Page images
PDF
EPUB

Considérant qu'il n'y a lieu d'accueillir cette fin de non-recevoir, sur laquelle l'administration, d'ailleurs, n'a pas insisté; qu'il suffit, pour l'écarter, de rappeler que l'intimé a expressément invoqué devant le tribunal la clause résolutoire insérée par la testatrice dans son codicille; Considérant que cette clause est conçue dans les termes suivants : « Dans le cas où, par le fait d'une législation nouvelle, la fabrique serait dans l'impossibilité d'exécuter ma volonté, les deux legs seraient annulés »;

Considérant que cette clause est aussi formelle que possible, et que la volonté de la testatrice, dès lors que la condition résolutoire s'est réalisée, doit être respectée;

Que, vainement, l'administration objecte les termes absolus de l'article 9, § 3, de la loi de 1905, modifié et interprété par la loi du 13 avril 1908, desquels il résulte que les biens légués ne peuvent être repris ou revendiqués que par les héritiers directs du testament;

Que cet argument de texte ne paraît pas convaincant, quand on se reporte aux travaux préparatoires et à la discussion dans les deux Chambres de la loi de 1908; qu'il n'est pas douteux que les seules actions qu'on ait voulu exclure sont les actions en résolution pour inexécution des charges découlant des articles ci-dessus visés du Code civil;

Qu'on a dit et répété que, loin de méconnaître les intentions des auteurs des dons et legs, on se conformait à leur pensée en attribuant les biens donnés ou légués à des établissements de bienfaisance, plutôt que de les laisser revenir à des collatéraux;

Que les motifs à l'appui de la loi en précisent et en déterminent l'étendue; que ceux qui l'ont proposée et fait aboutir n'ont jamais eu le dessein de faire échec aux volontés nettement exprimées des disposants, et de faire considérer comme non écrites les conditions auxquelles ils avaient déclaré subordonner leur libéralité;

Considérant, en résumé, que, par suite de l'avènement de la condition résolutoire insérée dans le codicille, les deux legs se trouvent rescindés en vertu des dispositions formelles de l'article 1183 du Code civil, et que l'administration des domaines n'a aucun titre juridique pour conserver les biens compris dans ces deux legs;

Par ces motifs, adoptant ceux des premiers juges en tant qu'ils ne sont pas contraires;

Dit qu'il n'y avait lieu de prononcer la révocation du legs pour inexécution des charges;

Dit que les conclusions prises devant la cour par de Ribes ne contiennent pas une demande nouvelle et rejette, comme mal fondée, la fin de non-recevoir de l'administration;

Dit que la condition résolutoire insérée par la testatrice dans son codicille, s'étant réalisée, entraîne, aux termes de l'article 1183 du Code civil, l'annulation de ces deux legs;

Que, par suite, l'administration des domaines n'est pas fondée à conserver les deux titres de rente provenant des legs;

Confirme le jugement, en tant qu'il a ordonné la restitution des titres de rentes et des arrérages courus depuis la notification de l'arrêté préfectoral de mise sous séquestre;

Condamne l'administration des domaines, ès qualités, à l'amende et aux dépens, etc.

[merged small][merged small][merged small][merged small][ocr errors][merged small][ocr errors][merged small][merged small][merged small][merged small][merged small]

Les insultes à l'armée, les attaques contre les croyances religieuses de ses élèves et de leurs parents et les allusions obscènes que renferment les propos tenus par un instituteur dans sa classe, devant les enfants qui la composent, sont bien de nature à produire sur ces jeunes esprits des impressions fâcheuses, dont les conséquences peuvent être déplorables.

Par suite, est légitime et fondée l'action en dommages-intérêts dirigée contre cet instituteur par un père de famille, qui réclame réparation du tort causé à son enfant par lesdits propos.

M. Girodet, habitant à Viévigne, a formé contre M. Morizot, instituteur primaire de cette commune, devant le tribunal civil de Dijon, une instance en dommages-intérêts, prétendant et offrant de prouver que l'instituteur a tenu, en présence des enfants des deux sexes fréquentant l'école, des propos contraires à la morale et aux devoirs envers l'État, en même temps qu'au respect dû à la liberté de conscience.

Par jugement en date du 10 juin 1907, le tribunal de Dijon s'est déclaré incompétent; mais, sur l'appel interjeté par M. Girodet," la cour a, le 11 décembre 1907, infirmé et décidé que les instituteurs ne sauraient échapper à l'application des règles du droit commun, quand le fait à eux reproché et engageant leur responsabilité n'a pas un caractère professionnel, et elle a autorisé le demandeur à prouver les propos par lui articulés.

Cet arrêt, au point de vue de la compétence, a été déféré au tribunal des conflits, lequel, le 2 juin 1908, a maintenu la compétence de l'autorité judiciaire.

C'est dans ces conditions que sur les conclusions de M. l'avocat général Godefroy, dont on trouvera l'analyse dans la Gazette des

Tribunaux du 30 décembre dernier. la cour de Dijon a statué comme suit :

La Cour,

Attendu que, par son arrêt en date du 11 décembre 1907, la cour a ordonné, avant dire droit sur le fond, que Girodet serait admis à prouver en la forme ordinaire des enquêtes devant M. le conseiller Fougères, à cet effet commis, que l'instituteur Morizot a tenu devant des élèves de sept à douze ans, en classe, à Viévigne, des propos, au nombre de neuf, qui sont de nature, les uns, à porter la plus grave atteinte à la moralité des enfants et à leur patriotisme, les autres à blesser leurs convictions religieuses et celles de leurs parents, en violant la neutralité scolaire;

Attendu qu'à la suite du déclinatoire d'incompétence, pris par M. le préfet de la Côte-d'Or le 6 mars 1908, et annulé par décision du tribunal des conflits le 2 juin suivant, la cour a, dans un second arrêt du 24 mars dernier, ramené à six le nombre des propos dont Girodet devait, par voie d'enquête, démontrer l'existence et le caractère, avant qu'il fût statué sur sa demande en dommages-intérêts; que ces propos sont les suivants : 1o les soldats français sont des voyous et des lâches; 2o les Allemands ont bien fait, en 1870, de tuer les enfants au berceau; 3o ceux qui croient en Dieu sont des imbéciles; 4° il ne faut pas se confesser au curé, mais à ceux à qui l'on a fait tort; 5o le bon Dieu, c'est un portemonnaie bien garni; 6o il n'y a pas de différence entre l'homme et la vache, car ils ont une queue tous les deux;

Attendu qu'ensuite de ces deux arrêts, il a été procédé, les 23 et 24 juillet derniers, aux enquête et contre-enquête ordonnées, et que vingt-six témoins ont été diligentés, savoir quinze dans l'enquête et onze dans la contre-enquête;

Attendu qu'il résulte à l'évidence des témoignages reçus à l'enquête, que les six propos reprochés à Morizot par Girodet et dont celui-ci avait offert la preuve, ont bien été prononcés en classe par l'instituteur devant ses élèves des deux sexes; que si ces propos ne sont pas rapportés par les enfants dans des termes absolument identiques, cela n'a rien qui doive surprendre, étant donné le long intervalle de temps qui a séparé le moment où ils ont été entendus par les élèves de celui où ils en ont déposé; mais que le sens exact de ces propos est fort clair et n'a pas varié dans ce qu'en ont fait connaître les enfants lors des premières conversations qu'ils ont eues à ce sujet avec leurs parents et dans leurs dépositions à l'enquête; qu'à la vérité, ii se rencontre une certaine imprécision dans les dates auxquelles les élèves de Morizot indiquent qu'ils ont entendu les propos, mais que ce fait ne peut donner lieu à une suspicion de mensonge contre les dépositions, car les enfants de cet âge, à moins de très rares exceptions, ne savent pas encore placer bien exactement les faits dans les divisions du calendrier;

Attendu qu'aucun élément des dépositions des témoins ne révèle rien

qui ressemble à une leçon apprise et récitée de parti pris, ni rien qui puisse faire craindre une inspiration ou une pression venant de qui que ce soit; qu'elles présentent un caractère fort net de bonne foi et de sincérité et qu'on doit les considérer comme reproduisant aussi fidèlement que possible ce qui s'est passé et ce que Morizot a dit à ses élèves, et ce qui est resté dans la mémoire de ceux-ci;

Attendu qu'aucun des témoignages reçus à la contre-enquête, sur la demande de Morizot lui-même, ne vient affaiblir, expliquer autrement ou excuser la matérialité ou le sens des propos tenus par l'instituteur; Attendu, bien au contraire, que les témoins diligentés par Morizot ont confirmé nettement, pour la plupart, les dépositions faites par ceux de l'enquête; que si tous les enfants n'ont pas entendu tous les propos, cela s'explique d'abord par ce fait que plusieurs classes ont été manquées par quelques-uns d'entre eux, et aussi en raison du jeune âge des auditeurs qui a causé des lacunes dans leur attention; qu'en définitive, aucun témoignage des enfants ou des parents entendus n'est venu démentir les allégations des témoins qui affirment avoir eu connaissance des propos incriminés;

Attendu que Morizot, d'ailleurs, ne proteste que dans une certaine mesure contre l'accusation d'avoir prononcé ces phrases déplorables, et qu'il se borne à chercher à atténuer sa faute, soit en disant que les enfants ont mal saisi sa pensée, soit en se défendant de toute mauvaise intention; que, par exemple, il explique que s'il a traité les soldats français de « lâches » et de « voyous », il ne s'adressait pas à l'armée de la République, mais à celle du premier Empire, ce qui n'est pas une excuse, car il ne devait pas oublier que la gloire de nos soldats n'est pas celle de tel ou tel régime, mais la gloire intangible de notre patrie;

Attendu que, dans ces conditions, il ne saurait y avoir de doute sur la matérialité des propos reprochés par Girodet à Morizot, non plus que sur leur sens, qui résulte surabondamment de leur simple énoncé; qu'ils sont essentiellement de nature, soit à affaiblir chez les enfants le culte de notre armée nationale, le sentiment si nécessaire de l'amour de la patrie, soit à porter atteinte à des croyances qui doivent être respectées en vertu des principes de tolérance et de liberté de la pensée qui sont l'essence même du régime démocratique, soit enfin à troubler leur pudeur en attirant leur imagination vers des objets dont un éducateur digne de ce nom devrait veiller, par un soin de tous les instants, à les tenir écartés;

Attendu que les insultes à l'armée, les attaques contre les croyances religieuses de ses élèves et de leurs parents, et les allusions obscènes qui se trouvent dans les propos tenus dans sa classe par Morizot, devant les petits enfants et les petites filles qui la composaient, sont bien de nature à avoir causé sur ces jeunes esprits des impressions fâcheuses, dont les conséquences peuvent être déplorables, et que le tort causé aux enfants apparaît comme certain; que c'est donc à raison que Girodet vient en demander compte, en ce qui concerne son enfant; que de tels

propos, d'ailleurs, même si l'on cherche à les atténuer dans une certaine mesure pour les apprécier à leur valeur exacte, ne sauraient être considérés, ainsi que le déclare en sa décision du 2 juin 1908 le tribunal des conflits, comme se rattachant, à un titre quelconque, à l'enseignement que l'instituteur a mission de donner à ses élèves; que le premier est un outrage à l'armée, et le deuxième l'apologie d'un fait qualifié crime par la loi; qu'en termes grossiers et injurieux les troisième, quatrième et cinquième sont la violation caractérisée de la neutralité scolaire et une grave atteinte au droit d'éducation des parents; que, tel qu'il est rapporté, le dernier semble n'être que l'expression d'une pensée obscène; Attendu que, de tous les éléments de la cause, il résulte à l'évidence que Morizot, par les propos tenus devant ses élèves, a causé à ceux-ci un tort grave, dont leurs parents sont bien fondés à demander réparation en vertu de l'article 1382 du Code civil; que la demande introduite par Girodet contre l'instituteur Morizot doit donc être accueillie en principe et qu'il ne s'agit plus que d'apprécier le montant des dommages-intérêts qui seront alloués au père de famille;

Attendu que, quelque graves que soient les torts de Morizot, il faut tenir compte des conditions dans lesquelles il a prononcé les propos qui lui sont reprochés;

Attendu qu'il apparaît d'abord qu'ils ne semblent pas avoir été l'effet d'une volonté bien consciente, ni résulter d'un système pédagogique formellement arrêté, car des renseignements fournis aux débats il résulte que Morizot, s'il est d'une valeur professionnelle discutable, n'a jamais donné lieu à un reproche sérieux relativement à ses mœurs ni à sa conduite; que, de plus, il a toujours renié et combattu les odieuses doctrines antimilitaristes, qui n'ont certainement pas inspiré ses propos contre les soldats français; que, dans ces conditions, il convient de réduire le montant des dommages-intérêts qui vont être accordés à Girodet à de justes proportions;

Attendu que la demande, faite aux conclusions de celui-ci, de la publication de l'arrêt à intervenir dans un certain nombre de journaux ne saurait être accueillie, car son admission donnerait à cette décision un caractère pénal qu'elle ne doit pas comporter et serait inconciliable avec l'intérêt d'ordre essentiellement privé que Girodet prétend poursuivre;

Attendu que la partie qui succombe doit supporter les dépens, qui seront mis en entier à la charge de Morizot, au besoin, à titre de supplément de dommages-intérêts;

Par ces motifs,

Déclare recevable et bien fondée la demande de Girodet, et, y faisant droit, condamne Morizot à payer à celui-ci, à la signification du présent arrêt, la somme de 200 francs à titre de dommages-intérêts; en outre, à tous les dépens de l'instance.

« PreviousContinue »