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police sur le domaine qui leur est commun le maintien de l'ordre public.

Sur ce terrain, le législateur a une mission à la fois plus étendue et plus élevée que l'autorité de police.

Sa mission est plus étendue d'abord, en ce qu'il règle l'exercice des libertés publiques même dans le cercle des affaires privées, tandis que l'autorité de police, nous l'avons vu, ne le règle que s'il se produit coram populo ou s'il peut avoir une influence sur les conditions extérieures de la vie des autres; par là même, la réglementation de certaines libertés lui échappe.

La mission du législateur est aussi plus étendue en ce qu'il s'occupe du trouble pour le prévenir et le réprimer partout où son action nocive peut exister, tandis que l'autorité de police se borne à ce qui intéresse directement la collectivité: la loi matérielle imposera la réparation d'un dommage inter partes, par exemple, alors que la mesure de police restera étrangère aux négociations des individus entre eux.

Le législateur a une mission plus élevée, en ce sens que, s'il prévoit un trouble, c'est de très loin, et que, s'il en prend souci, c'est dans un esprit supérieur de justice sociale.

L'autorité de police a des vues beaucoup plus courtes: elle intervient seulement quand le danger est imminent (1), qu'il soit d'ailleurs passager ou permanent, et c'est à seule fin de veiller à la sécurité, de maintenir la paix, d'éviter le trouble. Le législateur tend vers la justice, vers le bien public idéal, l'autorité de police ne demande que du calme, de la tranquillité, de la sécurité ; l'un va au fond des choses et cherche à faire régner le droit, l'autre se contente du superficiel et cherche seulement à faire régner l'opinion que le droit est respecté et que tout se passe pour le mieux dans la société.

On peut compléter ce parallèle par celui que nous avons esquissé plus haut entre le législateur et l'administration: puisque la police rentre dans l'administration, elle en présente les caractères.

Dans l'ensemble, nous voyons que, si le législateur et l'autorité de police s'efforcent tous deux de prévenir les troubles de l'ordre

(1) LENING, Revue de droit public, 1896, VI, p. 408 Il faut que les faits fassent présumer que, sans l'intervention de la police, le dommage se produira. »

public et s'ils ont un domaine commun en partie, ils agissent dans un esprit très différent.

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Nous connaissons ainsi le rôle et le domaine de la police. Nous avons défini l'institution en tenant compte d'un autre élément, d'un moyen d'action de la police, la sanction pénale. Nous n'étudions pas pour le moment les pouvoirs de la police. Mais remarquons que la sanction pénale nous ne disons pas la contrainte — est un élément nécessaire de notre définition. Elle gagnera sans doute encore à être rapprochée de celles qui ont été données dans ces derniers temps. Nous allons donc les examiner. Presque toutes ont le tort d'élargir trop le domaine de la police, en y comprenant soit toute l'administration, soit toute la législation, et ce défaut provient de ce que beaucoup d'auteurs définissent la police par son arme principale, la puissance publique. C'est ce que font MM. Otto Gerland, en disant qu'« elle est la puissance publique se manifestant sous la forme de la contrainte (') », Læning (2), qui la représente comme « l'exercice de la puissance publique pour l'administration intérieure, en tant qu'elle use de contrainte sur les personnes ». Or, il est incontestable que la contrainte est employée souvent pour des actes d'administration, qui ne sont pas des mesures de police, par exemple en matière d'expropriation ou pour le paiement des amendes. M. Loening a reconnu lui-même, plus tard, que la contrainte ne doit pas être regardée comme facteur déterminant, parce que « la police n'a à l'employer que si ses fins ne peuvent être atteintes autrement (3) ».

Un reproche du même genre peut être fait à M. Hauriou. Pour lui, comme pour Ferrière, la police est « le règlement de la cité, c'est-à-dire le maintien de l'ordre public assuré par une réglementation appuyée sur la force publique et sur les organisations publiques (4) ». Une pareille définition, observe M. Duguit, comprend le

(1) Otto GERLAND, « Ueber den Begriff der Polizei nach preussischem Rechte », § 9 (Archiv für öffentliches Recht, 1890, V: Die Betätigung der autoritativen Zwangsgestalt des Staates).

(*) LENING, Verwaltungsrecht, p. 8.

(3) Handwærterbuch der Staatswissenschaften, par CONRAD, ELSTER, Lexis, LONING, vo Polizer.

(4) Droit administratif, 5o éd., 1903, p. 505.

système législatif tout entier, et il n'y a pas une de nos lois civiles, politiques, administratives ou pénales, qui n'ait pour but d'assurer l'ordre public, qui ne repose sur la force publique et sur les organisations publiques on peut le dire même des lois qui paraissent n'avoir d'autre but que la protection des droits privés, car si le législateur protège les droits privés, c'est parce qu'il considère que l'ordre public est intéressé à ce qu'ils le soient, et la réglementation qu'il établit dans ce but s'appuie sur la force publique et sur l'organisation publique (organisation judiciaire).

Nous adresserons une critique analogue :

A la définition donnée par M. Otto Mayer: « La police est l'activité de l'État, en vue de défendre, par les moyens de la puissance d'autorité, le bon ordre de la chose publique contre les troubles que les existences individuelles peuvent y apporter (1) ¤;

A celle de M. Berthélemy : « La police est l'ensemble des services organisés ou des mesures prescrites en vue d'assurer le maintien de l'ordre et de la salubrité à l'intérieur du pays (2) » ;

A celle de M. Rosin : « La police est l'ensemble des limitations apportées à la liberté naturelle d'agir de l'individu dans l'intérêt commun (3). »

M. Duguit ouvre aussi la porte au législateur, lorsqu'il dit : « Est décision de police, toute décision individuelle ou générale qui interdit ou ordonne un certain agissement afin d'assurer, par voie préventive, la tranquillité, la sécurité et la salubrité publiques (4).

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Nous remarquerons d'ailleurs que la plupart des auteurs ne tiennent pas compte des troubles occasionnés par les phénomènes naturels. Or, il entre dans le rôle de la police de les faire cesser, ainsi que nous l'avons indiqué.

Si maintenant nous passons aux textes législatifs, nous verrons que la méthode énumérative y est en faveur.

Citons le Code général prussien de 1794, deuxième partie, tome XVII, article 6: « Le rôle de la police consiste à prendre les mesures nécessaires pour maintenir la paix, la sécurité et l'ordre public, et pour écarter les dangers qui menacent le public ou cer

(1) Droit administratif allemand. Trad. franç., 1904, II, p. 7.
(2) Berthélemy, Droit administratif, 5o éd., 1906, f. 225.
(3) Rosin, Das Verordnungsrecht, 2o éd., 1895, p. 131.
(1) DUGUIT, Droit constitutionnel, 1907, p. 1034.

tains de ses membres. » Loening observe qu'il convient d'ajouter <«< dans leurs personnes et dans leurs biens ».

Beaucoup plus complets sont les textes français.

L'article 3, titre XI, de la loi française des 16-24 août 1790 est ainsi conçu:

Les objets de police confiés à la vigilance et à l'autorité des corps municipaux sont :

1o Tout ce qui intéresse la sûreté et la commodité du passage dans les rues, quais, places et voies publiques, ce qui comprend : le nettoiement, l'illumination, l'enlèvement des encombrements, la démolition ou la réparation des bâtiments menaçant ruine, l'interdiction de ne rien exposer aux fenêtres ou autre partie des bâtiments qui puisse nuire par sa chute, et celle de rien jeter qui puisse blesser ou endommager les passants, ou causer des exhalaisons nuisibles;

2o Le soin de réprimer ou de punir les délits contre la tranquillité publique, tels que les rixes et les disputes accompagnées d'ameutement dans les rues, le tumulte excité dans les lieux d'assemblées publiques, les bruits et attroupements nocturnes qui troublent le repos des citoyens;

3o Le maintien du bon ordre dans les endroits où il se fait de grands rassemblements d'hommes, tels que les foires, marchés, réjouissances et cérémonies publiques; spectacles, jeux, cafés, églises et autres lieux publics;

4° L'inspection sur la fidélité du débit, des denrées qui se vendent au poids, à l'aune ou à la mesure, et sur la salubrité des comestibles exposés en vente publique ;

5o Le soin de prevenir, par des précautions convenables, et celui de faire cesser par la distribution des secours nécessaires, les accidents et fléaux calamiteux, tels que les incendies, les épidémies, les épizootics, en provoquant aussi, dans les deux derniers cas, l'autorité des administrations de département et de district;

Co Le soin d'obvier ou de remédier aux événements fàcheux qui pourraient être occasionnés par les insensés ou les furicux laissés en liberté, par la divagation des animaux malfaisants ou féroces.

On reconnaît facilement la reproduction de ce texte dans l'article 97 de la loi du 5 avril 1884 :

La police municipale a pour objet d'assurer le bon ordre, la sûreté et la salubrité publique. Elle comprend notamment :

1° Tout ce qui intéresse la sûreté et la commodité du passage dans les rues, quais, places et voies publiques, ce qui comprend le nettoiement, l'éclairage, l'enlèvement des encombrements, la démolition ou la réparation des édifices menaçant ruine, l'interdiction de ne rien exposer aux

fenêtres ou autres parties des édifices qui puisse nuire par sa chute, ou celle de rien jeter qui puisse endommager les passants ou causer des exhalaisons nuisibles;

2o Le soin de réprimer les atteintes à la tranquillité publique : telles que les rixes et disputes accompagnées d'ameutement dans les rues, le tumulte excité dans les lieux d'assemblée publique, les attroupements, les bruits et rassemblements nocturnes, qui troublent le repos des habitants, et tous actes de nature à compromettre la tranquillité publique;

3o Le maintien du bon ordre dans les endroits où il se fait de grands rassemblements d'hommes, tels que les foires, marchés, réjouissances et cérémonies publiques, spectacles, jeux, cafés, églises et autres lieux publics;

4o Le mode de transport des personnes décédées, les inhumations et exhumations, le maintien du bon ordre et de la décence dans les cimetières, sans qu'il soit permis d'établir des distinctions ou des prescriptions particulières à raison des croyances ou du culte du défunt, ou des circonstances qui ont accompagné sa mort;

5o L'inspection sur la fidélité du débit des denrées qui se vendent au poids ou à la mesure, et sur la salubrité des comestibles exposés en vente;

6o Le soin de prévenir, par des précautions convenables, et celui de faire cesser, par la distribution des secours nécessaires, les accidents et les fléaux calamiteux, tels que les incendies, les inondations, les maladies épidémiques ou contagieuses, les épizooties, en provoquant, s'il y a lieu, l'intervention de l'administration supérieure ;

7o Le soin de prendre provisoirement les mesures nécessaires contre les aliénés dont l'état pourrait compromettre la morale publique, la sécurité des personnes ou la conservation des propriétés;

80 Le soin d'obvier ou de remédier aux événements fàcheux qui pourraient être occasionnés par la divagation des animaux malfaisants ou féroces.

De ces textes se dégage une idée qui peut se préciser, dit M. Larnaude (1). Les fonctions économiques, la fonction de civilisation doivent être écartées; quand l'État pourvoit au bien-être, aux intérêts économiques, moraux, religieux, politiques, il ne fait pas de police (2). La mission de la police est particulièrement une mission de protection pour les personnes, pour les biens, pour l'État.

C'est bien, en effet, ce qui ressort des textes. Mais nous avons indiqué que l'administration et le législateur ont une mission ana

(1) M. Larnaude à son cours, 1904-1905.

(*) C'est ce qu'on appelle en allemand Pflege, par opposition à Polizei.

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