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au fusil et la chasse au chien (DALLOZ, Jur. gén., t. VIII, p. 94, nos 49 et 50); qu'en outre, lors de la discussion à la Chambre des députés, M. Lenoble, rapporteur, a répondu affirmativement à une question de M. Delespaul, demandant « s'il était dans la pensée des auteurs de la loi d'interdire la faculté de chasser soit au faucon, soit à l'autour, soit à l'épervier, soit enfin à l'un des oiseaux de proie dont on se servait dans les temps anciens pour la chasse au vol» (Op. cit., vo Chasse, n 183);

Attendu, dans ces conditions, qu'il n'est pas vrai de dire, comme l'a fait plaider R..., que le texte de l'article 9 présente quelque ambiguïté, et que des doutes peuvent s'élever sur sa portée; qu'au surplus, il est impossible d'arguer du silence de la loi dans une matière où, par exception à la règle générale, ce n'est pas tout ce qui n'est pas défendu qui est permis, mais, au contraire, tout ce qui n'est pas expressément autorisé qui se trouve « formellement prohibé »>;

Attendu, enfin, que le tribunal, régulièrement saisi par l'action du ministère public, ne saurait s'arrêter à cette circonstance, invoquée › par R..., et d'ailleurs non vérifiée, que, depuis la mise en application de la loi de 1844, aucune poursuite n'aurait été exercée pour chasse au vol, l'absence de poursuites ne pouvant avoir pour effet de rendre licite ce qui ne l'est pas;

Attendu qu'il n'y a pas lieu non plus, pour le tribunal, en présence des faits de la cause et des termes de la citation, de rechercher, ainsi qu'y conclut subsidiairement R..., si l'arrêté du préfet de l'Oise, du 19 août 1907, autorise l'emploi du faucon pour la destruction des animaux malfaisants ou nuisibles; que cette question n'aurait pu être utilement soulevée par le prévenu que si, dans le fait qui motive la poursuite dont il est l'objet, il avait agi en l'une des qualités requises pour être admis à procéder, dans les conditions déterminées par l'arrêté préfectoral, à la destruction des animaux malfaisants ou nuisibles; que les seules personnes pouvant invoquer cet arrêté et par suite être exposées à y contrevenir, sont, d'une part, les propriétaires, possesseurs ou fermiers et leurs ayants droit; d'autre part, les détenteurs du droit de chasse;

Attendu, il est vrai, qu'à l'appui de sa prétention, R... a versé aux débats deux pouvoirs des cultivateurs W... et T..., l'autorisant à détruire, sur leurs terres, les corbeaux et autres oiseaux nuisibles, lesdits pouvoirs datés respectivement des 3 et 5 avril 1908, mais non encore revêtus du visa du sous-préfet au 15 avril;

Mais, attendu que le tribunal n'a pas, en l'espèce, à faire état de ces pouvoirs ni à en apprécier la validité, puisqu'il est constant que ce n'est, ni sur les terres de T..., qui n'en possède d'ailleurs aucune sur Margnylès-Compiègne, ni sur l'une des parcelles cultivées par W..., sur le territoire de cette commune, que le fait de chasse incriminé a été commis; que le procès-verbal des gardes champêtres B... et T..., et les explications qu'ils ont fournies à l'audience ne permettent aucun doute à cet égard;

que, vainement, R... affirme avoir lancé le faucon sur une terre appartenant à W...; que cette affirmation, qui n'est étayée d'aucun témoignage, ne peut avoir pour effet d'ébranler la foi due à un procès-verbal régulier; Que les deux gardes ont nettement déclaré avoir vu lancer le faucon sur une terre affermée à L...; qu'il est indifférent que, n'ayant pu s'approcher plus tôt de R...: ils ne l'aient interpellé qu'au moment où, prétend-il, il cherchait à reprendre l'oiseau de proie; qu'en effet, cette circonstance ne saurait en rien infirmer la valeur des constatations par eux faites;

Sur le second chef de la prévention :

Attendu que les prévenus ne justifient ni du consentement de L... ni de celui des autres cultivateurs de Margny, sur les terres desquels s'est déroulé l'acte de chasse illicite auquel ils ont procédé de concert, le 15 avril, dans les circonstances susindiquées; qu'ils sont donc, en outre, convaincus d'avoir commis conjointement le délit de chasse sur le terrirain d'autrui;

Qu'il résulte, d'autre part, tant du procès-verbal et des déclarations des gardes champêtres que d'une enquête faite par la gendarmerie, le 17 juin, auprès des cultivateurs intéressés, que les terres dont s'agit étaient alors ensemencées; que c'est donc à bon droit que la prévention a relevé contre R... et F... la circonstance aggravante prévue par le paragraphe 2 de l'article 11 de la loi du 3 mai 1844, des terres ensemencées c'est-à-dire chargées de fruits en croissance, étant sans conteste des terres non dépouillées de leurs fruits; que tous les cultivateurs entendus par la gendarmerie ont d'ailleurs déclaré que le passage des délinquants sur leurs terres leur avait causé un certain dommage;

Attendu que cette circonstance justifie en même temps la poursuite d'office exercée par le ministère public, conformément au paragraphe 2 de l'article 26 de la même loi; qu'il y a donc lieu de faire aux prévenus, pour les deux délits de chasse établis à leur charge, l'application des articles visés dans la citation;

Attendu qu'en cas de conviction de plusieurs délits prévus par la loi sur la police de la chasse, la peine la plus forte doit, aux termes de l'article 17, être seule prononcée;

Par ces motifs,

Faisant application aux deux prévenus des articles 12-§ 2, 9, 11-§ 2, 17-§ 1 et 27 de la loi du 3 mai 1844, condamne R... et F..., chacun et solidairement, en 50 francs d'amende; les condamne, en outre, tous deux solidairement aux dépens.

TRIBUNAL CIVIL DE LA SEINE
(30 juin 1908.)

PROPRIÉTÉ LITTÉRAIRE.
PROPRIÉTÉ

LETTRES INÉDITES DE PROSPER MÉRIMÉE.
BIBLIOTHÈQUES PUBLIQUES. MANUSCRITS DÉPOSÉS.

DE L'ÉTAT. PORTÉE. ÉCRITS DE FONCTIONNAIRES PRIS EN CETTE
QUALITÉ.

Si, en principe, les lettres missives appartiennent matériellement aux destinataires, elles n'en sont pas moins intellectuellement la propriété exclusive de leurs auteurs, leur vie durant, et de leurs héritiers légataires ou donataires pendant une durée de cinquante ans après leur décès, d'où il suit qu'elles ne sauraient être publiées sans l'autorisation soit de l'auteur, soit de ceux qui le représentent.

Si, aux termes du décret du 20 février 1809, les manuscrits des bibliothèques nationales, départementales et communales sont la propriété de l'État et ne peuvent être imprimés et publiés sans autorisation, il n'en résulte nullement que tout dépôt de manuscrit dans ces bibliothèques ait pour effet d'en enlever la propriété à l'auteur.

Le droit de l'État, qui a été inspiré, ainsi qu'en témoignent les travaux préparatoires, par une idée de censure préventive et en vue de la conservation des secrets de l'État, ne s'applique en effet qu'aux écrits faits pour l'État par ses fonctionnaires ou ses agents, dans l'exercice de leurs fonctions ou de leur mandat. L'autorisation donnée à l'auteur d'un ouvrage de puiser dans les bibliothèques publiques des lettres incorporées ensuite dans ledit ouvrage, ne saurait donc suffire à elle seule quand les droits de l'auteur des lettres ou de ses représentants subsistent encore. Cette autorisation suffit au contraire en cas d'abandon tacite de ses droits par l'auteur des lettres. 3

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Dans cette affaire, la question qui se posait pour le tribunal était de savoir si Mme Hémon, agissant comme héritière des droits d'auteur de Prosper Mérimée, pouvait ou non réclamer des dommages et intérêts à M. Chambon, bibliothécaire de l'Université, à raison de la publication, au cours de son livre intitulé Notes sur Prosper Mérimée, d'un certain nombre de lettres inédites du grand écrivain, lettres remises par les destinataires eux-mêmes au défendeur ou puisées par lui, avec l'autorisation de l'État, dans les bibliothèques publiques.

Voici comment le tribunal vient de statuer, conformément aux conclusions de M. le substitut Scherdlin :

Le Tribunal,

Attendu que, dans un volume intitulé: Notes sur Prosper Mérimée, Chambon a publié un grand nombre de lettres inédites adressées par Prosper Mérimée à ses amis, en même temps que plusieurs rapports écrits par lui en qualité d'inspecteur des monuments historiques et de nombreuses citations extraites des correspondances déjà mises au jour; que la dame Hémon, légataire de Mrs Eiver, cette dernière elle-même

légataire de Prosper Mérimée conjointement avec sa sœur, Miss Lydan, prétend qu'ayant, en cette qualité, la propriété des œuvres de Mérimée, elle était seule en droit d'autoriser la publication de lettres inédites de cet écrivain, conformément aux articles 1 et 2 de la loi du 19 juillet 1793, complétée par la loi du 14 juillet 1866; et qu'elle a assigné Chambon, comme ayant fait la publication ci-dessus au mépris desdits droits, en paiement d'une somme de 5.000 francs à titre de dommages-intérêts;

Attendu que Chambon résiste à cette demande en prétendant: 1o que Mérimée, d'une façon générale, a fait abandon de ses droits de propriété littéraire sur sa correspondance, et qu'en tout cas il n'a pas réservé expressément ses droits; 2o qu'en ce qui concerne diverses lettres dont les originaux ont été déposés par les destinataires dans les bibliothèques publiques, le droit de reproduction en appartient à l'État seul en vertu du décret du 20 février 1809, lequel décide que les manuscrits déposés dans les bibliothèques et archives publiques deviennent la propriété de l'État et ne peuvent être publiés sans son autorisation et qu'il en a eu l'autorisation;

En ce qui concerne la correspondance en général (sans intérêt direct au point de vue administratif);

En ce qui concerne les lettres déposées dans les bibliothèques publiques :

Attendu que si, aux termes du décret du 20 février 1809, les manuscrits des bibliothèques nationales, départementales et communales sont la propriété de l'État et ne peuvent être imprimés et publiés sans autorisation, il n'en résulte nullement que tout dépôt d'un manuscrit, d'un ouvrage dans ces bibliothèques ait pour effet d'en enlever la propriété à l'auteur; que ce décret, qui a été inspiré, ainsi qu'on le voit d'après les travaux préparatoires, par une idée de censure préventive et en vue de la conservation des secrets de l'État, ne s'applique en effet qu'aux écrits faits pour l'État par les fonctionnaires de l'État ou ses agents dans l'exercice de leurs fonctions ou de leur mandat; qu'en conséquence, l'autorisation donnée à Chambon de puiser dans les bibliothèques publiques les lettres de Mérimée qu'il a incorporées dans son livre ne saurait suffire dans le cas où les droits de Mérimée ou de ses représentants subsisteraient sur ces lettres;

Mais, attendu que, par les mêmes motifs que ci-dessus, Mérimée doit être considéré comme ayant abandonné sur ses lettres déposées dans les bibliothèques, comme sur toute sa correspondance, son droit de propriété littéraire;

Attendu qu'en conséquence de tout ce qui vient d'être dit, la dame Hémon, qui n'a pas plus de droits que son auteur, ne peut réclamer des dommages-intérêts à raison d'une publication pour laquelle Chambon n'avait pas à lui demander son autorisation;

Par ces motifs,

Donne acte à la dame Hémon de ce qu'elle ne prétend aucun droit sur

les rapports écrits par Mérimée en sa qualité d'inspecteur des monuments historiques;

La déclare non recevable, en tout cas mal fondée en sa demande; l'en déboute et la condamne aux dépens.

On trouvera le texte intégral de ce jugement dans le numéro du 1er juillet 1908 de la Gazette des Tribunaux, qui avait antérieurement publié les conclusions du ministère public (numéro du 22 juin précédent).

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Si, aux termes de l'article 378 du Code pénal, les personnes dépositaires par état ou profession des secrets qu'on leur confie doivent se refuser à les révéler, et si certaines professions sont sans difficulté comprises parmi celles visées par cette disposition, il n'est pas possible, sous peine de donner à la loi une portée extensive contraire à l'intérêt de la justice, d'y trouver une sanction contre les fonctionnaires administratifs qui, manquant à leur devoir, révèlent les faits qu'ils ont connus à l'occasion de leurs fonctions.

Il y a lieu de remarquer, d'ailleurs, que l'article 378 du Code pénal est placé sous la rubrique générale des délits contre particuliers, ce qui indique bien que l'intention du législateur n'était pas de réprimer des faits qui constitueraient des délits contre l'État.

Voici en quels termes est conçu le jugement dont l'analyse précède :

Le Tribunal,

Attendu que T..., ancien directeur des douanes à Paris, a été cité comme témoin devant la cour d'assises du département de la Seine, à la requête d'un accusé, vérificateur des douanes, poursuivi pour faux en écriture et usage de faux commis par un fonctionnaire public; que ce témoin, après avoir fait sa déposition, fut interrogé, à la demande du défenseur de l'accusé, sur le point de savoir si, comme directeur des douanes, il n'avait pas eu connaissance de fautes beaucoup plus graves que celles dont la cour était saisie et si l'administration ne s'était pas montrée plus indulgente; que T... répondit, en donnant des chiffres et des noms, qu'il avait été amené à connaître d'une transaction qu'il avait réprouvée avec énergie, et que l'administration avait consentie dans une importante affaire de fraude; qu'il ajouta que, par une lettre immédia

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