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TRIBUNAL CORRECTIONNEL DE COMPIÈGNE

(3 novembre 1908.)

CHASSE AU FAUCON.

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MOYEN COMPLET DE CHASSE PROHIBÉ.
ACCESSOIRE DE CHASSE.
CHASSE A COURRE.

La chasse au faucon est un moyen de chasse complet suffisant pour assurer la cap. ture du gibier.

L'article 9 de la loi du 3 mai 1844 n'autorise que deux modes de chasse, la chasse à tir et la chasse à courre, et une chasse spéciale pour le lapin.

La chasse au vol ne rentre pas dans la chasse à courre, le faucon n'étant pas un simple accessoire de chasse.

Les circonstances de la cause sont exposées dans le jugement ainsi conçu :

Le Tribunal,

Attendu qu'il résulte, tant d'un procès-verbal régulièrement dressé le 15 avril 1908 par B... et Th..., gardes champêtres de la commune de M.., que des dépositions de ces deux gardes à l'audience et des autres documents de la cause, que ledit jour, vers 2 heures de l'après-midi, au lieu dit le plateau de Margny, territoire de cette commune, deux voitures accompagnées de cavaliers et de cyclistes, se sont arrêtées sur un chemin de plaine; que l'une de ces voitures, une tapissière, dans laquelle se trouvaient F... et plusieurs autres jeunes gens, contenait quatre faucons ayant la tête couverte d'un chaperon; que F... saisit l'un de ces oiseaux, l'emporta à travers champs et, après avoir parcouru une centaine de mètres, le lâcha sur des corbeaux dans une terre ensemencée appartenant à B... et affermée à L...; qu'aussitôt R..., qui était à cheval, lança sa monture dans la direction du faucon en traversant, suivi d'un autre cavalier, plusieurs terres ensemencées appartenant à divers cultivateurs de Margny; qu'ayant rejoint F..., le garde Th... constata qu'il tenait en mains un corbeau mort et un pigeon vivant attaché par la patte à l'aide d'une corde et servant de leurre; que, R..., interpellé par les deux gardes, déclara que c'était lui qui dirigeait la chasse, et que F... n'était que son auxiliaire; que, les gardes lui ayant demandé de justifier du consentement des propriétaires des terres sur lesquelles il se livrait avec F... à la chasse au faucon, il leur présenta une autorisation de détruire les oiseaux nuisibles qui remontait à plus d'une année et lui avait été donnée par T..., cultivateur à la ferme de Sept-Voies, lequel ne possède aucune terre sur le territoire de Margny-lès-Compiègne:

Attendu qu'en raison des faits ainsi constatés à leur charge, le ministère public requiert contre les deux prévenus l'application de l'article 12§ 2 de la loi du 3 mai 1844, sur la police de la chasse, pour chasse par d'autres moyens que ceux qui sont autorisés par l'article 9, et celle de

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l'article 11-§ 2 de la même loi pour chasse sur le terrain d'autrui sans le consentement du propriétaire, avec cette circonstance que le délit a été commis sur des terres non dépouillées de leurs fruits;

Attendu que R... demande son renvoi des fins de la poursuite en prétendant, d'une part, que la chasse au faucon est autorisée par la loi du 3 mai 1844 et, d'autre part, qu'il n'est pas établi qu'il ait fait acte de chasse sur le terrain d'autrui sans le consentement du propriétaire; Sur le premier chef de la prévention :

Attendu que la loi du 3 mai 1844, dans son article 9 complété par la loi du 22 janvier 1874, détermine les modes de chasse qui sont seuls autorisés; que cet article ne permet que la chasse à tir, à courre, à cor et à cris; qu'aux termes du paragraphe 2 du même article, tous les autres moyens de chasse, à l'exception des furets et des bourses destinées à prendre des lapins, sont formellement prohibés; qu'ainsi se trouve interdite la chasse au vol ou à l'oiseau, conséquemment la chasse au faucon; Attendu, il est vrai, que R... soutient que la chasse au vol n'est autre chose qu'une chasse à courre où l'oiseau de proie joue le rôle du chien, puisqu'il poursuit et force l'animal qui fuit; qu'elle rentre dès lors dans le cadre des modes de chasse autorisés par la loi;

Mais attendu que le mot « courre » ancien infinitif du verbe courir, a, dans la langue française, un sens bien déterminé; qu'en matière de chasse, il n'a trait qu'à la vénerie et ne sert qu'à désigner la chasse dans laquelle le gibier est poursuivi par des chiens courants; qu'on ne saurait donc, sans le détourner de son sens, l'appliquer à une chasse dans laquelle l'animal employé à la poursuite du gibier est un oiseau;

Qu'il importe peu que certains procédés auxiliaires de la chasse à courre soient utilisés d'une façon plus ou moins efficace dans la chasse au vol; et, notamment, que, pour rappeler l'oiseau de vol, on se serve de la voix, d'une corne ou d'un sifflet; qu'on ait recours à un chien pour indiquer et faire lever la bête de chasse; que le vol de l'oiseau soit suivi par des cavaliers et par des chiens; qu'il s'agit là de moyens accessoires, dont l'emploi n'est pas indispensable pour procurer la prise de l'animal poursuivi par l'oiseau; qu'en leur absence, la chasse au vol conserve son caractère essentiel; qu'en effet, le seul usage d'un oiseau de proie constitue un moyen de chasse complet, car il suffit par luimême à assurer la capture de la bête, puisque celle-ci, une fois liée par l'oiseau, se trouve dans l'impossibilité d'échapper à la mainmise de l'homme;

Attendu que, si les auteurs de la loi sur la police de la chasse avaient entendu assimiler, sous la dénomination de chasse à courre, deux modes de chasse aussi dissemblables dans leurs moyens propres d'action que la chasse au chien et la chasse à l'oiseau, ils n'auraient pas manqué de le dire expressément; qu'il résulte, au contraire, des travaux préparatoires, notamment du rapport présenté à la Chambre des pairs par M. Franck-Carré, le 16 mai 1843, que, sauf l'exception relative au lapin, ils n'ont voulu autoriser comme modes de chasse réguliers que la chasse

au fusil et la chasse au chien (DALLOZ, Jur. gén., t. VIII, p. 94, nos 49 et 50); qu'en outre, lors de la discussion à la Chambre des députés, M. Lenoble, rapporteur, a répondu affirmativement à une question de M. Delespaul, demandant « s'il était dans la pensée des auteurs de la loi d'interdire la faculté de chasser soit au faucon, soit à l'autour, soit à l'épervier, soit enfin à l'un des oiseaux de proie dont on se servait dans les temps anciens pour la chasse au vol» (Op. cit., vo Chasse, n 183);

Attendu, dans ces conditions, qu'il n'est pas vrai de dire, comme l'a fait plaider R..., que le texte de l'article 9 présente quelque ambiguïté, et que des doutes peuvent s'élever sur sa portée; qu'au surplus, il est impossible d'arguer du silence de la loi dans une matière où, par exception à la règle générale, ce n'est pas tout ce qui n'est pas défendu qui est permis, mais, au contraire, tout ce qui n'est pas expressément autorisé qui se trouve « formellement prohibé »>;

Attendu, enfin, que le tribunal, régulièrement saisi par l'action du ministère public, ne saurait s'arrêter à cette circonstance, invoquée › par R..., et d'ailleurs non vérifiée, que, depuis la mise en application de la loi de 1844, aucune poursuite n'aurait été exercée pour chasse au vol, l'absence de poursuites ne pouvant avoir pour effet de rendre licite ce qui ne l'est pas;

Attendu qu'il n'y a pas lieu non plus, pour le tribunal, en présence des faits de la cause et des termes de la citation, de rechercher, ainsi qu'y conclut subsidiairement R..., si l'arrêté du préfet de l'Oise, du 19 août 1907, autorise l'emploi du faucon pour la destruction des animaux malfaisants ou nuisibles; que cette question n'aurait pu être utilement soulevée par le prévenu que si, dans le fait qui motive la poursuite dont il est l'objet, il avait agi en l'une des qualités requises pour être admis à procéder, dans les conditions déterminées par l'arrêté préfectoral, à la destruction des animaux malfaisants ou nuisibles; que les seules personnes pouvant invoquer cet arrêté et par suite être exposées à y contrevenir, sont, d'une part, les propriétaires, possesseurs ou fermiers et leurs ayants droit; d'autre part, les détenteurs du droit de chasse;

Attendu, il est vrai, qu'à l'appui de sa prétention, R... a versé aux débats deux pouvoirs des cultivateurs W... et T..., l'autorisant à détruire, sur leurs terres, les corbeaux et autres oiseaux nuisibles, lesdits pouvoirs datés respectivement des 3 et 5 avril 1908, mais non encore revêtus du visa du sous-préfet au 15 avril;

Mais, attendu que le tribunal n'a pas, en l'espèce, à faire état de ces pouvoirs ni à en apprécier la validité, puisqu'il est constant que ce n'est, ni sur les terres de T..., qui n'en possède d'ailleurs aucune sur Margnylès-Compiègne, ni sur l'une des parcelles cultivées par W..., sur le territoire de cette commune, que le fait de chasse incriminé a été commis; que le procès-verbal des gardes champêtres B... et T..., et les explications qu'ils ont fournies à l'audience ne permettent aucun doute à cet égard;

que, vainement, R... affirme avoir lancé le faucon sur une terre appartenant à W...; que cette affirmation, qui n'est étayée d'aucun témoignage, ne peut avoir pour effet d'ébranler la foi due à un procès-verbal régulier; Que les deux gardes ont nettement déclaré avoir vu lancer le faucon sur une terre affermée à L...; qu'il est indifférent que, n'ayant pu s'approcher plus tôt de R...: ils ne l'aient interpellé qu'au moment où, prétend-il, il cherchait à reprendre l'oiseau de proie; qu'en effet, cette circonstance ne saurait en rien infirmer la valeur des constatations par eux faites;

Sur le second chef de la prévention :

Attendu que les prévenus ne justifient ni du consentement de L... ni de celui des autres cultivateurs de Margny, sur les terres desquels s'est déroulé l'acte de chasse illicite auquel ils ont procédé de concert, le 15 avril, dans les circonstances susindiquées; qu'ils sont donc, en outre, convaincus d'avoir commis conjointement le délit de chasse sur le terrirain d'autrui;

Qu'il résulte, d'autre part, tant du procès-verbal et des déclarations des gardes champêtres que d'une enquête faite par la gendarmerie, le 17 juin, auprès des cultivateurs intéressés, que les terres dont s'agit étaient alors ensemencées; que c'est donc à bon droit que la prévention a relevé contre R... et F... la circonstance aggravante prévue par le paragraphe 2 de l'article 11 de la loi du 3 mai 1844, des terres ensemencées c'est-à-dire chargées de fruits en croissance, étant sans conteste des terres non dépouillées de leurs fruits; que tous les cultivateurs entendus par la gendarmerie ont d'ailleurs déclaré que le passage des délinquants sur leurs terres leur avait causé un certain dommage;

Attendu que cette circonstance justifie en même temps la poursuite d'office exercée par le ministère public, conformément au paragraphe 2 de l'article 26 de la même loi; qu'il y a donc lieu de faire aux prévenus, pour les deux délits de chasse établis à leur charge, l'application des articles visés dans la citation;

Attendu qu'en cas de conviction de plusieurs délits prévus par la loi sur la police de la chasse, la peine la plus forte doit, aux termes de l'article 17, être seule prononcée;

Par ces motifs,

Faisant application aux deux prévenus des articles 12-§ 2, 9, 11-§ 2, 17-§ 1 et 27 de la loi du 3 mai 1844, condamne R... et F..., chacun et solidairement, en 50 francs d'amende; les condamne, en outre, tous deux solidairement aux dépens.

TRIBUNAL CIVIL DE LA SEINE
(30 juin 1908.)

PROPRIÉTÉ LITTÉRAIRE.
PROPRIÉTÉ

LETTRES INÉDITES DE PROSPER MÉRIMÉE.
BIBLIOTHÈQUES PUBLIQUES. MANUSCRITS DÉPOSÉS.

DE L'ÉTAT. PORTÉE. ÉCRITS DE FONCTIONNAIRES PRIS EN CETTE
QUALITÉ.

Si, en principe, les lettres missives appartiennent matériellement aux destinataires, elles n'en sont pas moins intellectuellement la propriété exclusive de leurs auteurs, leur vie durant, et de leurs héritiers légataires ou donataires pendant une durée de cinquante ans après leur décès, d'où il suit qu'elles ne sauraient être publiées sans l'autorisation soit de l'auteur, soit de ceux qui le représentent.

Si, aux termes du décret du 20 février 1809, les manuscrits des bibliothèques nationales, départementales et communales sont la propriété de l'État et ne peuvent être imprimés et publiés sans autorisation, il n'en résulte nullement que tout dépôt de manuscrit dans ces bibliothèques ait pour effet d'en enlever la propriété à l'auteur.

Le droit de l'État, qui a été inspiré, ainsi qu'en témoignent les travaux préparatoires, par une idée de censure préventive et en vue de la conservation des secrets de l'État, ne s'applique en effet qu'aux écrits faits pour l'État par ses fonctionnaires ou ses agents, dans l'exercice de leurs fonctions ou de leur mandat. L'autorisation donnée à l'auteur d'un ouvrage de puiser dans les bibliothèques publiques des lettres incorporées ensuite dans ledit ouvrage, ne saurait donc suffire à elle seule quand les droits de l'auteur des lettres ou de ses représentants subsistent encore. Cette autorisation suffit au contraire en cas d'abandon tacite de ses droits par l'auteur des lettres. 3

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Dans cette affaire, la question qui se posait pour le tribunal était de savoir si Mme Hémon, agissant comme héritière des droits d'auteur de Prosper Mérimée, pouvait ou non réclamer des dommages et intérêts à M. Chambon, bibliothécaire de l'Université, à raison de la publication, au cours de son livre intitulé Notes sur Prosper Mérimée, d'un certain nombre de lettres inédites du grand écrivain, lettres remises par les destinataires eux-mêmes au défendeur ou puisées par lui, avec l'autorisation de l'État, dans les bibliothèques publiques.

Voici comment le tribunal vient de statuer, conformément aux conclusions de M. le substitut Scherdlin :

Le Tribunal,

Attendu que, dans un volume intitulé: Notes sur Prosper Mérimée, Chambon a publié un grand nombre de lettres inédites adressées par Prosper Mérimée à ses amis, en même temps que plusieurs rapports écrits par lui en qualité d'inspecteur des monuments historiques et de nombreuses citations extraites des correspondances déjà mises au jour; que la dame Hémon, légataire de Mrs Eiver, cette dernière elle-même

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