps se refuser à examiner cette légalité sur recours direct. De plus, déclarant que toutes les mesures d'exécution d'un rè

glement illégal étaient susceptibles d'être attaquées directement devant lui, il ne pouvait persister à déclarer le règlement lui-même inattaquable. L'esprit simpliste et pratique de la procédure administrative, esprit qui assure sa supériorité sur la procédure judiciaire, protestait tout entier contre ces complications et devait amener la haute juridiction administrative à trancher par un seul arrêt déclaratif de nullité les multiples procès de légalité qui pouvaient se renouveler sous la forme d'exception ou de recours contre une mesure d'exécution.

La jurisprudence nouvelle présente des avantages considérables. D'une part, l'exception d'illégalité, quoi qu'on en ait dit, est, nous le verrons, une voie de droit très imparfaite, coûteuse, dangereuse ne produisant que des effets relatifs; le recours pour excès de pouvoir produit au contraire sans frais et sans danger pour le requérant des effets absolus. D'autre part, la recevabilité du recours direct était d'autant plus nécessaire que les règlements se multiplient à l'infini et que, leur réseau étant plus serré que celui des lois, en fait les règlements sont plus souvent appliqués que les lois. Cet appel de plus en plus fréquent du législateur au pouvoir réglementaire n'est légitime et sans danger que si les règlements sont soumis moins au contrôle vague et incertain des Chambres qu'à celui plus positif et plus juridique du Conseil d'État.

C'est donc une heureuse solution que nous a donnée le Conseil d'État dans son arrêt de 1907.

Mais les motifs sur lesquels elle est fondée ne paraissent pas lui assurer une base définitive et en tout cas très solide.

L'arrêt du 6 décembre 1907 considère toujours le pouvoir réglementaire comme une délégation de la fonction législative donnée par les Chambres au Président. Or, les termes de cet arrêt, qui renverse une jurisprudence séculaire, ont dû être mûrement pesés et la persistance de l'idée de délégation est ici d'autant plus significative que le commissaire du gouvernement, M. Tardieu, l'avait dans ses conclusions formellement condamnée. Nous avons vu ce qu'il fallait penser de cette conception, bien qu'elle n'entraîne point l'irrecevabilité du recours direct. Peut-être faut-il voir dans cette rédaction

une manifestation de la tactique prudente du Conseil d'État qui ne s'achemine que progressivement vers des solutions définitives, qui n'a pas voulu renverser complètement sa doctrine sur ce point,

puisque ce n'était pas nécessaire pour atteindre le but poursuivi, et qui a entendu réserver, le cas échéant, la liberté pour le Législatif d'étendre la compétence de l'Exécutif? Peut-être aussi cette rédaction présente-t-elle un avantage : dire que le règlement est un acte législatif matériel et admettre qu'un tribunal peut contrôler la régularité de cet acte, n'est-ce pas marcher vers le contrôle de la constitutionnalité de l'acte législatif formel?

Ces considérations cependant ne sont pas décisives. S'il n'y a pas contradiction entre l'affirmation du caractère législatif de l'acte et la recevabilité du recours qui ne dépend que de la qualité de l'auteur, du moins cette conception laisse-t-elle la porte ouverte aux dangers signalés de l'abdication du Législatif. Elle n'est même pas indispensable à l'extension du pouvoir réglementaire dans l'hypothèse où la loi, ne fixant pas tous les principes de la matière, invite le Président à rendre un règlement d'administration publique. Nous avons vu en effet qu'il n'y avait pas de distinction absolue entre les matières législatives et les matières réglementaires, hormis certaines mesures réservées à la loi. Le Parlement peut renoncer à légiférer sur des rapports entre individus et inviter le chef de l'État à les réglementer par des mesures générales de police. Il n'est pas nécessaire pour maintenir cette pratique de faire appel à l'idée de délégation puisque le Président ne pourra jamais dans son règlement porter une atteinte grave à des droits individuels, à la liberté, à la propriété, à la sûreté individuelle par l'établissement de peines, d'impôts, de servitudes ou de juridictions extraordinaires.

D'autre part, il y a loin du contrôle des règlements à celui de la loi dans une théorie formelle des recours, un abime sépare l'examen de l'acte d'un agent administratif subordonné au Parlement de celui d'une loi votée par les Chambres.

Quoi qu'il en soit, un résultat positif est atteint dès aujourd'hui. Il n'y a plus désormais de raison pour que le recours pour excès de pouvoir ne s'étende pas à d'autres règlements rendus également sur une invitation du Parlement, invitation non plus spéciale, mais générale et permanente, à savoir les décrets-lois relatifs aux colonies. Le sénatus-consulte du 3 mai 1854 donne compétence au chef de l'État pour légiférer dans les nouvelles colonies. Ce sénatus-consulte a perdu sa force constitutionnelle depuis 1870. Mais, suivant une théorie connue, il a conservé sous le nouveau régime une valeur NOVEMBRE 1909

REVUE D'ADMIN. TOME XCVI.

19

législative le Conseil d'État devra donc considérer l'article 18 de ce sénatus-consulte comme conférant au gouvernement une délégation législative permanente. Mais comme l'auteur du décret colonial demeure une autorité administrative, il n'y a, à raison de la nature de l'acte, pas plus de fin de non-recevoir contre les règlements coloniaux que contre les règlements d'administration publique (1). Si le Parlement a décidé qu'une loi formelle s'appliquerait à la colonie, le président de la République, autorité subordonnée, ne peut édicter dans un décret une disposition contraire à celle de la loi formelle les sanctions de cette prohibition, ce sont non seulement l'exception d'illégalité, mais encore le recours pour excès de pouvoir. La jurisprudence admet l'exception d'illégalité; elle l'a même consasacrée lorsque le sénatus-consulte avait un caractère constitutionnel le Conseil d'État, par un arrêt du 28 février 1866, a jugé que le décret du 2 avril 1854, portant que les contestations sur le partage des biens devaient être portées au conseil de préfecture était illégal comme édicté en violation de l'article 13 de la loi du 16 juin 1851 qui, pour ces actions, donne compétence au tribunal civil (2). La Cour de cassation, depuis que le sénatus-consulte n'a plus que force. législative, a reçu, bien que rejeté au fond, l'exception d'illégalité dirigée contre les décrets des 27 mars et 28 mai 1902 qui ont organisé en Algérie une nouvelle juridiction répressive pour les indigènes et qu'on prétendait contraires à la loi organique du 30 août 1883 sur la magistrature, loi appliquée à l'Algérie (3).

Le Conseil d'État, rejetant sa jurisprudence antérieure (4), devra donc déclarer recevable le recours pour excès de pouvoir contre les règlements coloniaux qui, à ses yeux, n'ont pas une nature autre que celle des règlements d'administration publique.

(A suivre.)

Henry NÉZARD,
Professeur agrégé de droit public

à l'université de Caen.

(1) Cf. Michoud, sous Alger, 5 mars 1894, SIR. 96, 2, 89.

(2) C. d'Ét. 28 févr. 1866, Hachette, SIR. 66, 3, 371. Cf. C. d'Ét. 28 mai 1868, Menouillard, DALL. 71, 3, 87, et SIR. 69, 2, 158.

(3) Cass. 28 août 1902, SIR. 03, 1, 489 et note Roux; 11 sept. et 31 oct. 1902, SIR. 03, 1, 490; 15 nov. 1902 et 5 févr. 1903, SIR. 03, 1, 491.

(4) C. d'Ét. 16 nov. 1394, Conseil général de la Nouvelle-Calédonie, LEBON, p. 593.

DES DÉLAISSÉS ET DES INCORPORÉS

EN MATIÈRE DE CHEMIN DE FER

AU POINT DE VUE DE LA COMPÉTENCE

Il importe de distinguer, au point de vue de la compétence, le cas où une voie ferrée est déplacée et celui où elle emprunte, pour son établissement, le sol d'une route départementale ou communale.

*

En cas de déplacement d'une voie ferrée, si les parties de l'ancienne route restées sans emploi, les délaissés, comme on les appelle, font l'objet d'un litige entre l'État et la compagnie de chemin de fer, l'autorité administrative doit être déclarée compétente à l'exclusion de l'autorité judiciaire. Car la question qui se pose dépend uniquement de l'interprétation de la concession de travaux publics, et, par suite, il y a lieu d'appliquer la règle spéciale de compétence édictée par l'article 4 de la loi du 28 pluviose an VIII (1).

(1) Voir Cass., 24 août 1870, Compagnie de chemin de fer du Midi, préfet de la Gironde, DALL., 1871, I, 161, et la note; 1er février 1871, Compagnie de chemin de fer du Midi, préfet de Lot-et-Garonne, DALL., 1872, 1, 69; C. d'Ét., 26 janvier 1870, Compagnie de chemin de fer P.-L.-M., Recueil des arrêts du Conseil d'Etat, 1870, p. 37; 16 mai 1872, ministre des finances, Compagnie de chemin de fer de l'Est, Recueil, etc., 1872, p. 314; 13 février 1903, Compagnie de Paris à Orléans, Recueil, etc., 1903, p. 143; Conseil de préfecture de la Seine, 14 juillet 1870, Compagnie de chemin de fer du Nord, l'État, DALL., 1872, 3, 34; en doctrine, voir DALLOZ, Code des lois politiques et administratives, III, vo Voirie, no 11042; FUZIERHERMAN, Répertoire général alphabétique du Droit français, X, vo Chemin de fer. no 6175; FÉRAUD-GIRAUD, Code de la séparation des pouvoirs, I, p. 86.

« PreviousContinue »